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29/03/2006 | FRANCE | N°282335

France | France, Conseil d'État, 10eme et 9eme sous-sections reunies, 29 mars 2006, 282335


Vu 1°) sous le n° 282335, le recours, enregistré le 12 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE ; le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française n° 2005-59/APF du 13 mai 2005 portant règlement intérieur de cette assemblée ;

Vu 2°) sous le numéro 283916, la requête, enregistrée le 12 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,

présentée par Monsieur X... , représentant à l'assemblée de la Polynésie fr...

Vu 1°) sous le n° 282335, le recours, enregistré le 12 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE ; le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANCAISE demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française n° 2005-59/APF du 13 mai 2005 portant règlement intérieur de cette assemblée ;

Vu 2°) sous le numéro 283916, la requête, enregistrée le 12 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Monsieur X... , représentant à l'assemblée de la Polynésie française, demeurant à Pirae, Vetea, BP.28, Papeete, Polynésie française ; Monsieur demande l'annulation de l'article 68 de la délibération de l'assemblée de la Polynésie française n° 2005-59/APF du 13 mai 2005 portant règlement intérieur de cette assemblée ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 2 ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;

Vu la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République ;

Vu la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Henri Savoie, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 123 de la loi organique susvisée du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : « L'assemblée de la Polynésie française établit son règlement intérieur. Ce règlement fixe les modalités de son fonctionnement qui ne sont pas prévues au présent titre. Il est publié au journal officiel de la Polynésie française. Il peut être déféré au Conseil d'Etat statuant au contentieux » ; que sur le fondement de ces dispositions, l'assemblée de la Polynésie française a adopté son règlement intérieur par la délibération attaquée n° 2005-59/APF du 13 mai 2005 ;

Considérant que le recours du HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE et la requête de MONSIEUR X... sont dirigés contre ce règlement intérieur ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité de l'article 3 du règlement intérieur :

Considérant que l'article 121 de la loi organique susvisée du 27 février 2004 dispose que : « L'assemblée de la Polynésie française élit annuellement son président et son bureau à la représentation proportionnelle des groupes politiques et dans les conditions fixées par son règlement intérieur » ;

Considérant que l'article 3 du règlement intérieur dispose que : « Le bureau est renouvelé intégralement chaque année lors de la première séance de la session administrative ordinaire dans les mêmes conditions que celles ci-dessus évoquées. / Par exception à ce qui précède, lorsque l'assemblée, à la suite d'une annulation contentieuse, a fait l'objet d'un renouvellement portant sur plus de la moitié de ses membres, il est procédé à l'élection d'un nouveau bureau qui achèvera le mandat de celui initialement élu (…) » ;

Considérant que ni l'article 121 précité de la loi organique du 27 février 2004 qui fixe le principe selon lequel l'élection du bureau de l'assemblée de la Polynésie française a lieu annuellement ni aucune autre disposition de cette loi ne fait obstacle à ce que le règlement intérieur prévoie, dans l'hypothèse seule envisagée d'une annulation contentieuse se traduisant par le renouvellement de plus de la moitié des membres de cette assemblée, qu'il est procédé à l'élection d'un nouveau bureau dont les membres achèveront le mandat de celui initialement élu ; que le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE n'est dés lors pas fondé à demander l'annulation des dispositions précitées de l'article 3 du règlement intérieur ;

Sur la légalité de l'article 15 du règlement intérieur :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la constitution du 4 octobre 1958 : « La langue de la République est le français (…) » ;

Considérant que l'article 57 de la loi organique susvisée du 27 février 2004 dispose que : « Le français est la langue officielle de la Polynésie française. Son usage s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. La langue tahitienne est un élément fondamental de l'identité culturelle : ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la Polynésie française (…) » ;

Considérant que l'article 15 du règlement intérieur attaqué prévoit que : « 1 - Le président dirige les débats. La parole doit lui être demandée. En séance plénière, l'orateur s'exprime assis. Son intervention est faite en langue française ou en langue tahitienne ou dans l'une des langues polynésiennes (…) » ; que ces dernières dispositions ont pour objet et pour effet de conférer aux membres de l'assemblée de la Polynésie française le droit de s'exprimer, en séance plénière de cette assemblée, dans des langues autres que la langue française ; que ces dispositions sont contraires à l'article 57 précité de la loi organique du 27 février 2004 qui prévoit que le français est la langue officielle de la Polynésie française et que son usage s'impose notamment aux personnes morales de droit public ; que le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE est ainsi fondé à demander l'annulation de la dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur attaqué ;

