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07/07/2006 | FRANCE | N°255315

France | France, Conseil d'État, 5eme et 4eme sous-sections reunies, 07 juillet 2006, 255315


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 18 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Joël A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 17 décembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du 30 juin 1998 du tribunal administratif de Caen, a rejeté, d'une part, ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte de valeur vénale des terrains de son exploitation agricole, comme portées devan

t une juridiction incompétente pour en connaître, d'autre part, sa demand...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mars et 18 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Joël A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 17 décembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du 30 juin 1998 du tribunal administratif de Caen, a rejeté, d'une part, ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte de valeur vénale des terrains de son exploitation agricole, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, d'autre part, sa demande présentée devant le tribunal administratif de Caen tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation de dommages qu'il aurait subis à la suite des opérations de remembrement liées aux travaux de construction de la section sud-ouest du boulevard périphérique de Caen, du fait de l'implantation de cet ouvrage public ;

2°) statuant au fond, de condamner l'Etat à lui verser la somme demandée au titre de la perte de valeur vénale de ses terres et de la dégradation de ses conditions d'exploitation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Sanson, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la déclaration d'utilité publique, par un arrêté du 16 juin 1993 du préfet du Calvados, de la construction de la section sud ;ouest du boulevard périphérique de Caen, des opérations de remembrement ont été organisées sur le territoire des communes d'Eterville, de Louvigny et de Maltot dans des conditions prévues par l'article L. 123 ;26 du code rural, les parcelles situées dans l'emprise de la voie à créer étant incluses dans le périmètre de remembrement ; qu'à l'issue de ces opérations, le domaine agricole exploité par M. A s'est trouvé divisé en deux parties situées de part et d'autre du boulevard périphérique ; que l'intéressé a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat, en sa qualité de maître de l'ouvrage, à réparer le préjudice résultant pour lui, d'une part, de la détérioration de ses conditions d'exploitation et, d'autre part, de la perte de valeur vénale de ses terres ; que le tribunal a rejeté l'ensemble de ces conclusions comme portées devant un ordre de juridiction incompétent ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir annulé le jugement pour irrégularité, s'est reconnue compétente pour connaître des conclusions relatives à la détérioration des conditions d'exploitation, qu'elle a rejetées comme non fondées ; que la cour a en revanche estimé que les conclusions relatives à la perte de valeur vénale ne ressortissaient pas à la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 123-24 du code rural, dans sa rédaction applicable au litige : « Lorsque les expropriations en vue de la réalisation des aménagements ou ouvrages mentionnés à l'article 2 de la loi n° 76 ;629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature sont susceptibles de compromettre la structure des exploitations dans une zone déterminée, l'obligation est faite au maître de l'ouvrage, dans l'acte déclaratif d'utilité publique, de remédier aux dommages causés en participant financièrement à l'exécution d'opérations de remembrement et de travaux connexes… » ; qu'aux termes de l'article L. 123-26 du même code : « Lorsqu'un remembrement est réalisé en application de l'article L. 123-24, les dispositions des articles L. 123-1 à L. 123-23 sont applicables. / Toutefois, sont autorisées les dérogations aux dispositions de l'article L. 123-1 qui seraient rendues inévitables en raison de l'implantation de l'ouvrage et des caractéristiques de la voirie mise en place à la suite de sa réalisation. Les dommages qui peuvent en résulter pour certains propriétaires et qui sont constatés à l'achèvement des opérations de remembrement sont considérés comme des dommages de travaux publics » ; que l'article L. 123-1 prévoit notamment que le remembrement a pour but d'améliorer l'exploitation agricole des biens qui y sont soumis ; qu'il résulte des dispositions de l'article R. 123-35 que lorsqu'un remembrement est organisé en application de l'article L. 123-24 et que les parcelles situées dans l'emprise de l'ouvrage à construire sont incluses dans le périmètre de remembrement, ces parcelles deviennent, à l'issue du remembrement, la propriété de l'association foncière qui doit les céder au maître de l'ouvrage ;

Considérant que, lorsqu'une exploitation agricole est coupée en deux par la création d'une voie publique, son propriétaire perçoit une indemnité, fixée par le juge judiciaire, seul compétent, couvrant à la fois l'expropriation proprement dite et les préjudices accessoires relatifs aux terrains conservés par le propriétaire et tenant notamment à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation ; qu'en revanche, lorsque la même opération s'accompagne d'un remembrement incluant les terrains nécessaires à sa réalisation, le propriétaire, qui a fait apport de ses terrains à l'association foncière, n'a pas la qualité d'exproprié et ne peut saisir le juge judiciaire ; qu'il est susceptible de percevoir, pour les terrains qu'il conserve après remembrement, une indemnité au titre de dommages de travaux publics et peut, en cas de contestation, saisir le juge administratif des deux chefs de préjudice tenant à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation ;

En ce qui concerne la détérioration des conditions d'exploitation :

Considérant que la cour administrative d'appel a relevé que M. A disposait, pour franchir le boulevard périphérique, d'un passage susceptible d'être emprunté par le bétail et que s'il était obligé à un détour d'environ 2 km en cas d'utilisation de gros engins agricoles, cet inconvénient n'excédait pas l'avantage qu'il retirait du rapprochement d'une partie de ses terres dont il avait bénéficié dans le cadre du remembrement ; que la cour a porté cette appréciation dans le cadre d'un pouvoir souverain, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis ; qu'elle en a déduit à bon droit que l'intéressé n'avait pas subi, du fait de la création de la voie, une détérioration de ses conditions d'exploitation engageant la responsabilité du maître de l'ouvrage dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 123-26 du code rural ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions relatives à la détérioration de ses conditions d'exploitation ;

