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10/03/2006 | FRANCE | N°259192

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 10 mars 2006, 259192


Vu le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 5 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 19 juin 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, à la demande de M. A, a annulé le jugement du 21 janvier 1999 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de M. A tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 1997 du ministre de la défense refusant de lui conférer la croix de la Valeur militaire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

le décret n° 56-371 du 11 avril 1956 portant création d'une croix de la...

Vu le recours du MINISTRE DE LA DEFENSE, enregistré le 5 août 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 19 juin 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, à la demande de M. A, a annulé le jugement du 21 janvier 1999 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de M. A tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 1997 du ministre de la défense refusant de lui conférer la croix de la Valeur militaire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 56-371 du 11 avril 1956 portant création d'une croix de la Valeur militaire ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Delion, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par décision du 5 novembre 1997, le ministre de la défense a refusé d'attribuer à M. A la croix de la Valeur militaire ; que le ministre se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 juin 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, infirmant le jugement du 21 janvier 1999 du tribunal administratif de Nice, a annulé sa décision du 5 novembre 1997 ;

Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;

Considérant que devant la cour administrative d'appel de Marseille, le MINISTRE DE LA DEFENSE soutenait que la décision du 5 novembre 1997 par laquelle il a refusé à M. A l'attribution de la croix de la Valeur militaire était légalement justifiée, non seulement par la tardiveté opposée par cette décision, mais aussi par la circonstance que l'intéressé ne remplissait pas les conditions fixées par le décret du 11 avril 1956 pour l'attribution de cette décoration ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en omettant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour a insuffisamment motivé son arrêt, dont le ministre est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 11 avril 1956 : Il est créé une croix dite de la Valeur militaire destinée à récompenser les militaires ayant accompli des actions d'éclat au cours ou à l'occasion d'opérations de sécurité ou de maintien de l'ordre ; que si l'article 7 du même décret donnait compétence au ministre de la défense pour en fixer par instruction les conditions d'application, il ne l'autorisait pas à édicter une mesure de portée générale et impersonnelle ayant pour objet ou pour effet d'interdire, après une certaine date, l'attribution de la croix de la Valeur militaire au titre des faits accomplis antérieurement au 1er juillet 1962 ; que la disposition de l'instruction du ministre des armées du 29 décembre 1962 aux termes de laquelle Les faits accomplis antérieurement au 1er juillet 1962 ne donneront plus lieu, à partir du 1er janvier 1963, à l'établissement de propositions de citations comportant l'attribution de la croix de la Valeur militaire est ainsi entachée d'illégalité ; que, par suite, le ministre de la défense ne pouvait légalement se fonder, pour rejeter la demande de M A, sur le motif qu'il ne pouvait en aucun cas être dérogé à la forclusion instituée depuis le 1er janvier 1963 pour les opérations de sécurité et de maintien de l'ordre en Afrique du Nord ;

Considérant que, pour justifier la décision attaquée, le MINISTRE DE LA DEFENSE invoque, dans son mémoire en défense produit devant la cour administrative d'appel de Marseille et qui a été communiqué à M. A, un autre motif, tiré de ce que l'intéressé n'établissait pas qu'il avait accompli des actions d'éclat au cours ou à l'occasion d'opérations de sécurité ou de maintien de l'ordre en Afrique du Nord, ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article 1er du décret du 11 avril 1956 ;

Considérant que M. A soutient avoir mené en 1958, alors qu'il était sous-officier de l'armée française détaché auprès de l'armée marocaine pour y exercer des fonctions d'encadrement, une action de renseignement dangereuse qui aurait contribué à l'interception d'un navire chargé d'armes destinées aux mouvements insurrectionnels en Algérie ; que ces faits ne peuvent être regardés comme établis au vu des pièces du dossier ; que, par suite, l'intéressé ne remplit pas, ainsi que le soutient le MINISTRE DE LA DEFENSE, la condition de participation à une action d'éclat prescrite par l'article 1er du décret du 11 avril 1956 ; que la substitution demandée par le MINISTRE DE LA DEFENSE n'a pas pour effet de priver M. A de garanties de procédure liées au motif substitué, alors même que l'administration se serait abstenue d'examiner au fond sa demande lorsqu'elle l'a rejetée pour tardiveté ; que rien ne s'oppose en l'espèce à cette substitution ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 19 juin 2003 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Claude A.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 259192
Date de la décision : 10/03/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-07-01-06 PROCÉDURE. POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE. QUESTIONS GÉNÉRALES. SUBSTITUTION DE MOTIFS. - SUBSTITUTION SOLLICITÉE PAR L'ADMINISTRATION DEVANT LE JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR [RJ1] - OBSTACLE - ABSENCE - MOTIF À SUBSTITUER POUR JUSTIFIER LÉGALEMENT UNE DÉCISION DE REFUS OPPOSÉ À UNE DEMANDE ABOUTISSANT À REJETER AU FOND CETTE DEMANDE ALORS QUE LE MOTIF INITIAL AVAIT CONDUIT À UN REJET POUR IRRECEVABILITÉ.

54-07-01-06 Demande tendant à l'obtention d'un avantage rejetée par l'administration comme tardive. Administration invoquant devant le juge de l'excès de pouvoir, pour justifier cette décision de refus, un nouveau motif tiré de ce que le demandeur ne remplissait pas les conditions pour obtenir l'avantage sollicité. Substitution de motifs ainsi demandée par l'administration n'ayant pas pour effet de priver le requérant de garanties de procédure liées au motif substitué, alors même que l'administration se serait abstenue d'examiner au fond sa demande lorsqu'elle l'a rejetée pour tardiveté.


Références :

[RJ1]

Cf. Section, 6 février 2004, Hallal, p. 48.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 2006, n° 259192
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. François Delion
Rapporteur public ?: M. Séners

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:259192.20060310
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