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12/06/2006 | FRANCE | N°228841

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 12 juin 2006, 228841


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier et 3 mai 2001, présentés pour Mme Anne-Marie A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 octobre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 30 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la maison de retraite de Rhinau à lui verser la somme de 693 534,75 F qui lui est réclamée en tant qu'héritière de son père, M. B

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 janvier et 3 mai 2001, présentés pour Mme Anne-Marie A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 octobre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 30 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la maison de retraite de Rhinau à lui verser la somme de 693 534,75 F qui lui est réclamée en tant qu'héritière de son père, M. B, par Mme C et la Caisse de mutualité sociale agricole du Bas-Rhin, à raison des conséquences dommageables de l'agression commise par ce dernier à l'encontre de M. C alors qu'il séjournait dans cet établissement ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler le jugement du 30 décembre 1996 du tribunal administratif de Strasbourg et de condamner la maison de retraite de Rhinau à lui verser la somme de 693 534,75 F (105 701,25 euros) ;

3°) de mettre à la charge de la maison de retraite de Rhinau la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne-Marie Artaud-Macari, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mme A et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la maison de retraite de Rhinau,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, pour rejeter la requête de Mme A tendant à l'annulation du jugement du 30 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à ce que la maison de retraite de Rhinau (Bas-Rhin) soit condamnée à lui payer les sommes qui lui sont réclamées en tant qu'ayant droit de son père, M. B, par la Caisse de mutualité sociale agricole du Bas-Rhin et Mme C, à raison des conséquences dommageables de l'agression commise, le 12 février 1991, par M. B contre M. C, qui séjournait alors dans cet établissement, la cour administrative d'appel de Nancy s'est référée à sa décision du même jour, rendue dans une autre instance, exonérant la maison de retraite de toute responsabilité dans cette agression ; que la cour a commis une erreur de droit en opposant ainsi à Mme A une décision rendue dans une instance à laquelle elle n'avait pas été appelée et qui n'était revêtue que de l'autorité relative de la chose jugée ; que, dès lors, Mme A est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit du 11 au 12 février 1991, M. Léon B, pensionnaire de la maison de retraite communale de Rhinau (Bas-Rhin), en proie à une crise de démence sénile, a grièvement blessé un autre pensionnaire de l'établissement, M. C ; que ce dernier est décédé des suites de ses blessures le 13 août 1991 ; que, par jugement du 27 mars 1995, le tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné Mme A, fille de M. B, qui était lui-même décédé le 14 juin 1992, à verser à la Caisse de mutualité sociale agricole du Bas-Rhin une indemnité de 479 867,40 F assortie des intérêts légaux à compter du 19 juillet 1993 et à Mme C, fille de la victime, une indemnité de 213 872,35 F assortie des intérêts légaux à compter du jour du jugement ; que le tribunal a ordonné l'exécution provisoire de ce jugement ;

Considérant que les sommes qu'une personne a été condamnée à verser en application d'une décision de justice exécutoire, même non définitive, présentent, au fur et à mesure de leur paiement effectif, le caractère d'une créance certaine dont cette personne peut demander, par la voie d'une action récursoire, le paiement à un tiers responsable ; que, dans le cas où la décision exécutoire qui a donné naissance à cette créance vient à être réformée ou annulée à la suite de l'exercice de voies de recours, le tiers responsable peut demander à la personne initialement condamnée le remboursement des sommes dont cette dernière se trouve alors déchargée ; qu'à l'inverse, si les sommes mises à la charge de cette personne sont augmentées, elle peut demander au tiers responsable le paiement du surplus ;

Considérant qu'en l'espèce, l'accident dont M. C a été victime est survenu alors que les soixante-douze pensionnaires de l'établissement étaient sous la surveillance d'une seule aide-soignante ; qu'aucune mesure particulière n'avait été prise à l'égard de M. B, alors pourtant que ses troubles de comportement avaient été signalés auparavant tant par son médecin traitant que par le personnel de l'établissement ; qu'en l'absence de local permettant d'isoler un pensionnaire, l'aide soignante a enfermé M. B dans la chambre qu'il partageait avec M. C, qui lui-même dormait après que des somnifères lui avaient été administrés ; qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances que les blessures dont M. C a été victime sont imputables à une mauvaise organisation du service ainsi qu'à des carences dans la surveillance des pensionnaires de l'établissement ;

