Vu la requête, enregistrée le 4 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. A, demeurant chez Mme Madeleine B, ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret du 28 juillet 2006 du Président de la République portant dissolution du groupement de fait « Tribu Ka » ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Edouard Geffray, Auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le décret attaqué, qui prononce la dissolution du groupement de fait « Tribu Ka », est fondé sur les dispositions de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées qui dispose : « Seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : (...) 6° (...) qui, soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence (...) » ;
Considérant, en premier lieu, qu'en relevant que le groupement de fait « Tribu Ka », « à travers ses communiqués de presse, les publications de son site internet et les déclarations de ses responsables, se livre à la propagation d'idées et de théories tendant à justifier et à encourager la discrimination, la haine et la violence raciales, notamment à l'encontre des personnes qui ne sont pas de couleur noire, qu'il prône également l'antisémitisme et qu'il a organisé des actions menaçantes à l'égard de personnes de confession juive », le décret attaqué ne se borne pas à reprendre les dispositions précitées de la loi du 10 janvier 1936, mais énonce les considérations de fait et de droit sur lesquels il est fondé ; qu'il est, par suite, suffisamment motivé ;
Considérant, en deuxième lieu, que la « Tribu Ka », qui réunit au sein d'un groupe organisé des personnes en vue de leur expression collective, et dont M. A se déclare le responsable, constitue un groupement de fait au sens des dispositions précitées de la loi du 10 janvier 1936 ; qu'il ressort des pièces du dossier que par leurs déclarations, leurs communiqués de presse et les messages diffusés sur leur site internet, ainsi que par une action collective à caractère antisémite, concertée et organisée, commise le 28 mai 2006, rue des Rosiers, à Paris, les membres de la « Tribu Ka » ont provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence envers des personnes à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée, et propagé des idées ou théories à caractère raciste et antisémite ; que dès lors, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ses membres n'auraient pas fait, à la date du décret attaqué, l'objet de condamnations pénales pour les faits reprochés, le groupement de fait « Tribu Ka » était susceptible d'être dissous en application du 6° de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936 ;
Considérant que la circonstance, à la supposer établie, que d'autres groupes extrémistes auraient provoqué à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale sans faire l'objet d'un décret de dissolution sur le fondement de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;
Considérant enfin qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (...) » ; que toutefois, le paragraphe 2 du même article prévoit que l'exercice de ces libertés peut être soumis à des restrictions « prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la défense de l'ordre » ; que le décret attaqué, eu égard aux considérations de fait et de droit sur lesquelles il est fondé, n'a pas méconnu les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en particulier, si la dissolution critiquée a constitué une restriction à l'exercice de la liberté d'expression, cette restriction est justifiée par la gravité des dangers pour l'ordre public et la sécurité publique résultant des activités du groupement concerné ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.