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29/03/2006 | FRANCE | N°284276

France | France, Conseil d'État, 10ème / 9ème ssr, 29 mars 2006, 284276


Vu la requête, enregistrée le 19 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mademoiselle C...I..., demeurant..., Monsieur J...K..., demeurant à..., Monsieur D...F..., demeurant..., Madame B...A..., épouseF..., demeurant... ; Mademoiselle I...et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 22 mars 2005 autorisant l'exécution en France du legs consenti à l'établissement étranger dit " Fondation Hector Otto " par Madame G...E..., veuveH..., suivant testament olographe du 15 octobre 1990 ;

2°) de mettre à la charge de

l'Etat le versement d'une somme de 5000 euros au titre de l'article L.761-1...

Vu la requête, enregistrée le 19 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mademoiselle C...I..., demeurant..., Monsieur J...K..., demeurant à..., Monsieur D...F..., demeurant..., Madame B...A..., épouseF..., demeurant... ; Mademoiselle I...et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 22 mars 2005 autorisant l'exécution en France du legs consenti à l'établissement étranger dit " Fondation Hector Otto " par Madame G...E..., veuveH..., suivant testament olographe du 15 octobre 1990 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil, notamment ses articles 901, 909, 910 et 911 ;

Vu le code du domaine de l'Etat ;

Vu la loi du 4 février 1901 sur la tutelle administrative en matière de dons et legs, notamment ses articles 7 et 8 ;

Vu le décret n° 66-388 du 13 juin 1966 modifié relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations, notamment son article 3 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Henri Savoie, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de Mlle C...I...et autres et de Me Cossa, avocat de la société Fondation Hector Otto,

- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 910 du code civil, dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué, de l'article 7 de la loi du 4 février 1901 et du décret susvisé du 13 juin 1966 relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations que les établissements d'utilité publique peuvent recevoir des dons et legs, sous réserve d'une autorisation qui, en cas de réclamation des familles, doit être donnée par décret en Conseil d'Etat ;

Considérant que, par le décret attaqué en date du 22 mars 2005, le Premier ministre a autorisé l'exécution en France du legs consenti à l'établissement étranger dit " Fondation Hector Otto ", qui a son siège à Monaco, par Madame G...E..., veuveH..., suivant testament olographe du 15 octobre 1990 ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

Considérant, d'une part, que les requérants soutiennent que le décret attaqué est illégal dans la mesure où il omet de viser l'avis de certains d'entre eux et vise une décision juridictionnelle qui n'existe pas ; que toutefois, une erreur ou une omission entachant les visas d'un décret sont sans influence sur sa légalité ;

Considérant, d'autre part, que l'article 22 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que les actes du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution ; que les seules circonstances que le ministre des affaires étrangères a été consulté préalablement à l'adoption du décret attaqué et que celui-ci a des incidences fiscales, n'impliquaient pas que le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, lesquels ne sont pas chargés de l'exécution de ce décret, soient appelés à le contresigner ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le décret contesté a été signé par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier que le Conseil d'Etat a été régulièrement saisi du projet de décret par le ministère de l'intérieur et que son avis a été donné dans des conditions régulières ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

Considérant qu'il n'appartient pas aux juridictions administratives de se prononcer sur la validité d'une libéralité consentie par une personne privée à un tiers ; que ces juridictions peuvent, en revanche, connaître à l'occasion de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des décisions administratives autorisant l'exécution d'un legs, de moyens tirés de ce que ces décisions seraient contraires à la volonté du testateur ; que, toutefois, en cas de difficultés sérieuses, il appartient à la seule autorité judiciaire d'interpréter cette volonté ;

En ce qui concerne la consistance du legs consenti par MadameH... :

Considérant que le décret attaqué décrit de façon suffisamment précise la consistance du legs dont il autorise l'exécution ; qu'il découle de ses termes mêmes qu'il s'applique, en France, à l'ensemble des biens de la testatrice ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obligation à ce décret de se prononcer sur le caractère universel ou particulier du legs consenti par Madame H...à la Fondation Hector Otto ;

Considérant que le testament olographe de Madame H...en date du 15 octobre 1990 indique que l'intéressée " lègue la totalité de sa fortune et des revenus qui y sont attachés " à son époux, ou en cas de décès de ce dernier, à la Fondation Hector Otto ; qu'il ressort clairement de ce testament que le champ du legs ainsi consenti n'est pas restreint par une autre mention du même document qui précise que la testatrice donne seulement mission à son exécuteur testamentaire de procéder à la vente de certains de ses biens ; qu'ainsi, le décret contesté n'a pas méconnu la volonté de la testatrice en incluant parmi les biens relevant du champ du legs consenti par ce testament certains biens qui n'étaient pas mentionnés comme devant être vendus par son exécuteur testamentaire ;

Considérant que le décret du 22 mars 2005 indique, conformément aux mentions du testament olographe du 15 octobre 1990, que les bijoux de Madame H...font partie du legs dont il autorise l'exécution ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que, par un codicille en date du 3 décembre 1995, Madame H...est revenue sur les termes de son testament du 15 octobre 1990 et a donné l'ensemble de ses bijoux à Madame B...A..., épouseF... ; qu'en omettant de prendre en compte l'existence de ce codicille du 3 décembre 1995 et en incluant les bijoux de Madame H...dans le champ du legs consenti à la Fondation Hector Otto, le décret attaqué méconnaît la volonté de la testatrice ; que cette Fondation ne peut pas utilement soutenir, dans le cadre du présent recours pour excès de pouvoir, que ce codicille du 3 décembre 1995 ne serait pas valide ; que, par suite, les requérants sont fondés à demander l'annulation de ce décret en tant qu'il inclut les bijoux de Madame H...dans le legs consenti à la Fondation Hector Otto ;

