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05/05/2006 | FRANCE | N°285323

France | France, Conseil d'État, 5eme et 4eme sous-sections reunies, 05 mai 2006, 285323


Vu l'ordonnance du 16 septembre 2005, par laquelle le président du tribunal administratif de Nice a, en application des articles R. 351-2 et R. 311-1, 7° du code de justice administrative, transmis au Conseil d'Etat la demande de M. Antoine A, demeurant ... ;

Vu la requête, enregistrée le 30 mai 2005 au greffe du tribunal administratif de Nice ; M. A demande :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 135 679,84 euros, majorée des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la durée excessive de la procédure co

ntentieuse qu'il a engagée devant la juridiction administrative afin d'obt...

Vu l'ordonnance du 16 septembre 2005, par laquelle le président du tribunal administratif de Nice a, en application des articles R. 351-2 et R. 311-1, 7° du code de justice administrative, transmis au Conseil d'Etat la demande de M. Antoine A, demeurant ... ;

Vu la requête, enregistrée le 30 mai 2005 au greffe du tribunal administratif de Nice ; M. A demande :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 135 679,84 euros, majorée des intérêts au taux légal capitalisés, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de la durée excessive de la procédure contentieuse qu'il a engagée devant la juridiction administrative afin d'obtenir la réparation des préjudices nés du refus de concours de la force publique et de la carence de l'Etat à maintenir l'ordre public dans l'île Portal (Guyane) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Carine Soulay, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Balat, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ;

Considérant que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

Considérant que par requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Cayenne le 11 janvier 1989, M. A a demandé à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice résultant de la carence des services de police à maintenir l'ordre public dans l'île Portal sur laquelle il exploitait des installations agricoles et touristiques ; que, par un arrêt du 8 avril 1993, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Cayenne intervenu le 22 juillet 1991 condamnant l'Etat à verser à M. A une indemnité de 1 594 535,01 euros (10 459 464 F) ; que l'intéressé s'est pourvu en cassation contre cet arrêt le 17 mai 1993 ; que la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux, qui, d'une part, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il n'avait pas statué sur les conclusions de M. A tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice né de l'inaction des services de police et, d'autre part, a condamné l'Etat à verser à M. A la somme de 304 898,03 euros (2 000 000 F) tous intérêts compris au jour de la décision, est intervenue le 16 février 2000, soit onze ans et un mois après la date d'enregistrement de la requête auprès du tribunal administratif de Cayenne ; que, la durée de jugement de cette affaire par la juridiction administrative est excessive, quelles que soient les difficultés qu'elle ait pu, le cas échéant, présenter ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et, pour ce motif, à obtenir la réparation des préjudices qu'il a subis ;

Sur les préjudices :

Considérant que l'action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n'a pas été jugée dans un délai raisonnable doit permettre la réparation de l'ensemble des dommages tant matériels que moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés et dont la réparation ne se trouve pas assurée par la décision rendue sur le litige principal ; que peut ainsi, notamment, trouver réparation le préjudice causé par la perte d'un avantage ou d'une chance ou encore par la reconnaissance tardive d'un droit ; que peuvent aussi donner lieu à réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement longue d'une procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès, compte tenu notamment de la situation personnelle de l'intéressé ;

Considérant qu'eu égard au comportement du requérant, qui a fait preuve d'une diligence normale au cours de la procédure contentieuse, et à l'enjeu financier du litige pour celui-ci, l'allongement excessif de la procédure devant la juridiction administrative a provoqué pour M. A des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituelles causées par un procès, dont il sera fait une juste appréciation en allouant à l'intéressé la somme de 9 000 euros ; que la durée excessive de la procédure contentieuse est également à l'origine d'un préjudice résultant de la disponibilité tardive des sommes que l'Etat a été condamné à lui verser dont la réparation ne se trouve pas intégralement assurée par la décision du Conseil d'Etat du 16 février 2000, dont il sera fait, dans les circonstances particulières de l'espèce, une juste appréciation en allouant à M. A une somme de 6 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à M. A la somme de 15 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'Etat versera à M. A la somme de 15 000 euros tous intérêts compris à la date de la présente décision.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 4 000 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Antoine A, au garde des sceaux, ministre de la justice et au chef de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 05 mai. 2006, n° 285323
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mme Carine Soulay
Rapporteur public ?: M. Chauvaux
Avocat(s) : BALAT

Origine de la décision
Formation : 5eme et 4eme sous-sections reunies
Date de la décision : 05/05/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 285323
Numéro NOR : CETATEXT000008253958 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-05-05;285323 ?
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