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21/05/2007 | FRANCE | N°264174

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 21 mai 2007, 264174


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 1er juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Michel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 novembre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juin 2002 en tant qu'il est contraire à son arrêt, porté à 16 875 euros le montant de la réparation de ses préjudices liés à son éviction illégale des services de la ville de Brest que cette der

nière doit verser à l'intéressé et rejeté le surplus de ses conclusions ;
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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 1er juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Michel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 novembre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juin 2002 en tant qu'il est contraire à son arrêt, porté à 16 875 euros le montant de la réparation de ses préjudices liés à son éviction illégale des services de la ville de Brest que cette dernière doit verser à l'intéressé et rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) statuant au fond, de mettre à la charge d'une part, de la ville de Brest, la somme de 230 369 euros avec intérêts au taux légal à compter de la requête gracieuse et capitalisation des intérêts et, d'autre part, de la ville de Brest et de la communauté urbaine de Brest, solidairement, la somme de 381 123 euros avec intérêts au taux légal à compter des requêtes gracieuses et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge solidairement de la ville de Brest et de la communauté urbaine de Brest la somme de 2 300 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Delort, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. A et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la ville de Brest et de la communauté urbaine de Brest,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par des arrêtés en date du 30 mars 1992 puis des 11 mai 1993 et 4 janvier 1994, le maire de Brest a radié des cadres de la commune et mis à disposition du centre national de la fonction publique territoriale M. A, administrateur territorial, à compter du 1er avril 1992 ; que ces deux décisions ayant été annulées par un jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 23 novembre 1994, devenu définitif, M. A a été réintégré dans les services de la ville à compter du 1er janvier 1995 avec reconstitution de carrière mais sans affectation déterminée ; que par un deuxième jugement du 1er avril 1998, également devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé le refus implicite du maire de Brest d'affecter M. A dans un emploi correspondant à son grade et a enjoint au maire de lui offrir un tel emploi dans un délai de quatre mois ; que M. A a par ailleurs demandé au tribunal administratif de Rennes l'indemnisation des préjudices causés par son éviction illégale et le refus de lui offrir un emploi correspondant à son grade ; que par jugement du 5 juin 2002, le tribunal lui a reconnu une part de responsabilité dans les fautes commises et limité l'indemnisation mise à la charge de la commune à 7 500 euros ; que par l'arrêt attaqué en date du 21 novembre 2003, la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé la part de responsabilité du requérant, porté à 16 875 euros l'indemnité due par la ville de Brest à M. A et rejeté la demande de capitalisation des intérêts présentée par M. A ; que M. A se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le retard d'avancement de grade :

Considérant que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en relevant que, faute d'avoir satisfait à l'obligation statutaire de mobilité, M. A ne pouvait être promu au grade d'administrateur territorial hors classe et, par suite, ne pouvait prétendre que les décisions annulées avaient retardé son avancement à ce grade ;

En ce qui concerne le retard d'avancement d'échelon, la perte de chance de trouver un emploi hors des services municipaux, l'atteinte à la réputation et les troubles dans les conditions d'existence :

Considérant que c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a, d'une part, estimé que M. A n'établissait ni que la ville accordait à ses agents des avancements d'échelon automatiques à l'ancienneté plus avantageux que ceux qu'elle avait retenus pour reconstituer sa carrière, ni qu'il avait perdu des chances de trouver un emploi mieux rémunéré dans le secteur privé ou à la communauté urbaine de Brest et a, d'autre part, évalué les troubles dans ses conditions d'existence à 7 500 euros au titre de la période pendant laquelle il a été mis à la disposition du centre national de la fonction publique territoriale et à 18 750 euros au titre de la période postérieure à sa réintégration ;

En ce qui concerne la privation de l'indemnité d'administrateur :

Considérant que la cour, après avoir relevé que l'indemnité d'administrateur était liée à l'exercice effectif des fonctions, ne présentait aucun caractère fixe et permanent et ne donnait pas lieu à retenue pour pension, n'a pas commis d'erreur de droit en refusant pour ce motif d'indemniser l'absence de perception de cette indemnité par M. A pendant toute la période où il a été illégalement évincé du service et n'a pas, ce faisant, méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du 1er avril 1998 par lequel le tribunal administratif de Rennes a ordonné sa réintégration ;

Sur la responsabilité propre de M. A :

Considérant que la cour administrative d'appel, après avoir admis que les décisions du maire étaient constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Brest sans engager celle de la communauté urbaine de Brest, a estimé que le comportement de M. A était de nature à réduire de moitié la responsabilité de la commune dès lors qu'il avait refusé son offre de le mettre à disposition d'une association d'insertion par l'économie pour y occuper un emploi de chargé de mission ;

