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12/12/2007 | FRANCE | N°293993

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 12 décembre 2007, 293993


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, dont le siège est 31, rue des Lilas à Paris (75019) ; la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2006-385 du 30 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale et pris pour l'application de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de l...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, dont le siège est 31, rue des Lilas à Paris (75019) ; la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2006-385 du 30 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale et pris pour l'application de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Spinosi, avocat de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;


Considérant que la requérante demande l'annulation du décret du 30 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale, pris pour l'application de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret attaqué en tant qu'il applique la mesure de placement sous surveillance électronique mobile aux personnes condamnées pour des faits survenus antérieurement à son entrée en vigueur :

Considérant que les dispositions du décret attaqué sont, en application des articles 41 et 42 de la loi du 12 décembre 2005, immédiatement applicables aux condamnés placés sous surveillance judiciaire quelle que soit la date de commission des faits ayant donné lieu à la condamnation, ainsi qu'à ceux bénéficiant d'une mesure de libération conditionnelle dont le risque de récidive a été constaté après la date d'entrée en vigueur de cette loi ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. 2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. » ; qu'aux termes de l'article 723-29 du code de procédure pénale : « Lorsqu'une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à dix ans pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, le juge de l'application des peines peut, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner à titre de mesure de sûreté et aux seules fins de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré, qu'elle sera placée sous surveillance judiciaire dès sa libération et pendant une durée qui ne peut excéder celle correspondant au crédit de réduction de peine ou aux réductions de peines supplémentaires dont elle a bénéficié et qui n'ont pas fait l'objet d'une décision de retrait. » ; qu'enfin, aux termes de l'article 729 du même code : « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu'ils justifient soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d'indemniser leurs victimes. » ;

Considérant que l'application d'une mesure de placement sous surveillance électronique mobile, qui ne peut intervenir qu'avec le consentement de l'intéressé, est limitée dans le temps et ne peut être ordonnée que par le juge ou le tribunal d'application des peines ; que cette mesure, dont la mise en oeuvre ne repose pas sur la culpabilité des condamnés, mais sur leur dangerosité, répond à un objectif de prévention de la récidive commun au placement sous surveillance judiciaire et à la mise en liberté conditionnelle ; que, lorsqu'elle est prononcée dans le cadre de la surveillance judiciaire, elle ne peut se poursuivre au-delà de la durée de la peine initialement prononcée et, dès lors, est constitutive d'une mesure d'exécution de cette peine ; que lorsqu'elle est prononcée dans le cadre d'une libération conditionnelle, elle constitue une modalité d'aménagement de la peine, le refus d'un tel placement ayant pour seule conséquence le refus de la libération conditionnelle sans que soient affectées les réductions de peine dont bénéfice le condamné ; qu'ainsi, dans l'un et l'autre cas, le placement sous surveillance électronique mobile ne constitue par lui-même, ni une peine ni une sanction au sens des stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la SECTION FRANÇAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance du principe de non rétroactivité des peines et des sanctions énoncé par cet article ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;

Considérant que le décret attaqué, pris pour l'application d'une loi relative à la prévention des infractions pénales, met en oeuvre une mesure qui, dans le cadre de l'exécution ou de l'aménagement d'une peine, permet, de par ses caractéristiques techniques, de concilier un objectif de prévention de la récidive et le droit au respect de la vie privée et familiale du condamné, dans des conditions plus satisfaisantes que ne l'autorise l'incarcération ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les stipulations précitées seraient méconnues ne saurait être accueilli ;

Sur les conclusions dirigées contre l'article 6 du décret attaqué :

Considérant que si le requérant soutient que l'article 6 du décret attaqué est inintelligible, il résulte de la combinaison des articles 721 et 729 du code de procédure pénale que les modalités d'attribution ou de retrait de durée de réduction de peine, et d'admissibilité à la libération conditionnelle, sont moins favorables pour les condamnés en état de récidive légale que pour ceux faisant l'objet d'une première condamnation ; que les dispositions attaquées tirent les conséquences de ces principes en tenant compte, d'une part, de la durée de la peine des détenus, et d'autre part, de ce qu'ils ont été ou non condamnés en état de récidive ; qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Sur les conclusions dirigées l'article 18 du décret attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article D. 115-14-1 du code de procédure pénale, issu de l'article 18 du décret attaqué : « Le montant maximal du retrait susceptible d'être ordonné ne peut excéder deux ou trois mois pour chaque année de détention et cinq ou sept jours pour chaque mois de détention, selon qu'il s'agit ou non d'une condamnation prononcée pour des faits commis en récidive, et sous réserve des précisions apportées par l'article D. 115-14-2. Ce montant est calculé au regard de la période de détention examinée pour apprécier la conduite du condamné. / Toutefois, si cette période est inférieure à un mois, ce montant peut atteindre sept jours, ou cinq jours s'il s'agit d'une condamnation prononcée pour des faits commis en récidive, dès lors que le total des retraits ordonnés ne dépasse pas le montant du crédit de réduction de peine dont a bénéficié le condamné. » ; que ces dispositions, en précisant les modalités de retrait de réduction de peine pour des périodes de détention inférieures à un mois, apporte des précisions qui ne font que tirer les conséquences de l'article 721 du code de procédure pénale ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation de cet article doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué et que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article1er : La requête de la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SECTION FRANCAISE DE L'OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - CONSTITUTION ET PRINCIPES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE - OBJECTIF À VALEUR CONSTITUTIONNELLE D'INTELLIGIBILITÉ DE LA NORME - MÉCONNAISSANCE PAR L'ARTICLE 6 DU DÉCRET DU 30 MARS 2006 MODIFIANT LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE - ABSENCE.

Les dispositions de l'article 6 du décret n° 2006-385 du 30 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale et pris pour l'application de la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, tirent les conséquences des articles 721 et 729 du code de procédure pénale, dont il résulte que les modalités d'attribution ou de retrait de durée de réduction de peine et d'admissibilité à la libération conditionnelle sont moins favorables pour les condamnés en état de récidive légale que pour ceux faisant l'objet d'une première condamnation. Elles ne méconnaissent pas l'exigence d'intelligibilité des textes.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - ARTICLE 7 DE LA CEDH - PLACEMENT DES CONDAMNÉS SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE MOBILE - MÉCONNAISSANCE - ABSENCE.

Le placement sous surveillance électronique mobile ne constitue par lui-même ni une peine ni une sanction au sens des stipulations de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Son application immédiate aux condamnés placés sous surveillance judiciaire ainsi qu'à ceux bénéficiant d'une mesure de libération conditionnelle ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité des peines énoncé par cet article.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE (ART - 8) - VIOLATION - ABSENCE - PLACEMENT DES CONDAMNÉS SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE MOBILE.

Le placement sous surveillance électronique mobile, qui met en oeuvre une mesure permettant de concilier un objectif de prévention de la récidive et le droit au respect de la vie privée et familiale du condamné dans des conditions plus satisfaisantes que l'incarcération, ne méconnaît pas l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 12 déc. 2007, n° 293993
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Rapporteur public ?: M. Guyomar Mattias
Avocat(s) : SPINOSI

Origine de la décision
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Date de la décision : 12/12/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 293993
Numéro NOR : CETATEXT000018007963 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-12-12;293993 ?
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