La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2006 | FRANCE | N°279217

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 20 décembre 2006, 279217


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er avril et 27 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES, dont le siège est B.P. 137 à Rochefort cedex (17306) ; le CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 30 novembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, à la demande de la S.A Salins Europe, d'une part, annulé le jugement du 23 mai 2002 du tribunal administratif d

e Nantes ayant rejeté la demande de cette société tendant à l'annu...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er avril et 27 juillet 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES, dont le siège est B.P. 137 à Rochefort cedex (17306) ; le CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 30 novembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, à la demande de la S.A Salins Europe, d'une part, annulé le jugement du 23 mai 2002 du tribunal administratif de Nantes ayant rejeté la demande de cette société tendant à l'annulation de la décision du directeur du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES notifiée le 12 juin 2001 en vue d'exercer le droit de préemption délégué par le département de la Vendée à l'égard de parcelles lui appartenant au lieu-dit « Luzan », sur le territoire de la commune de Noirmoutier, et, d'autre part, annulé cette dernière décision ;

2°) statuant au fond, de confirmer le jugement du 23 mai 2002 du tribunal administratif de Nantes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code rural ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le décret n° 2003-839 du 29 août 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lallet, Auditeur,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES et de Me Odent, avocat de la S.A Salins Europe,

- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme : « Afin de préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels (...), le département est compétent pour élaborer et mettre en oeuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non » ; qu'aux termes de l'article L. 142-3 du même code : « Pour la mise en oeuvre de la politique prévue à l'article L. 142-1, le conseil général peut créer des zones de préemption (...)./ A l'intérieur de ces zones, le département dispose d'un droit de préemption (...)/. Le département peut déléguer son droit de préemption (...) au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres » ; qu'aux termes de l'article R. 243-29 du code rural, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle la décision notifiée le 12 juin 2001 a été prise : « Le directeur conclut et signe tous contrats ou conventions (...)./ Pour les acquisitions (...) d'immeubles ou de droits immobiliers (...) il ne peut stipuler que conformément aux autorisations accordées par le conseil d'administration » ;

Considérant que, sur le fondement des dispositions précitées, le conseil d'administration du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES a, par ses délibérations en date du 16 mai 1990 et du 26 octobre 1994, décidé d'acquérir respectivement 60 hectares et 15 hectares supplémentaires dans les marais salants du Müllembourg situées sur la commune de Noirmoutier et habilité le directeur de l'établissement à prendre les décisions de préemption nécessaires à ces acquisitions ; que, sur le fondement de ces délibérations, le directeur a notifié le 12 juin 2001 au notaire de la S.A Salins Europe la décision de préempter trois parcelles cadastrées BH 107, 108 et 109 mises en vente par cette société et incluses dans la zone de préemption créée par le département de la Vendée sur le territoire de la commune de Noirmoutier ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 243-21 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date des délibérations précédemment mentionnées : « Les délibérations du conseil d'administration sont exécutoires si dans un délai de huit jours le ministre chargé de la protection de la nature n'a pas fait d'observation (...) » ; qu'aux termes de l'article R. 243-10 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date des délibérations litigieuses : « Le conseil d'administration du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES comprend (...) : 11° Un représentant du ministre chargé de la protection de la nature (...) » ; que ces dispositions, non plus qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire en vigueur à la date de ces délibérations, n'imposaient leur transmission au ministre chargé de la protection de la nature, lequel était représenté au conseil d'administration du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES en vertu des dispositions de l'article R. 243-10 du code rural alors applicable ; que, dès lors, en se fondant sur la circonstance que les dispositions de l'article R. 243-21 du code rural faisaient obligation au conseil d'administration du conservatoire de transmettre les délibérations au ministre chargé de la protection de la nature et subordonnaient leur caractère exécutoire à la réalisation de cette transmission pour estimer que le directeur de l'établissement ne disposait pas de l'habilitation prévue à l'article R. 243-29 du code rural pour prendre la décision de préemption litigieuse, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes et la décision de préemption notifiée le 12 juin 2001 ;

Considérant qu'il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la demande de première instance :

Sur la légalité de la décision notifiée le 12 juin 2001 :

Considérant en premier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué par la S.A Salins Europe que le représentant du ministre chargé de la protection de la nature n'aurait pas été régulièrement convoqué aux séances au cours desquelles les délibérations du 16 mai 1990 et du 26 octobre 1994 ont été adoptées ; qu'à défaut d'observation du ministre dans le délai de huit jours à compter de leur adoption, ces délibérations sont devenues exécutoires ; qu'ainsi, le directeur du conservatoire était dûment habilité par le conseil d'administration pour prendre la décision de préemption litigieuse ;

