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02/03/2007 | FRANCE | N°283257

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 02 mars 2007, 283257


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet 2005 et 23 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour LA BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN, dont le siège est 60 rue Alexis de Villeneuve à Saint-Denis de la Réunion (97400) ; la BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 avril 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à la requête de la commune de Saint-Paul, a annulé le jugement du 4 juillet 2001 du trib

unal administratif de Saint-Denis de la Réunion condamnant la commun...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet 2005 et 23 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour LA BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN, dont le siège est 60 rue Alexis de Villeneuve à Saint-Denis de la Réunion (97400) ; la BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 avril 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à la requête de la commune de Saint-Paul, a annulé le jugement du 4 juillet 2001 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion condamnant la commune à verser à la société BFCOI la somme de 87 521,62 euros en réparation du préjudice résultant pour la société de la faute commise par le maire de Saint-Paul dans la délivrance de certificats administratifs relatifs à la réalisation de travaux ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Touvet , Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SOCIETE BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN et de la SCP Gatineau, avocat de la commune de Saint-Paul,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Saint-Paul a conclu le 14 mars 1991 avec la société EBTPE un marché public de travaux confiant à l'entreprise la réalisation de travaux de voirie ; que, les 2 avril 1992 et 22 mars 1993, la société EBTPE a cédé l'intégralité de sa créance sur la commune correspondant à ces travaux à la BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN (BFCOI) en application de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ; que le maire de Saint-Paul a établi les 31 mars 1992, 7 décembre 1992, 26 janvier 1993 et 25 février 1993 des attestations administratives certifiant que la commune devait à la société EBTPE différentes sommes pour un montant total de 820 148,96 F (125 030, 90 euros) correspondant à la réalisation des travaux de réfection et d'aménagement de chemins communaux ; que la BFCOI, au vu de ces attestations, a consenti à l'entreprise EBTPE une avance égale à 70 % des sommes certifiées ; que la BFCOI n'a pu obtenir de la commune le mandatement des sommes correspondant aux attestations ; que par un jugement du 4 novembre 1998, devenu définitif, le tribunal de Saint-Denis de la Réunion a confirmé le bien-fondé du refus de la commune de mandater ces sommes, en l'absence de réalisation des travaux ; que la BFCOI a alors demandé à la commune de Saint-Paul d'indemniser les conséquences de la faute commise par le maire de Saint-Paul en attestant des dettes qui ne correspondaient à aucun service fait ; que le tribunal administratif, saisi par la BFCOI du refus de la commune, a, le 4 juillet 2001, condamné celle-ci à verser à la BFCOI une indemnité de 574 104, 24 F (87 521, 63 euros) ; que la cour administrative d'appel de Bordeaux a infirmé ce jugement en se fondant sur ce que la faute commise par le maire de Saint-Paul constituait une faute personnelle détachable du service, insusceptible d'engager la responsabilité de la commune ; que la BFCOI se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Considérant que la victime non fautive d'un préjudice causé par l'agent d'une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n'est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l'agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service ; que cette dernière circonstance permet seulement à l'administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d'engager une action récursoire à l'encontre de son agent ;

Considérant qu'après avoir relevé que le maire de Saint-Paul a établi des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation de travaux sur des chemins communaux par la société EBTPE, la cour administrative d'appel en a déduit qu'en raison du but d'enrichissement personnel pour lequel le maire a agi, la faute commise par lui est une faute personnelle détachable du service qui ne serait pas de nature à engager la responsabilité de la commune ; qu'en se fondant sur ce que la gravité de la faute commise par le maire de Saint-Paul lui conférait un caractère personnel détachable du service pour en déduire que la commune ne pouvait être condamnée à en réparer les conséquences, sans rechercher si cette faute était ou non dépourvue de tout lien avec le service, la cour administrative d'appel de Bordeaux a donc commis une erreur de droit ; que la BFCOI est dès lors fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant que si la circonstance que les travaux n'ont pas été réalisés interdisait à la commune d'émettre un mandat de versement des sommes en cause à la BFCOI, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion le 4 novembre 1998, elle ne prive pas la BFCOI de la possibilité de rechercher la responsabilité de la commune à raison de l'établissement des fausses attestations sur le fondement desquelles elle a acquis les créances que détenait apparemment la société EBTPE sur la commune ;

Considérant que c'est avec l'autorité et les moyens que lui conféraient ses fonctions que le maire de Saint-Paul a émis les fausses attestations qui ont causé le préjudice subi par la BFCOI ; que la faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui conférerait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, n'est donc pas dépourvue de tout lien avec celui-ci, ce qui autorise sa victime à demander au juge administratif de condamner la commune de Saint-Paul à en assumer l'entière réparation, sans préjudice d'une éventuelle action récursoire de la commune à l'encontre de M. Moussa Cassam, qui était maire à l'époque des faits ;

