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22/02/2008 | FRANCE | N°274669

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 22 février 2008, 274669


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2004 et 29 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société à responsabilité limitée NTA, dont le siège est 5 rue Jean-Baptiste-Huet à Jouy-en-Josas (78350) ; la SOCIETE NTA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 septembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 24 octobre 2000 du tribunal administratif de Papeete condamnant le ministre de la défense à verser à la société requér

ante la somme de 1 230 846,83 euros en réparation du préjudice subi du fait ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 novembre 2004 et 29 mars 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société à responsabilité limitée NTA, dont le siège est 5 rue Jean-Baptiste-Huet à Jouy-en-Josas (78350) ; la SOCIETE NTA demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 septembre 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 24 octobre 2000 du tribunal administratif de Papeete condamnant le ministre de la défense à verser à la société requérante la somme de 1 230 846,83 euros en réparation du préjudice subi du fait de la modification unilatérale du contrat passé avec le ministre de la défense pour la fourniture d'une barge-hôtel sur le site de Mururoa et du surcoût de la démobilisation de cette barge ;

2°) statuant au fond, de faire droit à l'intégralité de ses conclusions de première instance en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 2 216 025,03 euros en dédommagement des surcoûts subis par elle du fait de modifications unilatérales des conditions d'exécution du contrat, avec intérêts capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 66-420 sur les contrats d'affrètement et de transport maritime ;

Vu le décret n° 66-1078 sur les contrats d'affrètement et de transport maritime ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE NTA,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un contrat notifié le 24 décembre 1997, le ministre de la défense a confié à la société à responsabilité limitée NTA un marché de fournitures et de services consistant en la mise à disposition d'une barge-hôtel pour l'hébergement temporaire des personnels du centre d'expérimentation nucléaire de Mururoa ; que ce contrat prévoyait la livraison de cet équipement dans un port choisi par le fréteur et dans lequel des travaux de mise en conformité devaient être réalisés avant l'appareillage pour Mururoa ; que toutefois, par ordres de service en dates du 10 et du 18 décembre 1997, l'administration a demandé à l'entreprise d'acheminer la barge-hôtel au départ de Singapour, dans les meilleurs délais, de manière à respecter la date de mise à disposition à Mururoa, contractuellement prévue le 1er février 1998, et a autorisé l'entreprise à réaliser les travaux nécessaires sur place ; que le contrat venait à échéance le 24 juillet 1998 ; que la SOCIETE NTA a cependant maintenu la barge-hôtel en rade de Mururoa au-delà de cette date, faute de disposer d'un prestataire en mesure d'assurer son acheminement ; qu'elle a dû finalement recourir à un acheminement par deux remorqueurs qui s'est avéré facteur de surcoûts ; que la société a présenté à l'administration, le 5 octobre 1998, un mémoire de réclamation récapitulant ses différents chefs de préjudice qui a été refusé par l'administration le 30 novembre 1998 ; que le tribunal administratif de Papeete a fait droit partiellement à sa demande par un jugement du 24 octobre 2000 ; que toutefois, sur appel du ministre de la défense et appel incident de la SOCIETE NTA, la cour administrative d'appel de Paris a, le 21 septembre 2004, annulé ce jugement par un arrêt contre lequel la SOCIETE NTA se pourvoit en cassation ;

Sur le moyen tiré de l'erreur de droit relative à l'indemnisation des préjudices à raison de la variation des taux de change :

Considérant qu'après avoir estimé que l'économie du marché conclu entre la SOCIETE NTA et le ministre de la défense n'avait pas été bouleversée, la cour a pu sans erreur de droit juger que la variation du taux de change « dollar contre franc » entre le moment où la SOCIETE NTA a payé ses fournisseurs et celui où elle a perçu ses premiers règlements au titre du marché constituait un aléa restant à sa charge ; qu'en effet, le retard de paiement proprement dit ayant été compensé par le versement d'intérêts moratoires, le préjudice né spécifiquement de la variation des taux de change, qui présente un caractère aléatoire, ne pouvait donner lieu à indemnisation qu'en cas de bouleversement de l'économie du contrat ;

Sur le moyen tiré de la dénaturation des pièces du dossier et des stipulations du contrat relatives à l'obligation qu'aurait eue l'administration de prolonger le contrat :

