La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/11/2007 | FRANCE | N°293644

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 09 novembre 2007, 293644


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 22 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Henri B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, a annulé, sur le recours de l'association communale de chasse agréée (ACCA) de Clugnat et du ministre de l'écologie et du développement durable, le jugement du 31 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté d

u 11 décembre 2001 du préfet de la Creuse, en tant qu'il retire aux req...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 22 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Henri B, demeurant ... ; M. et Mme B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, a annulé, sur le recours de l'association communale de chasse agréée (ACCA) de Clugnat et du ministre de l'écologie et du développement durable, le jugement du 31 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 11 décembre 2001 du préfet de la Creuse, en tant qu'il retire aux requérants l'exercice du droit de chasser sur leurs parcelles exclues du territoire de l'ACCA, et a rejeté leur demande devant le tribunal administratif de Limoges ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2001 ;

3°) de mettre à la charge de l'ACCA de Clugnat le versement de la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, maître des requêtes,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. et Mme B et de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'association communale de chasse agréée de clugnat,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité de l'intervention présentée par le groupement forestier des consorts Sarrazin :

Considérant que le groupement forestier des consorts Sarrazin a intérêt à l'annulation de l'arrêt attaqué, qui rejette la demande de M. et Mme B dirigée contre l'arrêté du 11 décembre 2001 du préfet de la Creuse en tant qu'il retire à ces derniers le droit de chasser sur leurs parcelles exclues du territoire de l'ACCA de Clugnat ; qu'ainsi son intervention au soutien de la requête de M. et Mme B est recevable ;

Sur les conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme B :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 422-10 du code de l'environnement : «L'association communale est constituée sur les terrains autres que ceux : (...) 5º Ayant fait l'objet de l'opposition de propriétaires, de l'unanimité des copropriétaires indivis qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l'exercice de la chasse sur leurs biens, sans préjudice des conséquences liées à la responsabilité du propriétaire, notamment pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de ses fonds. / Lorsque le propriétaire est une personne morale, l'opposition peut être formulée par le responsable de l'organe délibérant mandaté par celui-ci. » ; qu'aux termes de l'article L. 422-14 du même code : « L'opposition mentionnée au 5º de l'article L. 422-10 est recevable à la condition que cette opposition porte sur l'ensemble des terrains appartenant aux propriétaires ou copropriétaires en cause. / Cette opposition vaut renonciation à l'exercice du droit de chasse sur ces terrains. Elle ne fait pas obstacle à l'application de l'article L. 415-7 du code rural. Dans ce cas, le droit de chasser du preneur subit les mêmes restrictions que celles ressortissant des usages locaux qui s'appliquent sur les territoires de chasse voisins et celles résultant du schéma départemental de gestion cynégétique (...) ».

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par courrier en date du 10 mai 2001, M. et Mme B ont demandé au préfet de la Creuse le retrait de leurs parcelles de l'emprise de l'association communale de chasse agréée (ACCA) de Clugnat, sur le fondement, à titre principal, de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, à titre subsidiaire, du 5° de l'article L. 422-10 du code de l'environnement ; que, par arrêté du 11 décembre 2001, le préfet de la Creuse a exclu de la liste des terrains devant être soumis à l'action de l'ACCA de Clugnat les parcelles des requérants, en spécifiant que cette exclusion valait renonciation pour eux-mêmes à l'exercice du droit de chasse sur ces terrains ; que M. et Mme B ont saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande d'annulation de cet arrêté en tant seulement qu'il prévoyait renonciation pour eux-mêmes à l'exercice du droit de chasse ; que, par un jugement du 31 décembre 2002, le tribunal a accédé à leur demande ; que, sur appel de l'ACCA de Clugnat, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé qu'il n'était pas contesté que le préfet avait été saisi dans le cadre de l'opposition de conscience prévue parle 5° de l'article L. 422-10 du code de l'environnement, que le rappel de ce que l'exclusion des parcelles du territoire de l'ACCA valait renonciation à l'exercice du droit de chasse, figurant à l'alinéa 2 de l'article 2 de l'arrêté attaqué, n'était pas divisible du reste de la décision, et que, par suite, la demande de M. et Mme B était irrecevable ;