Considérant que la commune soutient que la BFCOI aurait fait preuve, en acceptant d'acquérir les créances détenues par la société EBTPE, d'imprudences de nature à faire disparaître toute responsabilité de la commune ; que si une enquête, qui d'ailleurs concernait à l'origine des faits différents, avait été diligentée par le parquet avant l'acquisition opérée par la BFCOI le 22 mars 1993, la condamnation du maire n'a été acquise que par un jugement du tribunal correctionnel du 15 mars 1994 ; que la commune ne produit aucun document à l'appui de son allégation selon laquelle la mise en cause du maire avait fait l'objet de nombreux articles de presse dès l'automne 1992 ; que les certificats signés par le maire présentent l'apparence de certificats attestant la réalisation de travaux effectués pour la commune, sans qu'on puisse considérer que l'absence d'un visa ou l'indication de la raison sociale de l'entreprise de travaux publics aurait dû susciter la méfiance de la BFCOI ; qu'ainsi il ne résulte pas de l'instruction que la BFCOI aurait commis des imprudences susceptibles d'atténuer la responsabilité de la commune ;

Considérant que le préjudice invoqué par la BFCOI n'est pas sérieusement contesté et doit être regardé comme établi ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Paul n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 juillet 2001, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion l'a condamnée à verser à la BFCOI une indemnité de 574 104, 24 F (87 521, 63 euros) en réparation du préjudice subi par elle en raison de la faute commise par son maire en établissant des certificats attestant faussement de la réalisation de travaux ;

Considérant que, par voie de conséquence, les conclusions de la commune de Saint-Paul tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'en revanche, il sera mis à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 euros qu'elle versera à la BFCOI sur le fondement des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 12 avril 2005 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées devant cette cour et devant le Conseil d'Etat par la commune de Saint-Paul sont rejetées.

Article 3 : Il est mis à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 euros qu'elle versera à la BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE DE L'OCEAN INDIEN, à la commune de Saint-Paul et au ministre de l'outre-mer.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 283257
Date de la décision : 02/03/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COLLECTIVITÉS TERRITORIALES - COMMUNE - ORGANISATION DE LA COMMUNE - ORGANES DE LA COMMUNE - MAIRE ET ADJOINTS - FAUSSES ATTESTATIONS ÉMISES PAR UN MAIRE AVEC L'AUTORITÉ ET LES MOYENS QUE LUI CONFÉRAIENT SES FONCTIONS - FAUTE NON DÉPOURVUE DE TOUT LIEN AVEC LE SERVICE - CONSÉQUENCE - POSSIBILITÉ POUR LA VICTIME DE DEMANDER LA RÉPARATION INTÉGRALE DU PRÉJUDICE SUBI À LA COMMUNE [RJ1].

135-02-01-02-02 Maire ayant émis les fausses attestations à l'origine du préjudice subi par la société requérante avec l'autorité et les moyens que lui conféraient ses fonctions. La faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui conférerait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, n'est, dans ces conditions, pas dépourvue de tout lien avec celui-ci. La victime des conséquences dommageables de cette faute peut dès lors demander au juge administratif de condamner la commune à en assumer l'entière réparation, sans préjudice d'une éventuelle action récursoire de celle-ci à l'encontre de son maire.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - PROBLÈMES D'IMPUTABILITÉ - FAUTE PERSONNELLE DE L'AGENT PUBLIC - POSSIBILITÉ POUR LA VICTIME DE DEMANDER LA RÉPARATION INTÉGRALE DU PRÉJUDICE SUBI À L'ADMINISTRATION - EXISTENCE - DÈS LORS QUE LA FAUTE N'EST PAS DÉPOURVUE DE TOUT LIEN AVEC LE SERVICE - CAS DE FAUSSES ATTESTATIONS ÉMISES PAR UN MAIRE AVEC L'AUTORITÉ ET LES MOYENS QUE LUI CONFÉRAIENT SES FONCTIONS [RJ1].

60-03-01 Maire ayant émis les fausses attestations à l'origine du préjudice subi par la société requérante avec l'autorité et les moyens que lui conféraient ses fonctions. La faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui conférerait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, n'est, dans ces conditions, pas dépourvue de tout lien avec celui-ci. La victime des conséquences dommageables de cette faute peut dès lors demander au juge administratif de condamner la commune à en assumer l'entière réparation, sans préjudice d'une éventuelle action récursoire de celle-ci à l'encontre de son maire.


Références :

[RJ1]

Cf. Assemblée, 18 novembre 1949, Demoiselle Mimeur, n° 91864, p. 492.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 mar. 2007, n° 283257
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Laurent Touvet
Rapporteur public ?: M. Séners
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP GATINEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:283257.20070302
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