La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/11/2006 | FRANCE | N°298164

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 08 novembre 2006, 298164


Vu la requête, enregistrée le 16 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION SOS RACISME, dont le siège est à Paris (75019) ; l'ASSOCIATION SOS RACISME demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire en 30 juillet 2006 relatif à l'informatisation de la procédure d'éloignement par la création d'un traitement de données à caractère personnel au sein du ministère de l'intérieur ;

2°) de mettre

à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code d...

Vu la requête, enregistrée le 16 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION SOS RACISME, dont le siège est à Paris (75019) ; l'ASSOCIATION SOS RACISME demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire en 30 juillet 2006 relatif à l'informatisation de la procédure d'éloignement par la création d'un traitement de données à caractère personnel au sein du ministère de l'intérieur ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

l'ASSOCIATION SOS RACISME soutient que l'arrêté est entaché d'incompétence en ce que d'une part, les données relatives aux étrangers, aux hébergeants et aux visiteurs visés par le fichier font partie des catégories mentionnées à l'article 8-I de la loi du 6 janvier 1978, catégories pour lesquelles la création d'un fichier informatisé doit être autorisée par un décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé de la Commission nationale informatique et liberté, en vertu de l'article 26-II de la loi du 6 janvier 1978 ; en ce que d'autre part, le fichier litigieux, visant le recueil de données susceptibles de concerner des personnes faisant l'objet de mesures ordonnées par le juge judiciaire, aurait du être pris par un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du Garde des sceaux ; en ce qu'enfin, l'arrêté attaqué aurait du être pris après avis motivé et publié de la Commission nationale informatique et liberté, aux termes de l'article 26-I de la loi du 6 janvier 1978, modifié par l'article 4 de la loi du 6 août 2004 tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel ; qu'en outre, l'arrêté litigieux est entaché de plusieurs vices de légalité interne ; qu'ainsi, l'arrêté du 30 juillet 2006 viole l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, en ce que les données à caractère personnel concernant les étrangers, les hébergeants et les visiteurs ne sont ni adéquates ni pertinentes ni proportionnées par rapport aux finalités poursuivies par le fichier ; qu'ensuite, la durée de conservation des données, fixée à 3 ans par l'article 3 de l'arrêté, est manifestement excessive, le point de départ du délai de conservation étant du reste insuffisamment déterminé ; qu'enfin, l'article 4 de l'arrêté du 30 juillet 2006, en désignant notamment comme destinataires des données les services de police ou de gendarmerie en charge de la gestion des lieux de rétention individuellement habilités et dûment désignés, a ouvert un accès trop large aux informations traitées ; que l'urgence est caractérisée ; qu'en effet, la mise en oeuvre du fichier litigieux risque de créer une suspicion à l'égard des étrangers qu'il concerne et dissuadera ceux qui le souhaitent d'héberger ou de visiter des étrangers, par crainte de voir des données les concernant apparaître sur le fichier ; que, compte tenu des conséquences irréversibles que la mise en oeuvre de ce fichier pourra avoir, l'urgence à suspendre l'arrêté attaqué est démontrée ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête aux fins d'annulation présentée par l'ASSOCIATION SOS RACISME à l'encontre de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2006, présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il n'y a pas de situation d'urgence ; qu'en effet, les éléments que l'ASSOCIATION SOS RACISME fait valoir au titre de l'urgence sont de simples spéculations, sans pertinence au regard de l'objet du fichier ELOI ; que, sur la compétence, la création du fichier ELOI ne nécessitait pas un décret en Conseil d'Etat, dès lors que les données relatives aux étrangers et aux hébergeants, qui ne font apparaître ni les origines raciales ou ethniques, ni les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ni l'appartenance syndicale, ne rentrent dans le champ des articles 8 et 26-II de la loi du 6 janvier 1978 ; qu'en outre, la création du fichier a respecté les dispositions de l'article 28-II de la loi du 6 janvier 1978, qui prévoient que pour les fichiers relevant de l'article 26, est réputé favorable l'avis demandé à la Commission nationale informatique et liberté qui n'est pas rendu dans le délai prévu au I de l'article 26 ; qu'enfin, l'arrêté attaqué n'appelant aucune mesure d'exécution de la part du ministre de la justice, ce dernier n'était pas tenu de le co-signer ; que, sur la légalité interne, les moyens de l'association requérante ne sont pas fondés ; qu'en effet, s'agissant des étrangers visés par le fichier d'une part, des hébergeants et des visiteurs d'autre part, les données collectées se rapportent à des finalités déterminées, explicites et légitimes, et sont adéquates, pertinentes et non-excessives au regard de ces finalités, conformément aux dispositions de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 ; que, de plus, la durée de conservation des données, fixée à 3 ans par l'article 3 de l'arrêté attaqué, est proportionnée à la nature et aux finalités du fichier, ce dernier visant à la fois l'amélioration des procédures d'éloignement des étrangers et la nécessité d'une surveillance particulière au regard de l'ordre public ; qu'enfin, la confidentialité des données est suffisamment assurée par l'article 4 de l'arrêté litigieux, qui prévoit une habilitation individuelle des membres des services de police et de gendarmerie en charge de la gestion des lieux de rétention ; que, du reste, l'organisation technique du fichier apporte des garanties suffisantes de confidentialité ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 2 novembre 2006, présenté par l'ASSOCIATION SOS RACISME ; l'association requérante persiste dans ses précédentes conclusions ; elle soutient, outre les moyens déjà développés, que s'agissant de l'urgence, le préjudice susceptible de résulter de l'arrêté critiqué n'a pas besoin d'être d'ores et déjà réalisé ; que pourtant, le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément de nature à établir que les risques évoqués par l'ASSOCIATION SOS RACISME n'ont pas de chance de se réaliser ; que, sur la compétence, le fichier ne pouvait être institué que par un décret en Conseil d'Etat dès lors que les données litigieuses sont visées non seulement par l'article 8-I, mais aussi par l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978 ; que, s'agissant des données relatives aux visiteurs, les explications du ministre de l'intérieur précisant et restreignant la notion de visiteur au sens de l'arrêté attaqué démontrent que la généralité des termes employés par l'article 2-2° de la décision litigieuse entache cette dernière d'illégalité ; que, par ailleurs, les explications du ministre de l'intérieur sur la détermination du point de départ du délai de conservation des données ne permettent pas de justifier la pertinence du délai de 3 ans retenu ; qu'enfin, il résulte des écritures du ministre de l'intérieur que le fichier litigieux vise à lutter contre les filières d'immigration clandestine alors que seul l'objectif d'amélioration de l'exécution des mesures d'éloignement a présidé à l'édiction de l'arrêté du 30 juillet 2006 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part l'ASSOCIATION SOS RACISME et d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 7 novembre 2006 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

