Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 mars et 16 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Yves A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 décembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 4 juin 2003 du tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion rejetant sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'article 3 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juillet 2001 décidant que sa mutation dans le département de la Réunion n'ouvre pas droit à l'indemnité d'éloignement prévue par le décret du 22 décembre 1953, ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 14 octobre 2001 et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser l'indemnité d'éloignement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande présentée devant le tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 53-1266 du 22 décembre 1953 ;
Vu le décret n° 2001-1226 du 20 décembre 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Damien Botteghi, Auditeur,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 22 décembre 1953 portant aménagement du régime de rémunération des fonctionnaires de l'Etat en service dans les départements d'outre-mer : « Les fonctionnaires de l'Etat qui recevront une affectation dans l'un des départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique ou de la Réunion, à la suite de leur entrée dans l'administration, d'une promotion ou d'une mutation et dont le précédent domicile était distant de plus de 3 000 kilomètres du lieu d'exercice de leurs nouvelles fonctions percevront, s'ils accomplissent une durée minimum de services de quatre années consécutives, une indemnité dénommée indemnité d'éloignement des départements d'outre-mer non renouvelable » ; qu'aux termes de l'article 10 du décret du 20 décembre 2001 portant création d'une indemnité particulière de sujétion et d'installation : « 1°) Le titre 1er « Indemnités d'éloignement » du décret du 22 décembre 1953 (...) est abrogé à compter du 1er janvier 2002. / 2°) A titre transitoire, demeurent régis par les dispositions du titre Ier du décret du 22 décembre 1953 susvisé les personnels en fonction à la date d'entrée en vigueur du présent décret ainsi que ceux dont l'affectation a été notifiée avant cette date, même s'ils n'ont pas encore rejoint leur poste. » ;
Considérant que, pour juger par son arrêt du 12 décembre 2006 que M. A, fonctionnaire de l'Etat muté à la Réunion à la date du 1er septembre 2001, avait conservé dans ce département le centre de ses intérêts matériels et moraux et n'avait donc pas droit, à l'occasion de cette mutation, au bénéfice de l'indemnité d'éloignement prévue par les dispositions de l'article 2 du décret du 22 décembre 1953, la cour administrative d'appel de Bordeaux a omis de tenir compte de l'importance de la durée du séjour de l'intéressé en métropole ; que cet arrêt est par suite entaché d'erreur de droit ; que M. A est donc fondé à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A est demeuré en métropole depuis le 15 novembre 1954, date de sa naissance, jusqu'en juillet 1988 ; qu'il y a effectué sa scolarité puis exercé son activité professionnelle, qu'il s'y est marié, que ses trois enfants y sont nés et qu'il y a acquis un logement ; que de juillet 1988 à septembre 1992, il a résidé avec sa famille à la Réunion où il a exercé l'activité de gérant d'une société d'ambulance ; qu'à la suite de son succès au concours de gardien de la paix, il s'est installé en métropole avec sa famille à compter de cette dernière date et y a occupé ses fonctions jusqu'à la date du 1er septembre 2001 à laquelle il a été muté à la Réunion ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances, et notamment du nombre d'années de résidence en métropole de M. A que celui-ci doit être regardé, alors même qu'il a résidé quatre années de juillet 1988 à septembre 1992 à la Réunion, comme ayant eu à cette date le centre de ses intérêts matériels et moraux en métropole ; que c'est dès lors par une inexacte application des dispositions de l'article 2 du décret du 22 décembre 1953 que le ministre de l'intérieur, par l'article 3 de son arrêté du 23 juillet 2001, a décidé que la mutation à la Réunion de M. A qu'il prononçait à compter du 1er septembre 2001 par l'article 1er du même arrêté, ne lui ouvrait pas droit à l'indemnité d'éloignement prévue par ces dispositions ;
Considérant que le ministre de l'intérieur ne conteste pas que M. A remplit les autres conditions auxquelles est subordonné le paiement de l'indemnité d'éloignement ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'article 3 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juillet 2001 ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser l'indemnité d'éloignement ;
Considérant qu'il y a lieu de renvoyer M. A devant le ministre de l'intérieur pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité d'éloignement à laquelle il a droit ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. A la somme de 4 000 euros que demande celui-ci au titre des frais qu'il a exposés en appel et en cassation, et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 12 décembre 2006 ainsi que le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion du 4 juin 2003 sont annulés.
Article 2 : L'article 3 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 23 juillet 2001, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. A, sont annulés.
Article 3 : M. A est renvoyé devant la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnité d'éloignement à laquelle il a droit.
Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Yves A et à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.