Sur la légalité de l'article 68 du règlement intérieur :

Considérant que l'article 132 de la loi organique susvisée du 27 février 2004 dispose que : « L'assemblée de la Polynésie française peut créer des commissions d'enquête composées à la représentation proportionnelle des groupes politiques qui la composent. Le régime des commissions d'enquête est défini par une délibération de l'assemblée de la Polynésie française » ;

Considérant d'une part, que les dispositions de l'article 68 du règlement intérieur traitent des commissions d'enquêtes susceptibles d'être créées par l'assemblée de la Polynésie française ; que la circonstance que les dispositions relatives à ces commissions d'enquêtes ont été intégrées dans le règlement intérieur contesté et n'ont pas fait l'objet d'une délibération distincte, est sans influence sur leur légalité ;

Considérant d'autre part, que la loi organique et le règlement intérieur énoncent le principe selon lequel l'assemblée de la Polynésie française peut créer des commissions d'enquête, sans traiter des relations de ces commissions avec l'autorité judiciaire ; que le silence des textes sur ce point ne peut légalement s'interpréter que comme faisant obligation à ces commissions de respecter les pouvoirs de cette autorité et les procédures et investigations qu'elle est amenée à mettre en oeuvre ; que, par suite, le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE et Monsieur X... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 68 du règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française ;

Sur la légalité de l'article 74 du règlement intérieur :

Considérant que l'article 124 de la loi organique susvisée du 27 février 2004 dispose que : « Les conditions de la constitution et du fonctionnement des groupes politiques ainsi que les moyens mis à leur disposition sont déterminés par le règlement intérieur » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 74 du règlement intérieur attaqué : « L'assemblée de la Polynésie accorde une aide aux groupes constitués, laquelle consiste en : - Une dotation mensuelle représentant 1/10e des indemnités versées aux représentants appartenant auxdits groupes. La dotation n'est versée que sur présentation par le groupe concerné de sa constitution en association dotée de la personnalité morale ; le groupe concerné est libre de l'utilisation des crédits ainsi alloués pour satisfaire ses besoins. Il adresse au président de l'assemblée un compte rendu annuel de l'utilisation de ces crédits. Ce compte rendu annuel fait l'objet d'un rapport de la commission des finances distribué aux représentants lors du vote du compte administratif de l'assemblée. Il est mis fin au versement de la dotation lorsque le groupe bénéficiaire cesse d'exister. Le trop perçu fait l'objet d'un reversement au budget de l'assemblée ; la dotation est versée par tranches trimestrielles aux seuls groupes constitués à la date de la formation ou du renouvellement du bureau de l'assemblée (…) » ;

Considérant d'une part, que le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE soutient que cet article 74 est contraire aux dispositions de la loi susvisée du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et de la loi susvisée du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique ; que ces dispositions législatives fixent les conditions dans lesquelles les partis et les groupements politiques peuvent percevoir des financements ; que toutefois ces dispositions ne sont pas applicables aux groupes d'élus constitués au sein de l'assemblée de la Polynésie française lesquels ne sont ni des partis ni des groupements politiques au sens de ces dispositions législatives ;

Considérant d'autre part, que si le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE soutient que l'article 74 du règlement intérieur contesté est contraire aux dispositions de la loi susvisée du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République fixant les conditions dans lesquelles les collectivités locales peuvent accorder des aides aux groupes d'élus constitués en leur sein, ces dispositions ne sont pas applicables en Polynésie française ;

Considérant enfin que l'assemblée de la Polynésie française a pu légalement prévoir dans son règlement intérieur, sur la base des dispositions de l'article 124 de la loi organique du 27 février 2004, que les groupes d'élus constitués en son sein bénéficient d'une dotation financière mensuelle ; qu'ainsi, le HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'article 74 du règlement intérieur attaqué ;

D E C I D E :

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Article 1er : La dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions du recours du HAUT COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE et la requête de M. sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au HAUT-COMMISSAIRE DE LA REPUBLIQUE EN POLYNESIE FRANÇAISE, à M. X... , au président de l'assemblée de la Polynésie française et au ministre de l'outre-mer.