En ce qui concerne les charges grevant le legs consenti par MadameH... :

Considérant que le testament olographe de Madame H...en date du 15 octobre 1990 énonce clairement que le legs consenti est grevé de trois charges distinctes ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme H...est revenue postérieurement sur l'expression de cette volonté ; que le troisième alinéa de l'article premier du décret attaqué ne fait état que de deux charges relatives, d'une part, à la réalisation d'une résidence pour personnes âgées et, d'autre part, à l'entretien de la tombe de la testatrice et omet de mentionner la troisième charge grevant le legs se rapportant à l'entretien d'une tierce personne à compter de la mort de ses parents ; que par cette omission, le décret attaqué méconnaît la volonté de la testatrice et est entaché d'excès de pouvoir ; que les requérants sont par suite fondés à en demander l'annulation en tant qu'il ne mentionne pas l'existence de cette charge ;

En ce qui concerne l'exécution du legs consenti par MadameH... :

Considérant que si par un codicille en date du 20 février 1994, dont il n'appartient pas à la juridiction administrative d'apprécier la validité, Mme H...a désigné M. D...F...comme son exécuteur testamentaire, le décret attaqué n'avait pas à se prononcer sur l'identité de l'exécuteur testamentaire de l'auteur du legs dont il autorise l'exécution ; qu'ainsi, en ne faisant pas état de ce codicille, le décret attaqué n'a pas méconnu la volonté de la testatrice ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la Fondation Hector Otto au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 22 mars 2005 autorisant l'exécution, en France, d'un legs consenti à un établissement étranger est annulé en tant, d'une part, qu'il omet de mentionner l'existence d'une charge, grevant le legs consenti par Madame H...à la Fondation Hector Otto, portant sur l'entretien d'une tierce personne à compter de la mort de ses parents et, d'autre part, qu'il inclut les bijoux de Madame H...dans le legs dont il autorise l'exécution.

Article 2 : L'Etat versera, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 4000 euros à Mademoiselle C...I..., Monsieur J...K..., Monsieur D...F...et Madame B...A..., épouseF....

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la Fondation Hector Otto tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mademoiselle C...I..., à Monsieur J...K..., à Monsieur D...F..., à Madame B...A..., épouseF..., à la Fondation Hector Otto, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMPÉTENCE - COMPÉTENCES CONCURRENTES DES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - CONTENTIEUX DE L'APPRÉCIATION DE LA LÉGALITÉ - DÉCISIONS ADMINISTRATIVES AUTORISANT UN LEGS - A) PRINCIPE - INCOMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE POUR SE PRONONCER SUR LA VALIDITÉ DES LIBÉRALITÉS - B) EXCEPTION - COMPÉTENCE POUR CONNAÎTRE PAR LA VOIE DE L'EXCEPTION DE MOYENS TIRÉS DE LA CONTRARIÉTÉ À LA VOLONTÉ DU TESTATEUR - C) LIMITE - COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE EN PRÉSENCE DE DIFFICULTÉS SÉRIEUSES [RJ1].

17-04-02 a) Il n'appartient pas aux juridictions administratives de se prononcer sur la validité d'une libéralité consentie par une personne privée à un tiers.... ...b) Ces juridictions peuvent, en revanche, connaître à l'occasion de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des décisions administratives autorisant l'exécution d'un legs, de moyens tirés de ce que ces décisions seraient contraires à la volonté du testateur.,,c) Toutefois, en cas de difficultés sérieuses, il appartient à la seule autorité judiciaire d'interpréter cette volonté.

DONS ET LEGS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - A) PRINCIPE - INCOMPÉTENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE POUR SE PRONONCER SUR LA VALIDITÉ DES LIBÉRALITÉS - B) EXCEPTION - COMPÉTENCE POUR CONNAÎTRE PAR LA VOIE DE L'EXCEPTION DE MOYENS TIRÉS DE LA CONTRARIÉTÉ À LA VOLONTÉ DU TESTATEUR - C) LIMITE - COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE EN PRÉSENCE DE DIFFICULTÉS SÉRIEUSES [RJ1].

25-06 a) Il n'appartient pas aux juridictions administratives de se prononcer sur la validité d'une libéralité consentie par une personne privée à un tiers.... ...b) Ces juridictions peuvent, en revanche, connaître à l'occasion de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des décisions administratives autorisant l'exécution d'un legs, de moyens tirés de ce que ces décisions seraient contraires à la volonté du testateur.,,c) Toutefois, en cas de difficultés sérieuses, il appartient à la seule autorité judiciaire d'interpréter cette volonté.


Références :

[RJ1]

Cf. Assemblée, 23 février 2001, De Polignac, p. 79.


Publications
Proposition de citation: CE, 29 mar. 2006, n° 284276
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Henri Savoie
Rapporteur public ?: Mme Mitjavile
Avocat(s) : SCP TIFFREAU ; COSSA

Origine de la décision
Formation : 10ème / 9ème ssr
Date de la décision : 29/03/2006
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 284276
Numéro NOR : CETATEXT000008238090 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-03-29;284276 ?
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