La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2007 | FRANCE | N°273547

France | France, Conseil d'État, 1ère sous-section jugeant seule, 06 juin 2007, 273547


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 octobre 2004 et 10 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le DEPARTEMENT DE L'ALLIER, représenté par le président de son conseil général ; le DEPARTEMENT DE L'ALLIER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 18 août 2004 par laquelle la commission centrale d'aide sociale a, à la demande de M. Pierre B et de Mme Lucienne A, annulé les décisions de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montluçon du 5 décembre 2000 et de la commission dé

partementale d'aide sociale de l'Allier du 25 septembre 2001 décidant la ré...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 octobre 2004 et 10 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le DEPARTEMENT DE L'ALLIER, représenté par le président de son conseil général ; le DEPARTEMENT DE L'ALLIER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 18 août 2004 par laquelle la commission centrale d'aide sociale a, à la demande de M. Pierre B et de Mme Lucienne A, annulé les décisions de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montluçon du 5 décembre 2000 et de la commission départementale d'aide sociale de l'Allier du 25 septembre 2001 décidant la récupération sur donation des sommes avancées par le département au titre de la prestation spécifique dépendance (PSD) en établissement accordée à Mme Jeanne B ;

2°) statuant au fond, de rejeter l'appel de M. B et de Mme A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la famille et de l'aide sociale ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Berti, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions, alors en vigueur, de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale, ultérieurement reprises au 2° de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département, notamment « b) contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale (...) » ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte » ; qu'un contrat d'assurance vie soumis aux dispositions des articles L. 132-1 et suivants du code des assurances, par lequel il est stipulé qu'un capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à l'échéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, n'a pas en lui-même le caractère d'une donation, au sens de l'article 894 du code civil ;

Considérant, toutefois, que l'administration et les juridictions de l'aide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l'engagement d'une action en récupération ; qu'à ce titre, un contrat d'assurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l'essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l'intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l'importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s'y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d'un droit de créance sur l'assureur ; que, dans ce cas, l'acceptation du bénéficiaire, alors même qu'elle n'interviendrait qu'au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l'administration de l'aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l'application des dispositions relatives à la récupération des créances d'aide sociale ;

Considérant qu'il ressort du dossier soumis aux juges du fond que Mme Jeanne B, née le 1er septembre 1910, a bénéficié de la prestation spécifique dépendance en établissement du 3 février 2000 au 5 octobre 2000, date à laquelle elle est décédée ; que le montant des sommes versées au titre de l'aide sociale s'élève à 19 704,81 F (3 003,98 euros) ; qu'elle a souscrit des contrats d'assurance vie en 1995 et en 1997, contrats dont les bénéficiaires en cas de décès sont deux de ses héritiers et enfants Mme Lucienne A et M. Pierre B ; qu'à ce titre, les deux enfants, qui ont accepté d'être bénéficiaires des contrats le 6 octobre 2000, ont reçu 12 564,34 euros ;

Considérant que, par une décision en date du 5 décembre 2000, la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montluçon a autorisé la récupération, contre les donataires, des sommes versées par le département au titre de l'aide sociale selon les modalités alors prévues à l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale ; que cette décision a été confirmée par la commission départementale d'aide sociale de l'Allier le 25 septembre 2001 ; que cependant, la commission centrale d'aide sociale, par une décision du 17 septembre 2004, a annulé les deux décisions précédentes ;

Considérant qu'en se fondant sur le caractère résiliable du contrat d'assurance vie pour estimer qu'il ne pouvait être qualifié de donation, sans rechercher si, compte tenu des circonstances dans lesquelles le contrat avait été souscrit, il révélait, pour l'essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire, la commission centrale d'aide sociale n'a pas légalement justifié sa décision ; que le département requérant est donc fondé à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, devant la commission centrale d'aide sociale, M. B et Mme A soutenaient que la décision de la commission départementale d'aide sociale s'appuyait sur une interprétation erronée de la législation en assimilant l'assurance vie à une donation, que le contrat d'assurance vie avait été souscrit suite à un conseil donné par un agent de la Caisse d'Epargne et que Mme B n'aurait jamais voulu faire une donation puisque son avoir était inférieur au minimum d'actif successoral entraînant récupération, les sommes perçues au titre de l'assurance vie pouvant seulement ouvrir droit à une récupération sur succession ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances mentionnées plus haut dans lesquelles le contrat litigieux a été souscrit, la commission départementale d'aide sociale n'a pas méconnu les dispositions rappelées ci-dessus en estimant que les circonstances de l'espèce rendaient très probable que les capitaux assurés seraient versés aux enfants de Mme B, et les a par suite regardés à bon droit comme les bénéficiaires d'une donation ; que les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, la commission départementale d'aide sociale a maintenu dans son principe la récupération contre les donataires des sommes versées au titre de l'aide sociale à Mme B ;

Considérant cependant qu'il appartient aux juridictions de l'aide sociale, en leur qualité de juges de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé de l'action en récupération d'après l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de leur propre décision ; qu'à ce titre, elles ont la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, d'aménager les modalités de cette récupération ; qu'eu égard aux circonstances de la présente affaire, il y a lieu de limiter à la somme globale de 1 500 euros le montant récupérable par le département ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la commission centrale d'aide sociale en date du 18 août 2004 est annulée.

Article 2 : La somme que le département est autorisé à récupérer à l'encontre de M. B et de Mme A est fixée à 1 500 euros.

Article 3 : La décision de la commission cantonale d'admission à l'aide sociale de Montluçon du 5 décembre 2000 et la décision de la commission départementale d'aide sociale de l'Allier du 25 septembre 2001 sont réformées en ce qu'elles ont de contraire à la présente décision.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE L'ALLIER, à M. Pierre B, à Mme Lucienne A et au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 06 jui. 2007, n° 273547
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Eric Berti
Rapporteur public ?: M. Devys

Origine de la décision
Formation : 1ère sous-section jugeant seule
Date de la décision : 06/06/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 273547
Numéro NOR : CETATEXT000020374622 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-06-06;273547 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award