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18/04/2008 | FRANCE | N°294110

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 18 avril 2008, 294110


Vu 1°), sous le n° 294110, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Adiouma A, demeurant ... ;


Vu 2°), sous le n° 294116, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Adiouma A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les jugements n° 0204639/3-2 et 0205198/3-2 du 12 octobre 20

05 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l...

Vu 1°), sous le n° 294110, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Adiouma A, demeurant ... ;


Vu 2°), sous le n° 294116, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 juin et 2 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Adiouma A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les jugements n° 0204639/3-2 et 0205198/3-2 du 12 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du Premier ministre rejetant ses demandes de révision de sa retraite de combattant ;

2°) d'annuler les décisions du Premier ministre rejetant ses demandes de révision de sa pension de combattant ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, dans chacune des deux affaires, le versement à la SCP Lyon-Caen-Fabiani-Thiriez de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidités et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par deux jugements en date du 12 octobre 2005, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A, ressortissant sénégalais, tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant ; que, par deux requêtes distinctes, M. A se pourvoit en cassation contre ces jugements ;

Considérant que les requêtes de M. A présentent à juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Il est institué pour tout titulaire de la carte du combattant (…) une retraite cumulable, sans aucune restriction, avec la retraite qu'il aura pu s'assurer par ses versements personnels (…)./ Cette retraite annuelle, qui n'est pas réversible, est accordée en témoignage de la reconnaissance nationale ; qu'aux termes de l'article 71 de la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 rendu applicable aux ressortissants sénégalais par l'article 14 de la loi n° 79-1102 du 21 décembre 1979, modifié par l'article 22 de la loi n° 81 ;1179 du 31 décembre 1981 : I - A compter du 1er janvier 1961, les pensions, rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation ... ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (…) ;

Considérant que le tribunal a fait une inexacte application des stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en jugeant que la retraite du combattant attribuée en application des dispositions de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre précité, qui constitue pour ses bénéficiaires une créance, ne peut être regardée comme un bien au sens desdites stipulations ; que M. A est, par suite, fondé à demander, pour ce motif, l'annulation des jugements attaqués ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'une distinction entre les personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 précitée, que les pensions perçues par les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, ne sont pas revalorisables dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que, dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité ; que la différence de situation existant entre d'anciens combattants, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet de la retraite du combattant, une différence de traitement ; que si les dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des Etats concernés et de l'évolution désormais distincte de leur économie et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation des retraites du combattant en fonction de l'évolution de l'économie française, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de la retraite du combattant, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles ne pouvaient justifier le refus opposé par l'administration à la demande présentée par M. A en vue de la revalorisation de sa retraite du combattant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'administration a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant ;

Sur la prescription quadriennale opposée par le ministre de la défense :

Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ; que les conclusions du ministre de la défense opposant la prescription à la demande de M. A ont été présentées pour la première fois devant le Conseil d'Etat au titre du règlement de l'affaire au fond et sont par suite irrecevables ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de condamner l'Etat à payer à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez la somme de 4 000 euros ;



D E C I D E :
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Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Paris du 12 octobre 2005, ensemble la décision implicite du Premier ministre rejetant la demande de M. A tendant à la revalorisation de sa retraite du combattant sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A, la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Adiouma A et au ministre de la défense.
Une copie sera transmise pour information au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 294110
Date de la décision : 18/04/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 18 avr. 2008, n° 294110
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Pinault
Rapporteur ?: M. Benoit Bohnert
Rapporteur public ?: M. Vallée Laurent
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:294110.20080418
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