Considérant que les écritures des requérants visaient à contester, notamment sur le fondement de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'interdiction de chasser qui leur était opposée par l'arrêté attaqué ; qu'en écartant leur argumentation, au motif qu'ils admettaient que le litige s'inscrivait dans le cadre exclusif de la mise en oeuvre des dispositions du 5° de l'article L. 422-10 du code de l'environnement, pour en déduire que la renonciation à leur droit de chasse opposée par le préfet constituait un simple rappel indivisible de l'ensemble de l'arrêté du 11 décembre 2001 et que, par suite, leur demande était irrecevable, la cour a dénaturé le sens et la portée des écritures dont avait été saisi le tribunal administratif de Limoges et a commis une erreur de droit quant à l'indivisibilité qu'elle a opposée aux requérants ; que, par suite, M. et Mme B sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par M. et Mme B :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 10 des statuts de l'ACCA de Clugnat : « le président est le représentant légal de l'association en toutes circonstances, notamment en justice vis-à-vis des tiers » ; qu'au surplus, par une décision du 21 janvier 2003, le conseil d'administration de l'ACCA de Clugnat a expressément mandaté son président afin de relever appel du jugement du tribunal administratif de Limoges du 31 décembre 2002 ; qu'ainsi le président de l'ACCA de Clugnat a qualité pour agir en son nom ; qu'en outre l'ACCA de Clugnat, partie en première instance, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour faire appel d'un jugement qui annule un arrêté du préfet de la Creuse en tant qu'il fixe les conséquences sur l'exercice du droit de chasse de M. et Mme B de l'exercice par ces derniers de leur droit d'opposition à l'inclusion de leurs parcelles dans le territoire soumis à l'action de l'association ;

Considérant, d'autre part, que le recours du ministre de l'écologie et du développement durable était, en tout état de cause, accompagné du jugement attaqué ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées en défense par M. et Mme B ne sont pas fondées ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes » ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 422-2 du code de l'environnement « les associations communales et intercommunales de chasse agréées ont pour but d'assurer une bonne organisation technique de la chasse. Elles favorisent sur leur territoire le développement du gibier et de la faune sauvage dans le respect d'un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique, l'éducation cynégétique de leurs membres, la régulation des animaux nuisibles et veillent au respect des plans de chasse en y affectant les ressources appropriées. Elles ont également pour objet d'apporter la contribution des chasseurs à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. / Leur activité s'exerce dans le respect des propriétés, des cultures et des récoltes, et est coordonnée par la fédération départementale des chasseurs. Les associations communales et intercommunales de chasse agréées collaborent avec l'ensemble des partenaires du monde rural » ;

Considérant que les dispositions du 5° de l'article L. 422-10 et de l'article L. 422-14 du code de l'environnement, selon lesquelles les propriétaires qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, demandent le retrait de leurs parcelles de l'emprise d'une ACCA, doivent renoncer pour eux mêmes à l'exercice du droit de chasse sur ces terrains, n'ont pas pour effet de priver ces derniers de leur droit de propriété, mais apportent seulement des limitations à leur droit d'usage, lesquelles ne sont pas disproportionnées au regard du but légitime poursuivi par la législation relative aux ACCA tendant à assurer une bonne organisation technique de la pratique de la chasse et le respect de l'équilibre « agro-sylvo-cynégétique » ; que, dès lors, les dispositions législatives contestées ne sont pas contraires aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le ministre de l'écologie et du développement durable ainsi que l'ACCA de Clugnat sont, par suite, fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 11 décembre 2001 pour méconnaissance de ces stipulations ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés devant le juge administratif par M. et Mme B ;

Considérant, d'une part, que, si les requérants soutiennent que les articles L. 422-10 et L. 422-14 du code de l'environnement, sur le fondement desquels a été pris l'arrêté litigieux, portant une atteinte injustifiée au droit de propriété et méconnaissent le principe d'égalité entre les citoyens, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité de dispositions législatives à des principes ou règles ayant valeur constitutionnelle ; qu'ainsi, les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de ces articles sont, en tout état de cause, inopérants ;

Considérant, d'autre part, que si les requérants soutiennent que le 5° de l'article L. 422-10 méconnaîtrait les stipulations des articles 11, relatif à la liberté d'association, et 14, relatif au principe de non discrimination, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ils n'apportent pas les précisions nécessaires pour apprécier le bien-fondé de ces moyens ; que par suite, ceux-ci ne peuvent être accueillis ;

Considérant qu'il résulte de qui précède que M. et Mme B ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué ;

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de l'ACCA de Clugnat, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le remboursement des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme B le versement de la somme demandée par l'ACCA de Clugnat, au titre des mêmes frais ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du groupement forestier des consorts Sarrazin est admise.

Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 21 mars 2006 et le jugement du tribunal administratif de Limoges du 31 décembre 2002 sont annulés.

Article 3 : La demande présentée par M. et Mme B devant le tribunal administratif de Limoges est rejetée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'association communale de chasse agréée de Clugnat est rejeté.

Article 5: La présente décision sera notifiée à M. et Mme Henri B, à l'association communale de chasse agréée de Clugnat, au groupement forestier des consorts Sarrazin et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 293644
Date de la décision : 09/11/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2007, n° 293644
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Rapporteur public ?: M. Guyomar Mattias
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU ; SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:293644.20071109
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award