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13/06/2007 | FRANCE | N°282564

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 13 juin 2007, 282564


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 17 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE VERGAN, dont le siège est 3, route de Longjumeau à Chilly-Mazarin (91380), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE VERGAN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 26 juin 2001 du tribunal administratif de Versailles rejetant sa demande tendant à

la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 17 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE VERGAN, dont le siège est 3, route de Longjumeau à Chilly-Mazarin (91380), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE VERGAN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 26 juin 2001 du tribunal administratif de Versailles rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1988, 1989, 1990 et 1991 et des compléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er avril 1987 au 31 mars 1991, ainsi que des pénalités y afférentes, d'autre part, à la décharge des impositions litigieuses, enfin, au sursis à exécution du jugement attaqué ;

2°) statuant au fond, de faire droit à ses demandes de décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le livre des procédures fiscales et le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Eliane Chemla, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lesourd, avocat de la SOCIETE VERGAN,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE VERGAN, qui exploite une discothèque sous l'enseigne commerciale L'Acropol, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière d'impôt sur les sociétés, sur les exercices clos en 1988, 1989, 1990 et 1991 et, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er avril 1987 au 31 mars 1991 ; qu'après avoir écarté sa comptabilité comme non probante, l'administration a reconstitué ses recettes et réintégré dans ses résultats divers frais financiers ; que la SOCIETE VERGAN a contesté les suppléments d'impôt sur les sociétés et les compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge à raison de ces redressements et porté ce litige devant le tribunal administratif de Versailles qui, par jugement en date du 26 juin 2001, a rejeté sa demande ; que la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société à l'encontre de ce jugement, par un arrêt en date du 9 mai 2005 contre lequel celle-ci se pourvoit en cassation ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de l'instruction, d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision, ainsi que de la viser ; qu'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte, après l'avoir analysée ; qu'il n'est toutefois tenu de le faire que si cette production contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ; qu'en outre, dans les cas où il est amené à tenir compte d'une telle production et à l'exception de l'hypothèse particulière dans laquelle il se fonde sur un moyen qu'il devait relever d'office, il doit la soumettre au débat contradictoire ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante a produit une note en délibéré, dont le greffe de la cour administrative d'appel a accusé réception le 20 avril 2005 ; qu'il ressort de l'examen de la minute de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel n'a pas visé cette note ; que la société requérante est, dès lors, fondée à soutenir que l'arrêt attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, d'une part, qu'il ressort des écritures soumises aux premiers juges que la requérante sollicitait de façon incidente, dans le corps de sa requête introductive d'instance, que celui-ci ordonnât une expertise, dans l'hypothèse où, par extraordinaire, le tribunal pourrait douter [du caractère probant de sa comptabilité] ; qu'il ressort des termes employés que l'utilité de la mesure était laissée à l'appréciation du tribunal ; que, de surcroît, les conclusions de la requête ne mentionnaient aucune demande d'expertise ; qu'ainsi, le tribunal administratif a pu, sans entacher d'irrégularité son jugement, juger qu'il n'était saisi d'aucune conclusion à fins d'expertise ; que par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait omis de viser de telles conclusions et d'y statuer manque en fait ;

Considérant, d'autre part, que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par la requérante, a visé et expressément écarté l'ensemble des moyens dont il était saisi et n'a pas entaché son jugement d'insuffisance de motivation ;

Sur les frais financiers réintégrés dans les résultats :

Considérant que la notification de redressements adressée à la SOCIETE VERGAN à l'issue du contrôle dont elle a fait l'objet comporte la liste des factures afférentes à des travaux que le vérificateur a estimé relever de la responsabilité du propriétaire des locaux occupés par celle-ci pour l'exploitation de son fonds de commerce ; que le vérificateur justifiait cette appréciation en indiquant que eu égard à leur importance ces travaux devaient être considérés comme des travaux de gros oeuvre et de construction d'immeubles ; que par suite, à supposer que la requérante soutienne que la notification de redressements qui lui a été adressée était insuffisamment motivée en ce qui concerne le redressement relatif aux frais financiers exposés en vue de procéder à ces travaux, réintégrés dans son résultat, le moyen manque en fait ;