-Me Masse-Dessen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ASSOCIATION SOS RACISME ;

-le représentant de l'ASSOCIATION SOS RACISME ;

-les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée non seulement à la circonstance que soit invoqué un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, mais également à la condition qu'il y ait urgence ; que l'urgence ne justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif que pour autant que son exécution porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés saisi d'une demande tendant à la suspension d'un tel acte, d'apprécier concrètement compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celui-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

Considérant que pour demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 30 juillet 2006 relatif à l'informatisation de la procédure d'éloignement par la création d'un traitement de données à caractère personnel au sein du ministère de l'intérieur, l'association requérante fait valoir que la création de ce fichier est de nature à porter directement atteinte aux intérêts des étrangers qui y figureraient et à dissuader des personnes d'héberger des étrangers en situation irrégulière qui seraient assignés à résidence ou de rendre visite à des étrangers placés en rétention administrative dès lors que certaines données relatives à ces personnes y seraient également portées ; que toutefois, le ministre de l'intérieur a indiqué au cours de l'audience qu'à ce jour, ce traitement automatisé n'a pas encore été mis en oeuvre ; que par suite, en l'état de l'instruction, et alors que le Conseil d'Etat est en mesure de statuer au fond sur la requête dans un délai qui n'excèdera pas quatre mois, il n'apparaît pas que l'urgence justifie la suspension de l'arrêté litigieux ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à l'association requérante la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de ASSOCIATION SOS RACISME est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ASSOCIATION SOS RACISME et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 298164
Date de la décision : 08/11/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2006, n° 298164
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:298164.20061108
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award