Considérant, en deuxième lieu, que l'autorisation prévue à l'article R. 243-29 du code rural, dans sa rédaction applicable en l'espèce, ne revêt pas le caractère d'une délégation de signature ; qu'ainsi, la circonstance que la composition du conseil d'administration du conservatoire ait été modifiée postérieurement à l'adoption de la délibération du 26 octobre 1994 est, par elle-même, sans incidence sur la validité de l'habilitation qu'elle conférait au directeur de cet établissement public ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 243-13 du code rural, devenu l'article L. 322-13 du code de l'environnement : « L'établissement comprend des conseils de rivage. (...) [ils] sont consultés sur les opérations envisagées par le conseil d'administration » ; qu'aux termes de l'article R. 243-28 du code rural, dans sa rédaction antérieure à l'intervention du décret du 29 août 2003 : « Les conseils de rivage : / donnent leur avis sur les orientations de la politique de l'établissement public et font toute suggestion à cet égard ; / Proposent un programme d'acquisitions relatif au littoral de leur compétence ; / Donnent leur avis sur les opérations particulières d'acquisition (...) » ; qu'il résulte de ces dispositions que les conseils de rivage doivent être consultés préalablement aux délibérations par lesquelles le conseil d'administration décide d'acquérir des terrains, sans qu'il soit besoin de procéder à leur consultation à l'occasion de la notification des décisions de préemption nécessaires à la mise en oeuvre de ces délibérations ; qu'il ressort des pièces du dossier que la délibération du 16 mai 1990 par laquelle le conseil d'administration du conservatoire a décidé d'acquérir 60 hectares au sein des marais du Müllembourg a été précédée de l'avis favorable du conseil de rivage atlantique en date du 2 avril 1990 ; que, contrairement à ce que soutient la S.A Salins Europe, le conseil de rivage atlantique s'est prononcé le 3 octobre 1994 en faveur de l'extension du périmètre d'action foncière délimité en 1990 ; qu'il n'est pas allégué que les circonstances de droit et de fait aient évolué depuis ces consultations ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la décision de préemption notifiée le 12 juin 2001 n'était pas soumise à l'obligation de consultation du conseil de rivage atlantique ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de consultation du conseil de rivage doit être écarté ;

Considérant, en quatrième lieu, que l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 dispose que « doivent être motivées les décisions qui (...) imposent des sujétions (...) » ; que la décision attaquée énonce qu'elle a été prise « dans le cadre des dispositions des articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme et conformément à la décision du conseil d'administration du conservatoire du 16 mai 1990 et du 26 octobre 1994 », afin d'« assurer la sauvegarde et l'intégrité du site et des paysages et pour en garantir l'ouverture au public », ainsi que pour éviter la division parcellaire d'une unité foncière « de grande importance » ; que ces mentions indiquent avec une précision suffisante les motifs de droit et de fait ayant conduit le directeur du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à prendre la décision attaquée ;

Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte des dispositions des articles L. 142-1 et L. 142-3 du code de l'urbanisme et de celles de l'article R. 243-29 du code rural, dans leur rédaction applicable en l'espèce, que les délibérations par lesquelles le conseil d'administration du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES décide d'acquérir des terrains situés dans une zone de préemption définie par le département sur le fondement de l'article L. 142-3 du code de l'urbanisme doivent répondre aux objectifs de la politique prévue par l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme ; qu'en revanche, elles ne sont pas subordonnées à la condition que les terrains en cause fassent l'objet d'une menace directe d'atteinte au site ; que, par suite, la circonstance, à la supposer établie, que l'acquéreur évincé, actuellement exploitant des marais situés sur les parcelles en litige, n'aurait pas porté atteinte à l'intégrité du site s'il en avait fait l'acquisition en l'absence de décision de préemption, est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; qu'en outre, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse ne s'appuierait pas sur un projet précis de protection des espaces naturels et d'ouverture au public et viserait, notamment, à prévenir une division parcellaire préjudiciable à l'intégrité du site, objectif qui ne serait pas au nombre de ceux prévus par l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, ne peut être utilement invoqué à l'encontre de la décision du directeur du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES notifiée le 12 juin 2001, qui se borne à mettre en oeuvre les délibérations du conseil d'administration du 16 mai 1990 et du 26 octobre 1994 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A Salins Europe n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, qui est, contrairement à ce qu'elle soutient, suffisamment motivé, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement à la S.A Salins Europe de la somme que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la S.A Salins Europe le versement au CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES de la somme de 3 000 euros au titre des frais de même nature exposés par lui ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 novembre 2004 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par la S.A Salins Europe devant la cour administrative d'appel de Nantes et le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La S.A Salins Europe versera au CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au CONSERVATOIRE DE L'ESPACE LITTORAL ET DES RIVAGES LACUSTRES, à la S.A Salins Europe et au ministre de l'écologie et du développement durable.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 20 déc. 2006, n° 279217
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Alexandre Lallet
Rapporteur public ?: M. Devys
Avocat(s) : ODENT ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Date de la décision : 20/12/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 279217
Numéro NOR : CETATEXT000018004813 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-12-20;279217 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award