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02/10/2006 | FRANCE | N°281632

France | France, Conseil d'État, 6eme et 1ere sous-sections reunies, 02 octobre 2006, 281632


Vu la requête, enregistrée le 16 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Philippe A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2005-531 du 24 mai 2005 modifiant le décret n° 91 ;1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et relatif à la discipline ;

2°) de saisir avant dire droit la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle afin d'apprécier si les articles 43, 49, 81 et 82 du Traité de Rome du 25 mars 1957, le règlement n° 1-2003 du Conseil du 16

décembre 2002, la directive n° 2004 /18 CE du Conseil du 31 mars 2004, les pr...

Vu la requête, enregistrée le 16 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Philippe A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2005-531 du 24 mai 2005 modifiant le décret n° 91 ;1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat et relatif à la discipline ;

2°) de saisir avant dire droit la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle afin d'apprécier si les articles 43, 49, 81 et 82 du Traité de Rome du 25 mars 1957, le règlement n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002, la directive n° 2004 /18 CE du Conseil du 31 mars 2004, les principes de la sécurité juridique, de la protection de la confiance légitime et des droits acquis et les articles 3, 4, 6, 8, 9, 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1 de son protocole additionnel, les articles 2, 7, 8, 14, 17, 18 et 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 s'opposent à une législation d'un Etat membre comme la loi française n° 71-1130 du 13 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mai 2005.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques, en date du 19 décembre 1966 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines profession judiciaires et juridiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Hoynck, Auditeur,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le titre I de la loi du 31 décembre 1971 est consacré à la profession d'avocat ; qu'en vertu de son article 53, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application de ce titre, notamment les règles de déontologie ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires, dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession ; que ses articles 22 à 25-1 définissent les principes de la discipline applicable à cette profession ; que l'article 22-1 confie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les règles de composition des conseils de discipline ;

Considérant que les règles professionnelles destinées à protéger les destinataires de prestations de services constituent une exigence impérieuse d'intérêt général de nature à justifier une atteinte aux libertés d'établissement et de prestation de service prévues par les articles 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne ; que le régime de discipline des avocats prévu par la loi du 31 décembre 1971 est proportionné à cette exigence ; qu'il s'en suit que le moyen tiré de ce que cette loi porte une atteinte injustifiée au droit d'établissement et à la libre prestation de service des avocats, au motif que les sanctions disciplinaires prononcées par les instances disciplinaires auraient pour effet d'empêcher l'établissement ou la prestation de services dans un autre Etat membre d'un avocat français, ne peut qu'être écarté ;

Considérant que les dispositions de la loi du 31 décembre 1971 déterminant le régime disciplinaire des avocats ne sont incompatibles ni avec les articles 3, 4, et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article premier de son premier protocole additionnel, ni avec les articles 7 et 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant que la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, institue des conseils de discipline dans le ressort de chaque cour d'appel pour connaître des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis ; que le principe d'impartialité, rappelé par l'article 6, paragraphe premier de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne s'oppose pas, contrairement à ce que soutient le requérant, à ce que ces instances soient composées d'avocats ; qu'en prévoyant cette composition, la loi sur le fondement de laquelle a été pris le décret attaqué n'est pas non plus contraire à l'article 14 paragraphe premier du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant que si le requérant soutient, sans davantage de précision, que la loi en cause est contraire au principe de non-discrimination posé par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non-discrimination qu'il édicte, ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite convention et par les protocoles additionnels à celle-ci ; que dès lors, il appartient au requérant qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait privé de base légale en raison de l'incompatibilité de la loi du 31 décembre 1971 avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole et avec celles du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant que la loi du 31 décembre 1971, qui pose le principe d'indépendance des avocats, institue également une procédure disciplinaire ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret, en organisant la procédure disciplinaire, contreviendrait au principe d'indépendance des avocats posé par la loi doit être écarté ;

Considérant que le 3° de l'article premier du décret attaqué modifie l'article 184 du décret du 27 novembre 1991, en prévoyant que le prononcé de certaines peines disciplinaires définies par ce décret peut être assorti de la privation du droit de faire partie du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier ; que de telles sanctions ne constituent pas, contrairement à ce que soutient le requérant, une atteinte aux biens protégés par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que cette disposition ne méconnaît ni le principe de légalité des délits et des peines ni celui de nécessité des peines ; qu'elle n'a, par elle-même, ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à la liberté d'entreprendre ou au droit de propriété des avocats ;

Considérant que le décret attaqué modifie l'article 194 du décret du 27 novembre 1991 et dispose que : « Les débats sont publics. Toutefois, l'instance disciplinaire peut décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en chambre du conseil à la demande de l'une des parties ou s'il doit résulter de leur publicité une atteinte à l'intimité de la vie privée » ; que cette disposition n'est incompatible ni avec l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni avec l'article 14 paragraphe 1 du pacte international des droits civils et politiques ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ; que les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 doivent être rejetées par voie de conséquence ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : la requêté de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe A, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 02 oct. 2006, n° 281632
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Stéphane Hoynck
Rapporteur public ?: M. Aguila

Origine de la décision
Formation : 6eme et 1ere sous-sections reunies
Date de la décision : 02/10/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 281632
Numéro NOR : CETATEXT000008241967 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-10-02;281632 ?
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