En ce qui concerne la perte de valeur vénale :

Considérant que, pour décliner la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de M. A tendant à la réparation de la perte de valeur vénale de ses terres, que l'intéressé imputait à la création du boulevard périphérique, la cour a estimé que ce dommage était accessoire à l'expropriation des terrains servant d'assise à cet ouvrage et devait par suite être réparé par une indemnité fixée par le juge de l'expropriation ; qu'en jugeant de la sorte, alors que les parcelles situées dans l'emprise de la voie que M. A avaient apportées au remembrement étaient devenues la propriété de l'association foncière de remembrement avant d'être cédées au maître de l'ouvrage, et qu'ainsi l'intéressé n'avait pas la qualité d'exproprié, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit par suite être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. A tendant à la réparation de ce chef de préjudice ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans la mesure de cette annulation, l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les terres agricoles dont M. A est propriétaire aient subi, du fait de la création du boulevard périphérique, une perte de valeur vénale constitutive d'un préjudice anormal et spécial ; que sa demande tendant la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité à ce titre doit par suite être rejetée ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés par M. A et non compris dans les dépens soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 17 décembre 2002 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Caen, tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité au titre de la perte de valeur vénale de ses terres et le surplus des conclusions de sa requête présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Joël A et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

AGRICULTURE - CHASSE ET PÊCHE - REMEMBREMENT FONCIER AGRICOLE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES ORDRES DE JURIDICTION - DOMMAGES RÉSULTANT DE LA RÉALISATION D'UN OUVRAGE PUBLIC DONNANT LIEU À DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE ET REMEMBREMENT INCLUANT DANS SON PÉRIMÈTRE L'EMPRISE DE L'OUVRAGE - COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF [RJ1].

03-04-05 Lorsqu'une exploitation agricole est coupée en deux par la création d'une voie publique, son propriétaire perçoit une indemnité, fixée par le juge judiciaire, seul compétent, couvrant à la fois l'expropriation proprement dite et les préjudices accessoires relatifs aux terrains conservés par le propriétaire et tenant notamment à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation. En revanche, lorsque la même opération s'accompagne d'un remembrement incluant les terrains nécessaires à sa réalisation, le propriétaire, qui a fait apport de ses terrains à l'association foncière, n'a pas la qualité d'exproprié et ne peut saisir le juge judiciaire. Il est en revanche susceptible de percevoir, pour les terrains qu'il conserve après remembrement, une indemnité au titre de dommages de travaux publics et peut, en cas de contestation, saisir le juge administratif des deux chefs de préjudice tenant à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation.

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LES ORDRES DE JURIDICTION - DOMMAGES RÉSULTANT DE LA RÉALISATION D'UN OUVRAGE PUBLIC DONNANT LIEU À DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE ET REMEMBREMENT INCLUANT DANS SON PÉRIMÈTRE L'EMPRISE DE L'OUVRAGE - COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF [RJ1].

34-04-01 Lorsqu'une exploitation agricole est coupée en deux par la création d'une voie publique, son propriétaire perçoit une indemnité, fixée par le juge judiciaire, seul compétent, couvrant à la fois l'expropriation proprement dite et les préjudices accessoires relatifs aux terrains conservés par le propriétaire et tenant notamment à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation. En revanche, lorsque la même opération s'accompagne d'un remembrement incluant les terrains nécessaires à sa réalisation, le propriétaire, qui a fait apport de ses terrains à l'association foncière, n'a pas la qualité d'exproprié et ne peut saisir le juge judiciaire. Il est en revanche susceptible de percevoir, pour les terrains qu'il conserve après remembrement, une indemnité au titre de dommages de travaux publics et peut, en cas de contestation, saisir le juge administratif des deux chefs de préjudice tenant à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation.

TRAVAUX PUBLICS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - COMPÉTENCE - DOMMAGES RÉSULTANT DE LA RÉALISATION D'UN OUVRAGE PUBLIC DONNANT LIEU À DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE ET REMEMBREMENT INCLUANT DANS SON PÉRIMÈTRE L'EMPRISE DE L'OUVRAGE - COMPÉTENCE DU JUGE ADMINISTRATIF [RJ1].

67-05-005 Lorsqu'une exploitation agricole est coupée en deux par la création d'une voie publique, son propriétaire perçoit une indemnité, fixée par le juge judiciaire, seul compétent, couvrant à la fois l'expropriation proprement dite et les préjudices accessoires relatifs aux terrains conservés par le propriétaire et tenant notamment à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation. En revanche, lorsque la même opération s'accompagne d'un remembrement incluant les terrains nécessaires à sa réalisation, le propriétaire, qui a fait apport de ses terrains à l'association foncière, n'a pas la qualité d'exproprié et ne peut saisir le juge judiciaire. Il est en revanche susceptible de percevoir, pour les terrains qu'il conserve après remembrement, une indemnité au titre de dommages de travaux publics et peut, en cas de contestation, saisir le juge administratif des deux chefs de préjudice tenant à la perte de valeur vénale de ces terrains et à la détérioration de leurs conditions d'exploitation.


Références :

[RJ1]

Cf. sol. contr. TC, 5 décembre 1977, Selo, p. 669.


Publications
Proposition de citation: CE, 07 jui. 2006, n° 255315
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Marc Sanson
Rapporteur public ?: M. Chauvaux
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU

Origine de la décision
Formation : 5eme et 4eme sous-sections reunies
Date de la décision : 07/07/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 255315
Numéro NOR : CETATEXT000008241509 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-07-07;255315 ?
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