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19/06/2006 | FRANCE | N°277263

France | France, Conseil d'État, 6eme et 1ere sous-sections reunies, 19 juin 2006, 277263


Vu la requête, enregistrée le 7 février 2005, présentée par M. Philippe A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) avant dire-droit, de consulter le Conseil de la concurrence, d'une part, sur la question de savoir si les prestations de formation professionnelle assurées par les centres régionaux de formation professionnelle des avocats, les conseils de l'ordre et le conseil national des barreaux nécessitent une publicité et une mise en concurrence pour la mise en oeuvre de la directive n°2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative

la coordination des procédures de passation des marchés publics ...

Vu la requête, enregistrée le 7 février 2005, présentée par M. Philippe A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) avant dire-droit, de consulter le Conseil de la concurrence, d'une part, sur la question de savoir si les prestations de formation professionnelle assurées par les centres régionaux de formation professionnelle des avocats, les conseils de l'ordre et le conseil national des barreaux nécessitent une publicité et une mise en concurrence pour la mise en oeuvre de la directive n°2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, et, d'autre part, sur la question de savoir si le non-respect par ces centres et conseils des obligations qui incombent aux pouvoirs adjudicateurs en matière de publicité et de mise en concurrence peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce ;

2°) avant dire droit, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle tendant à déterminer si les articles 43, 49, 81, 82 du traité instituant la Communauté européenne, combinés avec les articles 2, g) du 3 et 10 de ce traité, d'une part, le règlement n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, de deuxième part, la directive n° 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, de troisième part, les principes de la sécurité juridique, de la protection de la confiance légitime et des droits acquis, de quatrième part, les articles 3, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole, les articles 7, 17 et 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de cinquième part, s'opposent à ce que le décret n° 2004-1386 du 21 décembre 2004 pris pour l'application de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 instaure une obligation de formation continue pour les avocats sans prévoir de formalités de publicité, ou de mise en concurrence dans le cadre des marchés publics de services juridiques, d'éducation et de formation professionnelle que les centres régionaux de formation professionnelle, les conseils de l'ordre ou le conseil national des barreaux peuvent être amenés à conclure ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 16, 17, 34, 35, 36, 48 et 49-I du décret n° 2004-1386 du 21 décembre 2004 relatif à la formation professionnelle des avocats ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter du 23 décembre 2004, date de publication du décret attaqué, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Vu la directive 77/249, du Conseil, du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice de la libre prestation de services par les avocats ;

Vu la directive 98/5/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui ou la qualification a été acquise ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

Vu le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Maud Vialettes, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Sur la demande de renvoi présentée par M. A :

Considérant que, dans un premier temps, la requête de M. A a été inscrite au rôle de la 6ème sous-section jugeant seule du 3 mai 2006 ; que ce dernier ayant sollicité la production, par le Premier ministre, de pièces supplémentaires, son affaire a été rayée de ce rôle et l'instruction a été réouverte ; que ces mesures d'instruction diligentées, la requête a, dans un second temps, été inscrite au rôle des 6ème et 1ère sous-sections réunies du 24 mai 2006 ; que M. A a été convoqué à l'audience du 24 mai 2006, dans le délai prévu par l'article R. 712-1 du code de justice administrative, par courrier du 17 mai 2006, reçu le 18 mai suivant ; que si M. A a produit, par voie de télécopie, pour partie le 23 mai 2006 à 21h50 et pour partie le 24 mai au matin, un nouveau mémoire de 98 pages, celui-ci ne comporte aucun moyen qui justifierait un nouveau renvoi de l'affaire ; que celle-ci est ainsi en état d'être jugée ; que dans ces conditions et eu égard en outre aux exigences qui imposent que cette affaire, dirigée contre un acte réglementaire, soit jugée dans un délai raisonnable, la demande de renvoi présentée par M. A le 24 mai 2006 ne peut être accueillie ;

Sur les conclusions de la requête :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 14-2 introduit dans de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques par la loi du 11 février 2004 : « La formation continue est obligatoire pour les avocats inscrits au tableau de l'ordre » ; que le second alinéa du même texte prévoit qu'« un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et la durée des activités susceptibles d'être validées au titre de l'obligation de formation continue. Le Conseil national des barreaux détermine les modalités selon lesquelles elle s'accomplit » ; que le décret du 21 décembre 2004 relatif à la formation professionnelle des avocats qui modifie le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat a été, dans cette mesure, pris pour son application ; qu'aux termes de l'article 85 du décret du 27 novembre 1991 dans sa rédaction issue de l'article 35 du décret du 21 décembre 2004, dont M. A demande l'annulation : « La formation continue prévue par l'article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée assure la mise à jour et le perfectionnement des connaissances nécessaires à l'exercice de sa profession pour l'avocat inscrit au tableau de l'ordre. /La durée de la formation continue est de vingt heures au cours d'une année civile ou de quarante heures au cours de deux années consécutives. /L'obligation de formation continue est satisfaite : /1° Par la participation à des actions de formation, à caractère juridique ou professionnel, dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle ou les établissements universitaires ; /2° Par la participation à des formations dispensées par des avocats ou d'autres établissements d'enseignement ; /3° Par l'assistance à des colloques ou à des conférences à caractère juridique ayant un lien avec l'activité professionnelle des avocats ; /4° Par la dispense d'enseignements à caractère juridique ayant un lien avec l'activité professionnelle des avocats, dans un cadre universitaire ou professionnel ; /5° Par la publication de travaux à caractère juridique. /Au cours des deux premières années d'exercice professionnel, cette formation inclut dix heures au moins portant sur la déontologie. Toutefois, au cours de cette même période, les personnes mentionnées à l'article 98 doivent consacrer la totalité de leur obligation de formation à des enseignements portant sur la déontologie et le statut professionnel. /A l'issue d'une période de cinq ans d'exercice professionnel, les titulaires d'une ou plusieurs mentions de spécialisation prévues à l'article 86 doivent avoir consacré le quart de la durée de leur formation continue à ce ou ces domaines de spécialisation. /Les modalités de mise en oeuvre des dispositions du présent article sont fixées par le Conseil national des barreaux. » ; qu'aux termes de l'article 85-1 du décret du 27 novembre 1991 créé par l'article 36 du décret du 21 décembre 2004, dont M. A demande également l'annulation : « Les avocats déclarent, au plus tard le 31 janvier de chaque année civile écoulée, auprès du conseil de l'ordre dont ils relèvent, les conditions dans lesquelles ils ont satisfait à leur obligation de formation continue au cours de l'année écoulée. Les justificatifs utiles à la vérification du respect de cette obligation sont joints à cette déclaration. » ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