Synthèse
Formation : 10eme et 9eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 282335
Date de la décision : 29/03/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

46-01-02-02 OUTRE-MER. - DROIT APPLICABLE DANS LES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ET EN NOUVELLE-CALÉDONIE. - STATUT DES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER ET DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. - POLYNÉSIE FRANÇAISE. - FONCTIONNEMENT DE L'ASSEMBLÉE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - A) EXPRESSION EN FRANÇAIS - CARACTÈRE OBLIGATOIRE [RJ1] - CONSÉQUENCE - ILLÉGALITÉ DES DISPOSITIONS DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DE L'ASSEMBLÉE AUTORISANT L'USAGE D'AUTRES LANGUES - B) RENOUVELLEMENT DU BUREAU EN COURS DE MANDAT - LÉGALITÉ - CONDITIONS - C) DISPOSITIONS APPLICABLES AU FINANCEMENT DES GROUPES D'ÉLUS CONSTITUÉS AU SEIN DE L'ASSEMBLÉE - 1) DISPOSITIONS DE LA LOI DU 11 MARS 1988 RELATIVE À LA TRANSPARENCE FINANCIÈRE DE LA VIE POLITIQUE ET DE LA LOI DU 19 JANVIER 1995 RELATIVE AU FINANCEMENT DE LA VIE POLITIQUE - ABSENCE - 2) LOI DU 6 FÉVRIER 1992 RELATIVE À L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE LA RÉPUBLIQUE - ABSENCE - 3) RÈGLEMENT INTÉRIEUR - LÉGALITÉ DES DISPOSITIONS DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DE L'ASSEMBLÉE PRÉVOYANT L'OCTROI D'UNE DOTATION FINANCIÈRE MENSUELLE AUX GROUPES D'ÉLUS CONSTITUÉS EN SON SEIN.

46-01-02-02 a) Les dispositions de l'article 15 du règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française qui ont pour objet et pour effet de conférer aux membres de l'assemblée de la Polynésie française le droit de s'exprimer, en séance plénière de cette assemblée, dans des langues autres que la langue française sont contraires à l'article 57 de la loi organique du 27 février 2004 qui prévoit que le français est la langue officielle de la Polynésie française et que son usage s'impose notamment aux personnes morales de droit public.,,b) Ni l'article 121 de la loi organique du 27 février 2004 qui fixe le principe selon lequel l'élection du bureau de l'assemblée de la Polynésie française a lieu annuellement ni aucune autre disposition de cette loi ne fait obstacle à ce que le règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française prévoie, dans l'hypothèse seule envisagée d'une annulation contentieuse se traduisant par le renouvellement de plus de la moitié des membres de cette assemblée, qu'il est procédé à l'élection d'un nouveau bureau dont les membres achèveront le mandat de celui initialement élu.,,c) 1) Les dispositions de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et de la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique fixent les conditions dans lesquelles les partis et les groupements politiques peuvent percevoir des financements. Toutefois ces dispositions ne sont pas applicables aux groupes d'élus constitués au sein de l'assemblée de la Polynésie française lesquels ne sont ni des partis ni des groupements politiques au sens de ces dispositions législatives.,,2) La loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République fixant les conditions dans lesquelles les collectivités locales peuvent accorder des aides aux groupes d'élus constitués en leur sein ne sont pas applicables en Polynésie française.,,3) L'assemblée de la Polynésie française a pu légalement prévoir dans son règlement intérieur, sur la base des dispositions de l'article 124 de la loi organique du 27 février 2004, que les groupes d'élus constitués en son sein bénéficient d'une dotation financière mensuelle.


Références :

[RJ1]

Rappr. Cons. const., 15 juin 1999, n°99-412 DC.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2006, n° 282335
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Henri Savoie
Rapporteur public ?: Mme Mitjavile

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:282335.20060329
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