Considérant que les travaux en question étaient prévus par l'avenant du 23 novembre 1987 au contrat de gérance libre conclu entre la SOCIETE VERGAN et M. Vergan ; que l'administration, en estimant qu'ils relevaient de la responsabilité du propriétaire des lieux, n'a pas entendu écarter ces stipulations au motif qu'elles auraient été fictives ou auraient procédé d'une fraude à la loi, mais s'est bornée, comme elle était en droit de le faire, à les interpréter pour qualifier les travaux qu'elles prévoyaient au regard de la loi fiscale ; que ce faisant, l'administration ne peut être regardée comme ayant mis en oeuvre, fût-ce implicitement, la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Considérant qu'il appartient toujours au contribuable de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire que du principe même de leur déductibilité, en produisant tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; qu'en l'espèce la requérante, qui ne fait valoir aucun argument à l'appui de sa remise en cause de l'appréciation de l'administration selon laquelle les travaux en question ne lui incombaient normalement pas en tant que locataire, ne soutient pas qu'elle aurait tiré une contrepartie quelconque de l'avantage qu'elle a consenti au propriétaire des lieux en prenant à sa charge leur financement, et n'apporte ainsi aucun élément de nature à remettre en cause le bien-fondé du redressement ;

Sur les omissions de recettes :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition et la charge de la preuve :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'un redressement, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge (...) ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que toutes les bandes de l'une des deux caisses enregistreuses utilisées par la discothèque exploitée par la SOCIETE VERGAN portent, pour les quatre exercices vérifiés, clos le 31 mars de chaque année, le millésime de l'année 1987 et ne peuvent de ce fait être regardées comme justifiant le détail des recettes dont le cumul journalier était porté globalement en comptabilité ; qu'il n'est pas contesté que la caisse en cause était utilisée en fin de semaine, durant laquelle la discothèque réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires ; que si la société soutient que, pour l'ensemble des exercices vérifiés, nonobstant le millésime erroné, les montants figurant sur les bandes en question et les cumuls journaliers portés en comptabilité concordent, une telle comparaison, effectuée à partir des pièces produites par la requérante devant la cour administrative d'appel, révèle, en tout état de cause, des incohérences, non seulement dans le quantième des mois mais également dans le montant des recettes ; que ce défaut de pièces justifiant le détail des recettes comptabilisées globalement en fin de journée, dont le vérificateur a expressément relevé dans la notification de redressement qu'il affectait l'ensemble des exercices vérifiés, suffit à ôter toute valeur probante à la comptabilité présentée ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise sur ce point, l'administration doit être regardée apporter la preuve que la comptabilité vérifiée était entachée de graves irrégularités ; qu'ainsi, elle a pu à bon droit l'écarter et procéder à la reconstitution du résultat de l'entreprise vérifiée ; que le moyen tiré de l'absence d'établissement d'un procès-verbal de défaut de présentation de la comptabilité est, en tout état de cause, inopérant, dès lors que l'administration n'a pas en l'espèce constaté l'absence de comptabilité, mais a rejeté celle qui lui était présentée comme dénuée de valeur probante ;

Considérant, d'autre part, que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a été saisie du désaccord entre l'administration et la société ; que les bases d'imposition retenues sont conformes à l'avis émis par la commission ; que, si la société soutient que la commission se serait prononcée dans des conditions irrégulières, en tant qu'elle n'aurait pas eu la même composition au cours des trois séances qu'elle a consacrées à l'examen de l'affaire, il résulte de l'instruction et notamment des mentions du procès-verbal de la dernière séance, en date du 15 mars 1994, qu'elle a entièrement repris, à cette occasion, l'étude de l'affaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il appartient à la société d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

