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04/06/2008 | FRANCE | N°304526

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 04 juin 2008, 304526


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 12 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Lionel A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 1er juillet 2003 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le reve

nu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1990, 1991 et ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 avril et 12 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Lionel A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté leur requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 1er juillet 2003 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1990, 1991 et 1992, en conséquence de la procédure de redressement de la SNC Div'Air, d'autre part, à ce que soit prononcée la décharge demandée ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son préambule ;

Vu la convention fiscale conclue entre la France et les Etats-Unis d'Amérique le 28 juillet 1967, modifiée, publiée au Journal officiel de la République française du 27 octobre 1985, notamment son article 26 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Odent, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société en nom collectif Div'Air a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 1990 à 1992, au terme de laquelle l'administration a remis en cause, d'une part, la déduction de son résultat au titre de l'année 1990, opérée sur le fondement de l'article 238 bis HA du code général des impôts, de la valeur d'un avion de marque Cessna, immatriculé N-4EK, qu'elle avait pris en crédit-bail, d'autre part, le montant des charges de loyer déduites au titre des années 1991 et 1992 à raison de la mise à sa disposition de ce même appareil, dont l'administration a estimé qu'elles revêtaient un caractère excessif ; que les rehaussements des résultats de la société Div'Air qui en ont découlé ont été imposés au titre de l'impôt sur le revenu de M. et Mme A, à raison des parts de la société Div'Air détenues par M. A par l'intermédiaire de l'EURL Cl'Air, dont il était l'unique associé ; qu'après avoir vainement contesté ces rehaussements devant l'administration, M. et Mme A ont saisi du litige le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui a rejeté leur demande ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 8 février 2007 contre lequel M. et Mme A se pourvoient en cassation ;

Sur l'imposition en litige au titre de l'année 1990 :

Considérant qu'aux termes de l'article 238 bis HA du code général des impôts, applicable aux impositions en litige : I. Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ou assujetties à un régime réel d'imposition peuvent déduire de leurs résultats imposables une somme égale au montant total des investissements productifs réalisés dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion à l'occasion de la création ou l'extension d'exploitations appartenant aux secteurs d'activité de l'industrie, de la pêche, de l'hôtellerie, du tourisme, des énergies nouvelles, de l'agriculture, du bâtiment et des travaux publics, des transports et de l'artisanat. La déduction est opérée sur le résultat de l'exercice au cours duquel l'investissement est réalisé (...). / V. Les dispositions du présent article sont applicables entre le 15 septembre 1986 et le 31 décembre 1996. / Un décret précise, en tant que de besoin, les modalités de leur application ;

Considérant qu'il ressort des dispositions précitées de l'article 238 bis HA du code général des impôts que l'objet de la loi est d'encourager notamment les investissements productifs directs réalisés à l'occasion de la création ou de l'extension d'exploitations appartenant aux secteurs éligibles ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit en jugeant que l'administration avait pu légalement considérer que l'appareil en litige n'était pas éligible au régime défini par ces dispositions, au seul motif qu'il s'agissait d'un bien d'occasion ; que M. et Mme A sont fondés, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le supplément d'impôt sur le revenu mis à leur charge au titre de l'année 1990 ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;

Considérant que l'administration a refusé de regarder l'avion exploité par la société Div'Air, pour l'application de l'article 238 bis HA du code général des impôts, précité, comme un investissement productif réalisé dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de la Réunion ; que cependant, si l'administration affirme que la société Div'Air ne disposait d'aucune installation à l'adresse guadeloupéenne à laquelle elle était réputée exercer son activité, ce qui est au demeurant contesté, il est en revanche constant que la société proposait ses services à partir de l'aéroport de Pointe-à-Pitre ; que dans ces conditions, la circonstance que l'entretien et la maintenance de l'appareil étaient assurés aux Etats-Unis est sans incidence sur le lieu d'exploitation effective de celui-ci, alors au surplus que les requérants font valoir sans être contredits que les matériels et le personnel nécessaires pour procéder à ces opérations n'existaient pas, en ce qui concerne le type de l'appareil en litige, dans les départements d'outre-mer ; qu'enfin, si l'administration prétend que cet avion effectuait principalement des vols en provenance ou à destination d'aéroports situés en dehors des départements d'outre-mer, ces allégations ne sont nullement corroborées par les données recueillies auprès des services de l'aviation civile dont elle se prévaut ; que dans ces conditions, il résulte de l'instruction que l'exploitation de l'avion utilisé par la société Div'Air doit être regardée comme se rattachant au territoire des départements d'outre-mer ; que, par suite, M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 1990, au motif que l'appareil utilisé par la société Div'Air ne constituait pas un investissement productif au sens des dispositions de l'article 238 bis HA du code général des impôts ;

Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués en défense par l'administration, tant en première instance qu'en appel ;

Considérant que l'administration ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article 46 quaterdecies A de l'annexe III au code général des impôts, alors en vigueur, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'elles restreignent la portée de la loi en limitant les investissements productifs mentionnés à l'article 238 bis HA-I du code général des impôts aux seules acquisitions ou créations d'immobilisations neuves ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande en décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 1990, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué à l'encontre de cette imposition ;

Sur les impositions en litige au titre des années 1991 et 1992 :

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la convention fiscale conclue entre la France et les Etats-Unis le 28 juillet 1967 et modifiée par un avenant du 17 janvier 1984 : Les autorités compétentes des Etats contractants échangeront les renseignements nécessaires pour l'application des dispositions de la présente convention ou pour prévenir la fraude ou l'évasion fiscale en ce qui concerne les impôts qui font l'objet de cette convention. Tout renseignement ainsi échangé est tenu secret et ne peut être communiqué qu'aux personnes (y compris les tribunaux et les organismes administratifs) qui sont chargées de l'assiette, du recouvrement, de l'administration, de la perception, des poursuites ou de la détermination des recours relatifs aux impôts faisant l'objet de la présente convention ; que ces stipulations n'ont pas par elles-mêmes pour objet de faire obstacle à la communication au juge administratif compétent en cette matière, par l'administration fiscale, de renseignements recueillis dans le cadre de cette convention ; que, toutefois, le juge administratif est tenu de ne statuer, conformément aux principes généraux de la procédure, qu'au vu des seules pièces du dossier qui ont été communiquées aux parties ; qu'il lui appartient dès lors, si l'administration choisit de transmettre au juge de l'impôt les renseignements, y compris les documents, échangés dans le cadre de la convention, de les communiquer à la partie adverse ; que, dans le cas inverse, il lui appartient, dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de la procédure, de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige ;

Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la cour, en jugeant, alors que M. et Mme A faisaient valoir que les juges du fond ne pouvaient, sans porter atteinte au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, se fonder sur des informations qui ne leur avaient pas été communiquées, que le secret résultant des seules stipulations précitées s'opposait à la divulgation au contribuable des renseignements que l'administration détenait par l'exercice du droit de communication vis-à-vis des services fiscaux américains prévu par la convention, a commis une erreur de droit ; que M. et Mme A sont fondés, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les suppléments d'impôt sur le revenu mis à leur charge au titre des années 1991 et 1992, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre cette partie de l'arrêt ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;

Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;

Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les loyers déduits en charge par la société Div'Air, calculés à partir du prix d'achat par le bailleur de l'avion mis à la disposition de cette dernière, sont justifiés par des factures dont ni la régularité ni la réalité n'a été mise en cause par l'administration ; que celle-ci se borne à faire état, à l'appui de sa contestation du caractère excessif des loyers, d'informations fournies par l'administration américaine selon lesquelles le prix d'achat retenu pour leur calcul aurait été exagéré ; que cependant, elle ne produit pas les documents dont elle se prévaut, et ne fournit aucun autre élément qui serait susceptible d'étayer ses allégations ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin d'ordonner un supplément d'instruction sur ce point, l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la rémunération par les loyers litigieux de la prestation représentée par la mise à disposition de l'avion serait excessive ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des impositions en litige au titre des années 1991 et 1992, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête dirigés contre ces impositions ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à demander la décharge de la totalité des impositions en litige ;

Sur les conclusions, présentées tant en cassation qu'en appel et en première instance, tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de ces dispositions, une somme de 7 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 8 février 2007 est annulé.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 1er juillet 2003 est annulé.

Article 3 : M. et Mme A sont déchargés des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1990, 1991 et 1992.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme A une somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M.et Mme Lionel A et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 304526
Date de la décision : 04/06/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 jui. 2008, n° 304526
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Vincent Daumas
Rapporteur public ?: Mme Escaut Nathalie
Avocat(s) : ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:304526.20080604
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