Considérant qu'aux termes de l'article 61 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : La mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son cadre d'emploi ou corps d'origine, est réputé y occuper un emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante mais qui effectue son service dans une autre administration que la sienne. Elle ne peut avoir lieu qu'en cas de nécessité de service, avec l'accord du fonctionnaire, au profit des collectivités et établissements concernés par la présente loi ; qu'il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire ne commet pas de faute en refusant de donner son accord à une proposition de mise à disposition ; que par suite, alors qu'il résultait du dossier qui lui était soumis que la seule affectation proposée à M. A avait consisté en une mise à disposition pour un emploi de chargé de mission auprès d'une association d'insertion par l'économie, la cour a commis une erreur de droit en retenant son refus d'une telle affectation pour attribuer à M. A une part de responsabilité de nature à réduire de moitié celle de la commune ; que, par suite, M. A est fondé à demander, dans cette mesure, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Sur les intérêts :

Considérant que M. A a demandé à la cour la capitalisation des intérêts afférents à la somme qui lui serait attribuée ; qu'ainsi, alors même qu'il ne l'avait pas explicitement formulée, il doit être regardé comme ayant présenté la demande d'assortir cette somme des intérêts ; que la cour a donc commis une erreur de droit en lui refusant le versement d'intérêts au motif qu'il ne les avait pas demandés ; que son arrêt doit être annulé sur ce point ;

Considérant qu'il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond sur les deux points qui ont justifié l'annulation de l'arrêt de la cour ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être attribué aucune part de responsabilité à M. A, qui était en droit de refuser une proposition de mise à disposition d'une association ; que, par suite, la ville de Brest doit supporter l'intégralité du préjudice causé par les décisions illégales de son maire, dont le montant est fixé, ainsi qu'il a été dit, à 7 500 euros au titre de la période pendant laquelle M. A a été mis à la disposition du centre national de la fonction publique territoriale et à 18 750 euros au titre de la période postérieure à sa réintégration ;

Considérant par ailleurs que M. A a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 7 500 euros, due au titre de la période allant du 1er avril 1992 au 31 décembre 1994, à compter du 23 novembre 1998, date de sa première demande à l'administration ; que pour la période allant du 1er janvier 1995 au 30 novembre 1999, les intérêts de l'indemnité de 18 750 euros doivent courir à compter du 12 décembre 1999 ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée dans la requête présentée au juge d'appel enregistrée le 8 août 2002 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts échus à la date du 8 août 2002 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent la commune de Brest et la communauté urbaine de Brest au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la commune la somme de 2 300 euros au titre des frais supportés par M. A ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 21 novembre 2003 est annulé en tant qu'il a réduit la part de responsabilité de la commune de Brest à raison du comportement de M. A et en tant qu'il a refusé à ce dernier les intérêts de l'indemnité due.

Article 2 : La commune de Brest versera à M. A une somme de 7 500 euros au titre de la période allant du 1er avril 1992 au 31 décembre 1994 avec intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 1998 ainsi qu'une somme de 18 750 euros au titre de la période comprise entre le 1er janvier 1995 et le 30 novembre 1999 avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 1999. Les intérêts échus au 8 août 2002 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 5 juin 2002 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Brest et de la communauté urbaine de Brest tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées. La commune de Brest versera à M. A la somme de 2 300 euros en application des mêmes dispositions.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. A devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Michel A, à la ville de Brest, à la communauté urbaine de Brest et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - CONTENTIEUX DE LA FONCTION PUBLIQUE - EFFETS DES ANNULATIONS - OBLIGATION DE RÉINTÉGRATION D'UN AGENT ILLÉGALEMENT ÉVINCÉ DANS UN EMPLOI ÉQUIVALENT - PROPOSITION DE RÉINTÉGRATION DANS UNE SITUATION DE MISE À DISPOSITION - REFUS DE L'AGENT - FAUTE - ABSENCE.

36-13-02 Ne commet pas de faute le fonctionnaire illégalement évincé refusant une réintégration dans une situation de mise à disposition.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - CAUSES EXONÉRATOIRES DE RESPONSABILITÉ - FAUTE DE LA VICTIME - FONCTION PUBLIQUE - OBLIGATION DE RÉINTÉGRATION D'UN AGENT ILLÉGALEMENT ÉVINCÉ DANS UN EMPLOI ÉQUIVALENT - PROPOSITION DE RÉINTÉGRATION DANS UNE SITUATION DE MISE À DISPOSITION - REFUS DE L'AGENT - FAUTE - ABSENCE.

60-04-02-01 Ne commet pas de faute le fonctionnaire illégalement évincé refusant une réintégration dans une situation de mise à disposition.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 mai. 2007, n° 264174
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Catherine Delort
Rapporteur public ?: M. Glaser
Avocat(s) : SCP TIFFREAU ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Date de la décision : 21/05/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 264174
Numéro NOR : CETATEXT000018006179 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-05-21;264174 ?
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