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27/09/2006 | FRANCE | N°269925

France | France, Conseil d'État, 7eme et 2eme sous-sections reunies, 27 septembre 2006, 269925


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 10 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, dont le siège est ... (92003) ; la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, venant aux droits de la société Barbé, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 mai 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, à la demande du département d'Ille-et-Vilaine, a réduit à 44 325 euros la somme que ce département avait été condamné à payer à la société Barbé par un juge

ment en date du 31 janvier 2001 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de m...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 10 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, dont le siège est ... (92003) ; la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, venant aux droits de la société Barbé, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 mai 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, à la demande du département d'Ille-et-Vilaine, a réduit à 44 325 euros la somme que ce département avait été condamné à payer à la société Barbé par un jugement en date du 31 janvier 2001 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, de la SCP Defrenois, Levis, avocat du bureau d'études OTH Ouest et de la SCP Le Bret-Desaché, avocat du département D'Ille et Vilaine,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département d'Ille et Vilaine a confié, par un marché en date du 4 septembre 1992, la maîtrise d'oeuvre des travaux d'agrandissement des anciens locaux de l'école normale à Rennes afin d'y accueillir un institut d'études politiques, au cabinet d'architecte
X...
et au bureau d'études OTH Ouest et a chargé, par un marché en date du 30 novembre 1992, la société Barbé du lot gros oeuvre ; que la société Barbé a demandé la condamnation du département d'Ille et Vilaine à l'indemniser à concurrence d'une part des travaux supplémentaires qu'elle a été conduite à réaliser sur ordre des maîtres d'oeuvre et d'autre part des travaux de fondation rendus nécessaires par des sujétions imprévues ; que, par un arrêt en date du 14 mai 2004, la cour administrative d'appel de Nantes a réduit à la somme de 44 325 euros la condamnation mise à la charge du département par le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 31 janvier 2001 au titre des travaux supplémentaires et a confirmé le rejet de la demande de la société Barbé au titre des sujétions imprévues ainsi que le rejet de l'appel en garantie formé par le département contre les maîtres d'oeuvre ; que la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, venant aux droits de la société Barbé, se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; que le département d'Ille et Vilaine a présenté des conclusions incidentes ;

Sur l'arrêt de la cour en tant qu'il statue sur l'indemnisation des sujétions imprévues :

Considérant que l'indemnisation des sujétions imprévues n'est possible que si les difficultés rencontrées dans l'exécution du contrat présentent un caractère à la fois exceptionnel, imprévisible et extérieur aux parties et, pour les marchés à forfait, si, en outre ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du contrat ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Nantes a pu, sans commettre d'erreur de droit, dès lors que les conditions susrappelées sont cumulatives, se fonder sur l'absence de caractère imprévisible des difficultés rencontrées lors de l'exécution des travaux de fondation pour rejeter la demande d'indemnisation présentée par la société Barbé au titre des sujétions imprévues ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le rapport géotechnique figurant dans le dossier de consultation remis aux entreprises candidates à l'attribution du marché mentionnait l'existence d'une carrière dans l'emprise du projet dont les contours ne pouvaient être définis et soulignait les variations importantes du toit du substratum qui en résultait ; que si cette étude indiquait qu'en bordure du bâtiment existant, la profondeur était faible, elle ne précisait pas l'étendue de la zone en cause ; qu'ainsi, en jugeant que les difficultés rencontrées par la société Barbé pour asseoir les fondations de l'ouvrage ne présentaient pas un caractère imprévisible, la cour n'a pas dénaturé le rapport géotechnique ;

Sur l'arrêt de la cour en tant qu'il statue sur l'indemnisation des travaux supplémentaires :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête de la SOCIETE GTM CONSTRUCTION et des conclusions incidentes du département d'Ille et Vilaine ;

Considérant que l'entrepreneur peut demander à être indemnisé à hauteur des travaux supplémentaires qu'il a réalisés sans ordre de service du maître de l'ouvrage dès lors que ces travaux sont indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ; que dès lors, si la cour a pu écarter l'indemnisation demandée au titre des travaux supplémentaires à raison des prestations imposées par les stipulations contractuelles, elle a commis une erreur de droit en jugeant que la société Barbé n'était pas en droit d'obtenir le paiement des travaux non prévus par le contrat mais exécutés pour rendre certaines parties de l'ouvrage conformes aux règles de l'art ;