Considérant que la faute ainsi commise engage la responsabilité de la maison de retraite de Rhinau ; qu'à l'égard toutefois de M. B, auteur des faits, comme de Mme A, qui vient aux droits de celui-ci, la responsabilité de l'établissement se trouve diminuée de la part de responsabilité qui incombe à l'intéressé ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'espèce en partageant les responsabilités à hauteur de 20 % pour M. B et ses ayants droit et de 80 % pour l'établissement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander, par la voie de l'action récursoire, à la maison de retraite de Rhinau de lui rembourser 80 % des sommes qu'elle a versées en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 27 mars 1995, qui avait un caractère exécutoire alors même que l'appel intenté à l'encontre de ce jugement demeure pendant devant la cour d'appel de Colmar ; que Mme A est, par suite, fondée à demander l'annulation du jugement du 30 décembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête ;

Considérant que Mme A justifie avoir versé non pas l'intégralité des condamnations mises à sa charge par le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 27 mars 1995 mais seulement une somme de 400 000 F à la Caisse de mutualité sociale agricole du Bas-Rhin ; que, compte tenu du partage de responsabilité retenu ci-dessus, elle est fondée à demander à la maison de retraite de Rhinau le remboursement de 80 % de cette somme, soit 320 000 F (48 783,69 euros) ; qu'au fur et à mesure où elle justifiera devant la maison de retraite du versement des sommes qu'il lui reste à acquitter en vertu du jugement, la maison de retraite devra lui rembourser 80 % de ces sommes ; que, dans le cas où les sommes ainsi remboursées à la requérante seraient supérieures à celles mises à sa charge par une décision de justice réformant ou annulant le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 27 mars 1995, la caisse sera fondée à lui demander le reversement du trop-perçu ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la maison de retraite de Rhinau la somme de 1 500 euros demandée par Mme A au titre des frais exposés devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ; que les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande à ce titre la maison de retraite de Rhinau ;

D E C I D E :

--------------

Article ler : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 26 octobre 2000 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 30 décembre 1996 est annulé.

Article 3 : La maison de retraite de Rhinau est condamnée à verser à Mme A la somme de 48 783,69 euros ainsi que, au fur et à mesure où Mme A justifiera de leur paiement effectif, 80 % des sommes restant à verser par cette dernière en application du jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 27 mars 1995.

Article 4 : La maison de retraite de Rhinau versera à Mme A la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de la maison de retraite de Rhinau tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Anne-Marie A, à la maison de retraite de Rhinau et au ministre de la santé et des solidarités.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 228841
Date de la décision : 12/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-02 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RECOURS OUVERTS AUX DÉBITEURS DE L'INDEMNITÉ, AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SÉCURITÉ SOCIALE. ACTION RÉCURSOIRE. - A) CRÉANCE CERTAINE - CRÉANCE NÉE D'UN PAIEMENT EFFECTUÉ EN VERTU D'UNE DÉCISION DE JUSTICE EXÉCUTOIRE MÊME NON DÉFINITIVE - B) CONSÉQUENCES DE LA RÉFORMATION OU DE L'ANNULATION DE LA DÉCISION EXÉCUTOIRE.

60-05-02 a) Les sommes qu'une personne a été condamnée à verser en application d'une décision de justice exécutoire, même non définitive, présentent, au fur et à mesure de leur paiement effectif, le caractère d'une créance certaine dont cette personne peut demander, par la voie d'une action récursoire, le paiement à un tiers responsable.,,b) Dans le cas où la décision exécutoire qui a donné naissance à cette créance vient à être réformée ou annulée à la suite de l'exercice de voies de recours, le tiers responsable peut demander à la personne initialement condamnée le remboursement des sommes dont cette dernière se trouve alors déchargée. A l'inverse, si les sommes mises à la charge de cette personne sont augmentées, elle peut demander au tiers responsable le paiement du surplus.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2006, n° 228841
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mme Anne-Marie Artaud-Macari
Rapporteur public ?: Mme de Silva
Avocat(s) : SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:228841.20060612
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