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15/11/2006 | FRANCE | N°289805

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 15 novembre 2006, 289805


Vu le recours, enregistré le 2 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 29 novembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, faisant droit aux conclusions de l'appel dirigé par M. Jacques A contre le jugement du 5 novembre 2004 par lequel le tribunal administratif d'Amiens avait rejeté sa demande en restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il av

ait spontanément acquittés, pour un montant de 20 764 euros, au...

Vu le recours, enregistré le 2 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 29 novembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, faisant droit aux conclusions de l'appel dirigé par M. Jacques A contre le jugement du 5 novembre 2004 par lequel le tribunal administratif d'Amiens avait rejeté sa demande en restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il avait spontanément acquittés, pour un montant de 20 764 euros, au titre de la période courant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1998, a, d'une part annulé ce jugement, et d'autre part, accordé à M. A la restitution demandée ;

2°) statuant au fond, de remettre à la charge de M. A les droits de taxe sur la valeur ajoutée en litige ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le décret n° 85-918 du 26 août 1985 ;

Vu le décret n° 96-879 du 8 octobre 1996 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Emmanuelle Cortot, Auditeur,

- les observations de la SCP Boullez, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, exerçant la profession de masseur-kinésithérapeute, a indiqué, dans les déclarations qu'il a remises à l'administration fiscale pour la période courant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1998, avoir accompli des actes d'ostéopathie passibles de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'après avoir spontanément acquitté les droits correspondants, d'un montant de 20 764 euros, M. A a déposé, le 16 avril 1999, une réclamation tendant à en obtenir la restitution ; que cette réclamation a été rejetée par une décision du directeur des services fiscaux de la Somme, qui a été notifiée à M. A le 16 août 2000 ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 novembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, faisant droit aux conclusions de l'appel dirigé par M. A contre le jugement du 5 novembre 2004 par lequel le tribunal administratif d'Amiens avait rejeté sa demande en restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée susmentionnés, a, d'une part, annulé ce jugement, et d'autre part, accordé à M. A la restitution demandée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du recours ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 261 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : ... 4. 1° Les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales... ; que le législateur a ainsi entendu exonérer les actes régulièrement dispensés par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées par une disposition législative ou par un texte pris en application d'une telle disposition ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : Lorsque, ayant donné son accord au redressement ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la notification de redressement, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de redressement, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable ou d'après le contenu d'un acte présenté par lui à la formalité de l'enregistrement ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un contribuable ne peut obtenir la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés conformément à ses déclarations qu'à la condition d'en établir le mal fondé ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article 261 du code général des impôts et de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales qu'un masseur-kinésithérapeute ayant déclaré avoir accompli des actes d'ostéopathie passibles de la taxe sur la valeur ajoutée, et ayant spontanément acquitté les droits correspondants, ne peut obtenir la restitution desdits droits qu'à la condition d'établir que les actes d'ostéopathie en cause étaient en réalité au nombre de ceux qu'il était habilité à dispenser en vertu de la réglementation applicable à sa profession ; qu'il suit de là qu'en se fondant, pour faire droit à la demande en restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée déclarés et spontanément acquittés par M. A, sur le seul motif que l'intéressé affirmait, sans que l'administration soit en mesure de le démentir sur ce point, que les actes d'ostéopathie qu'il avait accomplis étaient au nombre de ceux que les masseurs-kinésithérapeutes sont réglementairement habilités à dispenser, la cour a inversé la charge de la preuve et commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales ; qu'il suit de là que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A n'apporte pas la preuve, dont, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la charge lui incombe dès lors qu'il demande la restitution de droits de taxe sur la valeur ajoutée spontanément acquittés par lui conformément aux déclarations qu'il avait souscrites, que les actes d'ostéopathie qu'il a accomplis durant la période courant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1998 auraient été dispensés dans le cadre des dispositions réglementaires applicables aux masseurs-kinésithérapeutes, notamment du c) de l'article 7 du décret du 8 août 1996, reprenant l'article 6 du décret du 26 août 1985 et habilitant les masseurs-kinésithérapeutes à pratiquer, sur prescription médicale, des actes de mobilisation manuelle de toutes les articulations, à l'exclusion des manoeuvres de force ; qu'en particulier, M. A ne produit aucun élément relatif à sa pratique qui permettrait d'appréhender la nature des actes qu'il a accomplis sous la dénomination d'actes d'ostéopathie ou les conditions dans lesquelles lesdits actes ont été effectués ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ;

Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts des dispositions établissant cette distinction ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 261 du code général des impôts qu'un masseur-kinésithérapeute ayant été assujetti à des compléments de taxe sur la valeur ajoutée est fondé à soutenir qu'il doit en être déchargé dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait accompli des actes qui n'étaient pas au nombre de ceux qu'il était réglementairement habilité à dispenser ; qu'à l'inverse, il résulte des dispositions précitées du second alinéa de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales, combinées avec celles de l'article 261 du code général des impôts, qu'un masseur kinésithérapeute ayant déclaré et spontanément acquitté des droits de taxe sur la valeur ajoutée n'est fondé à soutenir que ces droits doivent lui être restitués qu'à la condition de démontrer qu'ils correspondent à des actes qu'il était réglementairement habilité à dispenser ; que M. A soutient que la différence de traitement ainsi instituée par les dispositions de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales entre les masseurs-kinésithérapeutes ayant spontanément déclaré être redevables de la taxe sur la valeur ajoutée et ceux ne l'ayant pas fait, serait discriminatoire ;

Considérant que les dispositions du second alinéa de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales ont pour objet d'assurer la sincérité et l'exactitude des déclarations des contribuables ; que la différence de situation existant entre les contribuables ayant spontanément déclaré être redevables de la taxe sur la valeur ajoutée et ceux ne l'ayant pas fait, justifie, eu égard à cet objet, la différence de traitement susmentionnée ; qu'il suit de là que M. A n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du second alinéa de l'article R.* 194-1 du livre des procédures fiscales, fondant le refus qui lui a été opposé de lui restituer les droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés au titre de la période courant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1998, seraient incompatibles avec les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en troisième lieu, que les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent être utilement invoquées pour contester les discriminations résultant d'une interprétation de la loi fiscale ; qu'ainsi M. A ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations pour soutenir qu'ayant appliqué la doctrine administrative contenue dans l'instruction du 22 décembre 1993, selon laquelle les actes d'ostéopathie accomplis par les masseurs-kinésithérapeutes étaient passibles de la taxe sur la valeur ajoutée, il aurait été placé dans une situation moins favorable que les contribuables qui, alors qu'ils entraient dans les prévisions de cette instruction, se sont abstenus de s'y conformer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la restitution des droits de taxe sur la valeur ajoutée qu'il a déclarés et spontanément acquittés pour la période courant du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1998 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en date du 29 novembre 2005 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de M. A devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. Jacques A.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 289805
Date de la décision : 15/11/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 nov. 2006, n° 289805
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: Mlle Emmanuelle Cortot
Rapporteur public ?: M. Verclytte
Avocat(s) : SCP BOULLEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:289805.20061115
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