Considérant, en premier lieu, que la seule circonstance que les paramètres de la méthode de reconstitution extra-comptable du résultat de l'entreprise ont été modifiés à plusieurs reprises en cours de procédure est sans incidence sur le bien-fondé de cette méthode ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'au regard de leur volume, l'administration a retenu qu'une partie des achats consommés de boissons non alcoolisées avait été revendue à la clientèle de la discothèque ; que la société conteste ce point de la reconstitution de son chiffre d'affaires en soutenant que l'intégralité de ces boissons avait été servie, soit en accompagnement de boissons alcoolisées, dans le prix desquelles elles étaient comprises, soit encore à titre gracieux ; qu'une telle critique, fondée sur des affirmations relatives aux conditions particulières d'exploitation de la société, que celle-ci n'assortit d'aucun élément de justification, n'est pas de nature à démontrer le caractère radicalement vicié dans son principe ou excessivement sommaire de la méthode retenue par l'administration ;

Considérant, en troisième lieu, que la société critique l'utilisation par l'administration, pour reconstituer son chiffre d'affaires, d'une dose de 7 centilitres de boisson alcoolisée par consommation vendue ; que toutefois, il est constant que cette quantité résulte d'un affichage destiné à la clientèle, figurant sur les lieux mêmes de l'exploitation ; que le procès-verbal de constat d'huissier produit devant la cour administrative d'appel aux fins de démontrer que les quantités servies sont supérieures est en tout état de cause, dès lors qu'il est postérieur aux exercices vérifiés, dénué de portée utile ;

Considérant, en quatrième lieu, que si la société fait valoir l'impossibilité économique de réaliser les chiffres d'affaires reconstitués, elle fonde son argumentation sur des taux de renouvellement des consommations dont elle ne précise pas l'origine ; qu'au surplus, si cette argumentation aboutit à démontrer que les chiffres d'affaires reconstitués impliquaient une fréquentation moyenne importante de son établissement en semaine, les données qu'elle fournit pour fonder cette dernière appréciation, relatives à la fréquentation en fin de semaine de ce même établissement, ne sont pas homogènes et interdisent toute comparaison utile ;

Considérant, en cinquième lieu, que la société propose une méthode alternative de reconstitution de ses résultats fondée sur les coefficients de marge, reprenant, selon elle, ceux-là mêmes utilisés par l'administration ; que toutefois, la requérante exclut tout chiffre d'affaires réalisé grâce à la revente de boissons non alcoolisées ; que les chiffres retenus pour quantifier les consommations de ces boissons n'ayant pas donné lieu à recettes, car servies à titre gracieux aux artistes se produisant dans l'établissement, au personnel, ainsi qu'à une partie de la clientèle dans certaines occasions, apparaissent dénués de tout élément de justification ; que dans ces conditions, la requérante ne saurait soutenir que sa méthode aboutirait à un résultat plus fiable que celle mise en oeuvre par l'administration ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE VERGAN ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'exagération des bases d'imposition évaluées par l'administration ;

Sur les pénalités :

Considérant qu'en se fondant sur l'existence de minorations répétées des recettes, l'administration a apporté la preuve qui lui incombe de l'intention du contribuable d'éluder l'impôt ; que, par suite, la SOCIETE VERGAN n'est pas fondée à demander la décharge des pénalités exclusives de bonne foi auxquelles elle a été assujettie ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE VERGAN n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 26 juin 2001 attaqué ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante, la somme que réclame la SOCIETE VERGAN au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 9 mai 2005 est annulé.

Article 2 : La requête de la SOCIETE VERGAN devant le tribunal administratif de Versailles est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE VERGAN et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 282564
Date de la décision : 13/06/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2007, n° 282564
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Le Roy
Rapporteur ?: Mme Eliane Chemla
Rapporteur public ?: M. Collin
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:282564.20070613
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