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20/06/2006 | FRANCE | N°274752

France | France, Conseil d'État, 9eme et 10eme sous-sections reunies, 20 juin 2006, 274752


Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Igor A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 11 novembre 2004 par laquelle le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2004 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la

somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu...

Vu la requête, enregistrée le 1er décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Igor A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 11 novembre 2004 par laquelle le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 novembre 2004 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste Laignelot, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative ou dans les sept jours lorsqu'il est notifié par voie postale, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif (…) ; qu'aux termes des dispositions de l'article R. 776-6 du code de justice administrative : La requête doit être enregistrée au greffe du tribunal administratif dans les délais visés à l'article L. 776-1. Toutefois, si, au moment de la notification de l'arrêté, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée dans le même délai, soit auprès de ladite autorité administrative, soit au greffe du tribunal devant lequel il comparaît en vue de la prorogation de sa rétention administrative. Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, mention du dépôt est faite sur un registre ouvert à cet effet. Un récépissé indiquant la date et l'heure du dépôt est délivré au requérant. L'autorité qui a reçu la requête la transmet sans délai et par tous moyens au président du tribunal administratif ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 4 novembre 2004 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé la reconduite à la frontière de M. A, lui a été notifié le même jour à 12 h 30 ; que M. A, placé en rétention administrative par décision du préfet des Bouches-du-Rhône, a manifesté, consécutivement au rejet par le vice-président du tribunal de grande instance de Marseille le 6 novembre 2004 à 12 h 05 de la demande de prorogation de sa rétention administrative présentée par le préfet, la volonté de déposer une requête contre la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre ; qu'à cet effet, le conseil de M. A a tenté de saisir le tribunal administratif de Marseille par voie de télécopie à 12 h 15, c'est-à-dire en temps utile ; qu'il n'est pas contesté que la panne du télécopieur du tribunal administratif, l'a empêché de déposer ce recours ; que, compte tenu de la proximité de l'expiration du délai qui lui était imparti pour former un recours contre l'arrêté préfectoral prononçant sa reconduite à la frontière et dès lors qu'il était confronté à une impossibilité technique qui ne lui était pas imputable, M. A, qui était en droit d'utiliser cette voie de saisine, n'était pas légalement tenu, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge pour déclarer tardive sa requête, de tenter de recourir aux autres voies de saisine prévues par l'article R. 776 ;6 précité du code de justice administrative ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté pour tardiveté la demande de M. A ; que, par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Marseille ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ...3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) .

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, de nationalité ukrainienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 25 août 2003, de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 17 juillet 2003 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait, ainsi, dans le champ d'application de la disposition précitée ;

Sur l'exception tirée de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le préfet des Bouches-du-Rhône a procédé à l'examen préalable de la situation personnelle de M. A au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale, compte tenu des éléments qu'il avait fournis, avant de prendre à son encontre la mesure contestée ; qu'il ressort du mémoire en défense présenté par le préfet des Bouches-du-Rhône, et qu'il n'est pas contesté, que M. A n'avait pas mentionné dans sa demande de renouvellement de titre de séjour qu'il était le père de deux enfants nés en France en septembre 2002 de sa relation avec une ressortissante française ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le refus de titre de séjour serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté ;

Considérant que si M. A soutient qu'il est le père de deux enfants nés en France le 4 septembre 2002 de sa relation avec une ressortissante française avec laquelle il vit en concubinage, il ressort toutefois des pièces du dossier que cette situation de concubinage, laquelle n'existe que depuis le 17 septembre 2003, est postérieure à la décision de refus de titre de séjour et, en conséquence, sans influence sur sa légalité ; que si M. A était, à la date de la décision contestée, le père de deux enfants français qu'il a reconnus le 17 septembre 2002, il n'établit pas qu'il participait à l'exercice de l'autorité parentale ou qu'il subvenait à leurs besoins ; que dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et eu égard aux effets d'une décision de refus de titre de séjour, la décision contestée n'a pas porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, par suite, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. A, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; qu'il n'a pas non plus commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Sur les autres moyens :

Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, compte tenu du caractère récent du concubinage de l'intéressé, à la date de l'arrêté attaqué, avec la ressortissante française dont il a eu deux enfants et en l'absence d'élément permettant d'établir que M. A contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation des enfants du couple, la mesure de reconduite à la frontière prise à l'encontre de l'intéressé n'a pas, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, porté au droit de M. A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que dès lors, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant enfin que si M. A soutient qu'il ne représente pas un danger pour l'ordre public, cette circonstance est sans influence sur la légalité de l'arrêté attaqué ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Marseille doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 11 novembre 2004 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Igor A, au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 20 jui. 2006, n° 274752
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste Laignelot
Rapporteur public ?: M. Verclytte

Origine de la décision
Formation : 9eme et 10eme sous-sections reunies
Date de la décision : 20/06/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 274752
Numéro NOR : CETATEXT000008244585 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-06-20;274752 ?
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