La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2006 | FRANCE | N°266848

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 12 juin 2006, 266848


Vu le recours, enregistré le 23 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 4 février 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, réformant le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 30 juin 2000, a déchargé M. A des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1990, 1991, 1992, 1993 et 199

4, ainsi que des pénalités y afférentes ;

Vu les autres pièc...

Vu le recours, enregistré le 23 avril 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 4 février 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, réformant le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 30 juin 2000, a déchargé M. A des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994, ainsi que des pénalités y afférentes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Crépey, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de M. A,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'ayant créé, en mars 1990, une entreprise individuelle de graphisme publicitaire, M. Jean-Michel A a placé les revenus tirés de cette activité sous le régime d'exonération, totale puis partielle, des bénéfices prévu par l'article 44 sexies du code général des impôts ; qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité portant respectivement sur les périodes couvrant les années 1990 et 1991 et 1992 à 1994, l'administration, contestant le bien-fondé de cette exonération, a mis à la charge de l'intéressé des suppléments d'impôt dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; que le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 février 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, infirmant le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 juin 2000, a prononcé la décharge des impositions litigieuses ainsi que des pénalités y afférentes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 44 sexies du code général des impôts : Les entreprises créées à compter du 1er octobre 1988 (...) soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d'imposition de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l'article 34 sont exonérées d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de leur création (...). Les bénéfices ne sont soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés que pour le quart, la moitié ou les trois quarts de leur montant selon qu'ils sont réalisés respectivement au cours de la première, de la seconde ou de la troisième période de douze mois suivant cette période d'exonération ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 14 de la loi du 23 décembre 1988 dont elles sont issues, que le législateur a entendu réserver le régime prévu par l'article 44 sexies aux entreprises nouvelles dont l'activité est de nature industrielle, commerciale ou artisanale - à l'exception, toutefois, de celles qui exercent une activité bancaire, financière, d'assurances, de gestion ou de location d'immeubles - et en exclure les entreprises nouvelles dont les bénéfices proviennent, en tout ou partie, d'activités d'une autre nature, du moins lorsque ces activités ne constituent pas le complément indissociable d'une activité exonérée ; que ne revêt pas ce caractère complémentaire une activité non commerciale qui procure l'essentiel des bénéfices de l'entreprise, alors même que chacune des opérations relevant de cette activité serait indissociablement liée à une opération relevant de l'activité commerciale exonérée ;

Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour accorder à M. A le bénéfice des dispositions de l'article 44 sexies, la cour administrative d'appel de Nantes a relevé que, si l'activité de graphiste publicitaire n'était pas commerciale par nature, les conditions dans lesquelles elle était exercée, et notamment le recours à des prestataires extérieurs pour la confection des documents constituant le support des messages publicitaires conçus par le contribuable - fournitures de bureaux, catalogues, affiches de spectacles ou emballages divers - étaient propres à lui conférer, dans les circonstances de l'espèce, un tel caractère ; qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut qu'en écartant l'objection tirée par l'administration de ce que la partie strictement créative de l'activité de l'intéressé n'était pas exercée dans des conditions lui donnant un caractère commercial, alors qu'ainsi qu'ils l'ont eux-mêmes mentionné, le mode de facturation retenu permettait de l'isoler et qu'elle représentait une proportion importante de son bénéfice, les juges d'appel ont commis une erreur de droit ; que le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Nantes :

Considérant que, contrairement à ce qu'il soutient, M. A n'a pas invoqué, en première instance, le moyen tiré de ce que le supérieur hiérarchique du vérificateur n'avait pas porté à sa connaissance le résultat de la démarche qu'il avait entreprise auprès de lui, le privant ainsi d'une garantie que lui offrait la charte du contribuable vérifié ; que, par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Nantes a entaché son jugement d'insuffisance de motivation en n'y répondant pas ;

Sur le fond :

Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que les vérifications de comptabilité dont a fait l'objet l'entreprise créée par M. A, ont été effectuées au siège de cette dernière ; qu'ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Nantes, il appartient dès lors au contribuable d'établir que le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues avec lui, le privant ainsi du débat oral et contradictoire auquel il avait droit ; que M. A n'apporte pas la preuve qui lui incombe en se bornant à faire valoir que certaines opérations de contrôle auraient eu lieu de manière inopinée et qu'au cours de la seconde vérification, l'agent de l'administration se serait référé aux résultats de la première ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient M. A, le vérificateur ne s'est pas borné, dans la réponse qu'il a faite aux observations présentées par le contribuable à la suite de la seconde notification de redressements, à se référer aux éléments fournis par l'administration dans la lettre par laquelle elle avait rejeté la réclamation afférente à la période d'imposition visée par la première vérification, mais qu'il a, en outre, répondu en fait et en droit aux arguments invoqués par l'intéressé concernant, notamment, la qualification de son activité ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette réponse ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ; que le paragraphe 5 du chapitre III de ladite charte dispose : Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ; qu'il résulte de l'instruction que M. A a, dès qu'il en a exprimé la demande, été reçu par l'inspecteur principal, avant même que le vérificateur ait confirmé, par sa réponse aux observations qu'il avait présentées à la suite de la notification de redressements, la persistance d'un désaccord ; que, faute pour l'intéressé d'avoir alors réitéré sa demande, il ne peut pas en tout état de cause se plaindre du caractère prématuré de cet entretien ; qu'alors même que les services de la comptabilité publique s'étaient préalablement enquis auprès de lui de ses possibilités de paiement, il n'est pas davantage fondé à soutenir que ses entretiens avec l'inspecteur principal et l'interlocuteur départemental, qui ont eu lieu avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses, ne seraient pas intervenus en temps utile pour lui permettre de faire valoir son point de vue et qu'il aurait ainsi été privé des garanties substantielles offertes par la charte ; qu'enfin, la réponse aux observations du contribuable a suffisamment informé ce dernier des résultats de la démarche qu'il avait entreprise auprès de l'inspecteur principal, supérieur hiérarchique du vérificateur ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A a exercé, au cours de la période en litige, deux activités distinctes, la première consistant à concevoir et mettre au point des réalisations graphiques, tels que des logotypes, identités visuelles ou affiches de spectacles, la seconde à produire les supports que la plupart, mais non la totalité de ses clients, lui demandaient de réaliser pour diffuser les messages ainsi élaborés ; que si, pour cette dernière tâche, et en particulier pour les missions de photogravure et d'impression, il avait recours à des prestataires extérieurs, tel n'était pas le cas pour ses prestations créatives, qu'il a effectuées seul et qui sollicitaient de sa part des facultés essentiellement intellectuelles ; qu'alors même que, pour leur bon accomplissement, il se conformait aux directives de ses clients concernant, notamment, le respect de normes techniques, commerciales ou réglementaires, et se rapprochait de ses futurs sous-traitants pour évaluer la faisabilité et le coût des créations envisagées, ces dernières ne sauraient être regardées comme présentant un caractère industriel, commercial ou artisanal au sens des dispositions précitées de l'article 44 sexies du code général des impôts ; que, contrairement à ce que soutient M. A, les documentations de base 5 G 116 et 4 F 114 n'impliquaient pas, en tout état de cause, que l'administration impose les revenus tirés de son activité de création publicitaire indépendante dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ; que la situation des graphistes au regard de l'exonération de taxe professionnelle prévue au 2° de l'article 1460 du code général des impôts en faveur des peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs considérés comme artistes est sans incidence sur la qualification de leurs revenus au sens de l'article 34 ; qu'au demeurant, l'intéressé a, en l'espèce, obtenu du tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 30 juin 2000 devenu définitif, le bénéfice de ladite exonération ;

Considérant, en cinquième et dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'examen systématique, par l'administration, des factures émises par l'intéressé - lesquelles, ainsi qu'il a été dit plus haut, isolaient la partie de ses prestations correspondant à son activité de création - que cette dernière a constitué, au cours des années en litige, une part de ses bénéfices supérieure à 60 %, voire 80 % ; que si M. A fait valoir qu'il convient d'appliquer à ces chiffres un coefficient correcteur de 69/169 au titre du temps réputé consacré à la création mais utilisé, en fait, pour les relations commerciales et la prospection de clientèle, il ne justifie ni du niveau ni, surtout, du bien-fondé d'une telle correction, les coûts de recherche de la clientèle étant susceptibles de donner lieu à des déductions du résultat global au titre des charges mais non d'avoir une incidence sur sa ventilation entre diverses activités ; que, par ailleurs, rien ne justifie que, comme le demande M. A, soient seuls pris en compte, au titre de ses activités de création, les honoraires versés par les agences de publicité dans le cadre de contrats de sous-traitance, par opposition aux sommes versées par les clients directs ; qu'ainsi, l'importance de la part de l'activité non commerciale de création de réalisations graphiques dans les bénéfices tirés par M. A de l'entreprise qu'il a créée en 1990 fait obstacle à ce que celle-ci bénéficie du régime d'exonération prévu par l'article 44 sexies ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 30 juin 2000 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat les sommes que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 4 février 2004 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A devant la cour administrative d'appel de Nantes sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. Jean-Michel A.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 266848
Date de la décision : 12/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-02-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT. CONTRÔLE FISCAL. VÉRIFICATION DE COMPTABILITÉ. GARANTIES ACCORDÉES AU CONTRIBUABLE. - CHARTE DES DROITS ET OBLIGATIONS DU CONTRIBUABLE VÉRIFIÉ - RECOURS À L'INSPECTEUR PRINCIPAL ET À L'INTERLOCUTEUR DÉPARTEMENTAL (PARAGRAPHE 5 DU CHAPITRE III DE LA CHARTE) - OPPOSABILITÉ - ABSENCE - CONTRIBUABLE AYANT DEMANDÉ ET OBTENU UN ENTRETIEN AVEC L'INSPECTEUR PRINCIPAL AVANT LA CONFIRMATION DE LA PERSISTANCE DU DÉSACCORD, ET N'AYANT ENSUITE PAS RÉITÉRÉ SA DEMANDE.

19-01-03-01-02-03 Le paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dont les dispositions sont opposables à l'administration en vertu du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, dispose : Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur. Contribuable ayant, dès qu'il en a exprimé la demande, été reçu par l'inspecteur principal, avant même que le vérificateur ait confirmé, par sa réponse aux observations qu'il avait présentées à la suite de la notification de redressements, la persistance d'un désaccord. Faute pour l'intéressé d'avoir alors réitéré sa demande, il ne peut en tout état de cause pas se plaindre du caractère prématuré de cet entretien.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2006, n° 266848
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Edouard Crépey
Rapporteur public ?: M. Séners
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:266848.20060612
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award