Considérant qu'en vertu de l'article L. 462 ;2 du code de commerce, le Conseil de la concurrence « est obligatoirement consulté par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet :/ 1° De soumettre l'exercice d'une profession ou l'accès à un marché à des restrictions quantitatives ;/ 2° D'établir des droits exclusifs dans certaines zones ;/3° D'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente » ; que les dispositions contestées du décret du 21 décembre 2004 qui se bornent à préciser les modalités d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle des avocats prévues par la loi du 31 décembre 1971 modifiée n'instituent pas un régime nouveau au sens de l'article L. 461-2 du code de commerce ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le Conseil de la concurrence aurait dû être consulté préalablement à leur édiction ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué ;

Sur les moyens tirés de l'incompatibilité des dispositions introduites à l'article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 avec le droit communautaire :

Considérant, en premier lieu, que l'article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, en se bornant à poser le principe d'une formation continue obligatoire pour les avocats établis en France, quelle que soit leur origine, n'a, en tout état de cause, pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'établissement ou à la liberté de prestation de services des avocats telles qu'elles sont prévues par les articles 43 et 49 du Traité instituant la Communauté européenne et mises en oeuvre par la directive 77/249, du Conseil, du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice de la libre prestation de services par les avocats et par la directive 98/5/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise ;

Considérant, en second lieu, que le moyen invoqué par le requérant et tiré de la méconnaissance, par l'article 14-2 de cette loi, de principes généraux du droit communautaire est inopérant, dès lors que cette disposition n'a pas été prise pour la mise en oeuvre du droit communautaire ;

Sur les autres moyens :

Considérant, en premier lieu, que l'article 85 du décret du 27 novembre 1991 tel que modifié par l'article 35 du décret du 21 décembre 2004, a pu, sans porter atteinte au principe d'égalité, prévoir que la formation continue obligatoire peut résulter, au choix de l'avocat, de la participation à des actions de formation, de l'assistance à des colloques ou à des conférences, d'enseignements ou de la publication de travaux à caractère juridique, tout en renvoyant au Conseil national des barreaux le soin de prévoir les modalités de mise en oeuvre de ses dispositions ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'eu égard à leur objet qui est de définir la nature et la durée des activités susceptibles d'être validées au titre de l'obligation de formation continue, ces dispositions ne sauraient, en tout état de cause, porter atteinte aux exigences inhérentes à l'égalité devant la commande publique invoquées par le requérant ;

Considérant, en troisième lieu, que M. A ne saurait critiquer ces mêmes dispositions à raison de ce qu'elles prévoient une formation professionnelle obligatoire pour les avocats et méconnaîtraient ainsi la liberté d'entreprendre, le droit de propriété et le principe de sécurité juridique, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, elles ont été prises sur le fondement de l'article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifié qui pose lui-même le principe de cette obligation ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'eu égard à son objet, il ne saurait, en tout état de cause, être reproché au décret du 21 décembre 2004 de ne pas avoir prévu les modalités du choix des personnes auxquelles seront confiées des actions de formation professionnelle continue et, en tout état de cause, de méconnaître le principe de la liberté de concurrence ainsi que les articles, invoqués par le requérant, 2, 3 g), 10 et 81 §1 du traité CE ;

Considérant, en cinquième lieu, que l'obligation de suivre chaque année des sessions de formation professionnelle posée par l'article 14-2 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et précisée par l'article 85 du décret du 27 novembre 1991 ne méconnaît d'aucune manière ni la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni son premier protocole ni le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant, enfin, que les mêmes moyens invoqués à l'encontre des articles 16 et 17 du décret du 21 décembre 2004 relatifs à la formation initiale des avocats ne sont pas assortis des précisions permettant d'en examiner le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions attaquées du décret du 21 décembre 2004 ; que par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'une somme de 12 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe A, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6eme et 1ere sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 277263
Date de la décision : 19/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2006, n° 277263
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mlle Maud Vialettes
Rapporteur public ?: M. Guyomar

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:277263.20060619
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