Considérant qu'aux termes de l'article 10.2 du cahier des clauses particulières, l'administration « peut accorder une prolongation du contrat lorsqu'une cause n'engageant pas la responsabilité du cocontractant fait obstacle à l'exécution du marché dans le délai contractuel. Il en est notamment ainsi, si la cause est le fait de la personne publique ou provient d'un événement extérieur ayant le caractère d'une force majeure » ; que la cour n'a dénaturé ni les stipulations contractuelles ni les pièces du dossier en jugeant que la recherche par la SOCIETE NTA, pour l'acheminement de la barge-hôtel à l'échéance du contrat, d'un prestataire susceptible, soit de transporter cette barge au moyen d'un navire semi-submersible, soit de la remorquer, relevait de sa seule responsabilité de professionnel averti et que les difficultés rencontrées à cet égard n'étaient pas imputables à l'administration et ne constituaient pas un cas de force majeure ; qu'elle a pu en déduire que l'administration ne se trouvait pas dans une situation lui permettant ou lui faisant obligation de prolonger le contrat ; que les juges du fond n'avaient pas à rechercher, en l'absence de toute argumentation dans ce sens, si l'absence de mise en jeu de la faculté qu'avait l'administration de prolonger le contrat révélait une erreur d'appréciation ;

Sur le moyen tiré d'une dénaturation des pièces du dossier et des stipulations contractuelles s'agissant des obligations de l'administration pour l'assistance à la sortie de la rade :

Considérant que l'article 4.3.1 du cahier des clauses particulières dispose que « l'entrée dans le lagon de Mururoa et la sortie se fera obligatoirement avec le concours du pilote fourni par la marine à Mururoa. Cette dernière apportera son concours en remorqueurs et pousseurs pour la mise à quai du navire » ; que la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les stipulations contractuelles en jugeant qu'aucune assistance par pousseur et remorqueur n'était due pour la sortie de la rade et que, à supposer que cette obligation ait existé, elle a pris fin à l'expiration du contrat, le 24 juillet 1998 ;

Sur les moyens relatifs à la modification unilatérale du contrat :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 du cahier des clauses particulières : « La livraison aura lieu dans un port désigné par le fréteur à une date choisie de telle façon que les éventuelles corrections à l'état du navire pour le rendre conforme aux obligations du marché puissent être effectuées avant son appareillage pour Mururoa. » ; qu'en demandant à l'entreprise, par deux ordres de service des 10 et 18 décembre 1997, d'appareiller dans les meilleurs délais et de réaliser les travaux de mise en conformité sur le site d'arrivée plutôt que dans le port de départ ainsi qu'il était prévu au contrat, alors même que l'impossibilité de réaliser les travaux avant le départ résultait du retard pris par l'administration à notifier le marché, cette dernière a unilatéralement modifié le contrat ; qu'en jugeant le contraire, la cour administrative d'appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à ce titre, que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 21 septembre 2004 doit être annulé en tant qu'il annule le jugement du tribunal administratif de Papeete et rejette la demande de la SOCIETE NTA tendant à l'indemnisation du préjudice lié à la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'acheminer les matériels nécessaires aux travaux de mise en conformité, à Mururoa, du fait d'une modification unilatérale du contrat qui la liait à l'administration ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond dans la mesure de ce qui a été annulé ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'administration a unilatéralement modifié le contrat en tant qu'il prévoyait la réalisation des travaux de mise en conformité dans le port d'appareillage ; que cette modification ouvre, au bénéfice du cocontractant, un droit à indemnisation du préjudice qui en est résulté ; que la SOCIETE NTA soutient avoir dû supporter, à raison du transport des matériels nécessaires à l'adaptation de la barge-hôtel jusqu'à Mururoa, des coûts supplémentaires d'un montant de 87 479,21 euros ; que ce montant n'a jamais été contesté par le ministre ; qu'ainsi, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 87 479,21 euros qui sera versée à la SOCIETE NTA ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE NTA et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 21 septembre 2004 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il annule le jugement du tribunal administratif de Papeete du 24 octobre 2000 mettant à la charge de l'Etat la somme de 87 479,21 euros en indemnisation du préjudice né de la modification unilatérale du contrat.
Article 2 : L'Etat versera à la SOCIETE NTA la somme de 87 479,21 euros en indemnisation du préjudice lié au transport des matériels nécessaires à la mise en conformité de la barge, à Mururoa.
Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE NTA la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SOCIETE NTA est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE NTA et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 274669
Date de la décision : 22/02/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 fév. 2008, n° 274669
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Agnès Fontana
Rapporteur public ?: M. Casas Didier
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:274669.20080222
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