Sur l'arrêt de la cour en tant qu'il statue sur l'appel en garantie du département :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la réception des travaux a été prononcée le 9 mai 1994, avec effet au 15 octobre 1993, et n'a été assortie que d'une seule réserve sur le béton utilisé ; que si cette réception, à l'exception de sa réserve, ne met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les maîtres d'oeuvre qu'en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage et ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre soit recherchée à raison des manquements à leur obligation de conseil du maître de l'ouvrage au moment de la réception des travaux ou des fautes commises dans le contrôle des situations de travaux servant au calcul des comptes des entreprises, toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conclusions en garantie formées par le département d'Ille et Vilaine contre les maîtres d'oeuvre n'étaient pas fondées sur des fautes commises par ces derniers lors de la réception des travaux ou le contrôle des situations de travaux ; que, dès lors, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que la réception de l'ouvrage rendait le département irrecevable à demander à être garanti à hauteur des condamnations prononcées à son encontre par les maîtres d'oeuvre ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE GTM CONSTRUCTION est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'indemnisation des travaux supplémentaires de la société Barbé ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, dans cette mesure, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise, dont les conclusions ne sont pas utilement contestées par le département d'Ille et Vilaine, que le cahier des clauses techniques particulières applicables au marché de la société Barbé ne prévoyait qu'un béton clair de ciment blanc pour le coffrage et les murs pignons en sous-sol et non le béton blanc exigé par le maître d'oeuvre ; que de même ni l'approfondissement du soubassement, ni le dallage de la passerelle, ni la surcharge de 40 % de la dalle de couverture de l'amphithéâtre, ni l'évacuation des eaux pluviales dans les issues de secours, ni le renforcement du dallage, ni le cloisonnement des gaines de reprise d'air n'étaient prévus par le cahier des clauses techniques particulières applicables au marché ; qu'en revanche, si la société requérante demande l'indemnisation des frais d'un couronnement en béton moulé, il résulte de l'instruction que la société était chargée de la réalisation des études nécessaires pour ce béton ; qu'elle ne saurait dès lors avoir droit à une indemnisation à raison des erreurs commises dans ces études ; que par ailleurs, si l'expert a retenu un retard d'1,70 mois subi par l'entreprise, il a inclus dans ce retard non seulement les travaux supplémentaires mais aussi les sujétions liées aux fondations ; qu'il y a lieu dès lors de ne retenir, au titre des travaux supplémentaires précités, des frais résultant de l'allongement du chantier qu' à hauteur de la moitié de l'évaluation faite par l'expert ; qu'il y a lieu aussi de prendre en compte au titre des travaux supplémentaires deux des trois devis dont l'expert indique qu'ils n'ont pas été régularisés et qui ont été acceptés par le département ; qu'ainsi, les travaux supplémentaires réalisés par la société Barbé s'élèvent à la somme totale de 152 111 euros ; que s'agissant de travaux utiles exécutés sans ordre de service mais sur ordre verbal du maître d'oeuvre, la SOCIETE GTM CONSTRUCTION peut prétendre au remboursement des dépenses utiles exposées déduction faite de son bénéfice ; que l'évaluation de ce bénéfice à hauteur de 10 % opérée par le tribunal administratif n'étant pas contestée, il y a lieu d'en faire application ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le département d'Ille et Vilaine est fondé à demander que la condamnation mise à sa charge par le jugement attaqué du tribunal administratif de Rennes soit ramenée à 138 283 euros ; que la SOCIETE GTM CONSTRUCTION a demandé, par un mémoire enregistré devant la cour administrative d'appel le 11 juin 2003, la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date, et si le département n'avait pas versé à la société la somme mise à sa charge par le tribunal administratif, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dans cette mesure de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du département d'Ille et Vilaine une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE GTM CONSTRUCTION et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 14 mai 2004 est annulé en tant qu'il statue sur l'indemnisation due par le département d'Ille et Vilaine à la société Barbé, aux droits de laquelle se trouve la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, au titre des travaux supplémentaires.

Article 2 : La condamnation mise à la charge du département d'Ille et Vilaine par le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 31 janvier 2001 est ramenée à la somme de 138 283 euros. Les intérêts dus sur cette somme à la date du 11 juin 2003 seront capitalisés à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date si à cette date le département n'avait pas versé à la société les sommes mises à sa charge par le tribunal administratif.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 31 janvier 2001 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le département d'Ille et Vilaine versera à la SOCIETE GTM CONSTRUCTION la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE GTM CONSTRUCTION et du département d'Ille et Vilaine devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Nantes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE GTM CONSTRUCTION, au département d'Ille et Vilaine, à l'atelier d'architecture Gaëlle X... et associés, au bureau d'études OTH Ouest et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 27 sep. 2006, n° 269925
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mme Nathalie Escaut
Rapporteur public ?: M. Boulouis
Avocat(s) : SCP PARMENTIER, DIDIER ; SCP DEFRENOIS, LEVIS ; SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Formation : 7eme et 2eme sous-sections reunies
Date de la décision : 27/09/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 269925
Numéro NOR : CETATEXT000008220324 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-09-27;269925 ?
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