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06/08/2008 | FRANCE | N°293106

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 06 août 2008, 293106


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 mai et 1er septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Joseph A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 4 octobre 2005 de la cour administrative d'appel de Versailles, en tant qu'il a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 24 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Versailles, après avoir prononcé un non-lieu partiel, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des cotisati

ons supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 mai et 1er septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Joseph A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 4 octobre 2005 de la cour administrative d'appel de Versailles, en tant qu'il a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 24 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Versailles, après avoir prononcé un non-lieu partiel, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1988 et 1989 et des compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1989 ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, au prononcé de la décharge des impositions restant en litige ;

2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités correspondantes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Bertrand, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la vérification de la comptabilité de la société en participation exploitée sous l'enseigne cabinet du Val à Argenteuil (Val-d'Oise), dont l'activité principale est le recouvrement de créances, M. A, associé à 99,99 % de cette société, a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 1988 et 1989 ainsi qu'à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1989 ; que ces redressements, contestés par M. A le 22 novembre 1991, ont été confirmés par le service le 23 décembre 1991, puis soumis à la demande du contribuable à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui les a examinés au cours de sa séance du 7 décembre 1992, et mis en recouvrement le 22 novembre 1993 s'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, et le 31 mars 1994 pour ce qui concerne l'impôt sur le revenu ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 octobre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 24 décembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Versailles, après avoir prononcé un non-lieu partiel à hauteur des sommes dégrevées par l'administration en cours d'instance, a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1989 ainsi que des pénalités correspondantes ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : Lorsque le désaccord persiste sur les redressements notifiés, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis, soit de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts, soit de la commission départementale de conciliation prévue à l'article 667 du même code. ; que selon les dispositions de l'article R. 60-3 du livre des procédures fiscales : L'avis ou la décision de la commission départementale doit être motivé. (...) ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : (...) La charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou le redressement est soumis au juge ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que les rappels d'impôt que l'administration envisage de mettre à la charge d'un contribuable ne peuvent être regardés comme établis conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'à la condition que la commission ait expressément entériné les bases d'imposition notifiées par le service et, d'autre part, que lorsque la commission estime qu'elle n'est pas en mesure d'émettre, en l'état du dossier qui lui est soumis par l'administration, un avis sur les redressements envisagés par celle-ci, il lui appartient de procéder à un supplément d'instruction ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a indiqué dans l'avis rendu au cours de sa séance du 7 décembre 1992 sur le litige opposant M. A à l'administration fiscale que si les recoupements opérés par le service mettaient en évidence l'existence d'une minoration de recettes au titre des exercices concernés par la vérification de comptabilité, ils ne permettaient pas d'en appréhender avec précision le montant, et que par suite, elle n'était pas à même d'émettre un avis sur les redressements ; qu'il suit de là, d'une part, que l'absence d'avis de la commission départementale sur ce point quoique dépourvue d'incidence sur la régularité de la procédure d'imposition était inopposable à la société et, d'autre part, que l'administration devait supporter la preuve du bien-fondé des redressements ; que par suite, en jugeant, sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, qu'il appartenait au requérant de justifier de l'exagération des impositions qu'il conteste, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas contesté que la vérification de comptabilité de la société en participation le cabinet du Val s'est déroulée dans les locaux de cette société, dans lesquels le vérificateur a effectué douze interventions ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il se serait, lors de ces interventions, refusé à tout échange de vue avec le contribuable ; que par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé de la possibilité d'engager un débat oral et contradictoire avec le vérificateur ;

Considérant, en second lieu, que s'il incombe à l'administration, lorsqu'elle envisage de modifier les bases d'impositions d'un contribuable, d'informer celui-ci de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a pu obtenir auprès de tiers dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, afin qu'il soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les pièces concernées soient mises à sa disposition, cette obligation ne porte que sur les renseignements qu'elle a effectivement utilisés pour procéder aux redressements et n'implique pas que le vérificateur soit tenu de faire part au contribuable, lors des interventions sur place, de ce qu'il a demandé à des tiers des renseignements concernant la société vérifiée et des éléments qu'il a pu recueillir dans le cadre de ces investigations ; qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressements adressée à M. A était accompagnée de deux états des recoupements obtenus auprès des particuliers débiteurs, précisant le nom, le montant de la créance à recouvrer, le produit comptabilisé, le produit réellement payé, les honoraires versés et le montant des omissions de recettes ; que le requérant n'établit pas que l'administration se serait fondée sur des éléments autres que ceux qui figuraient dans ces états de recoupement ; que s'il soutient que l'administration se serait abstenue de répondre à sa demande, formulée par courrier du 6 novembre 1992, de communication des pièces ayant servi à fonder les redressements, il n'a pas été en mesure d'apporter la preuve de l'envoi de ce courrier ; qu'il suit de là que M. A n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait méconnu les règles relatives au débat oral et contradictoire en raison du refus du vérificateur de lui communiquer dès le stade des interventions effectuées dans le cadre de la vérification de comptabilité les réponses apportées par des tiers à des demandes d'information émanant du service ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la comptabilité du cabinet du Val ne comportait aucune trace des paiements des débiteurs justifiant les sommes portées en comptabilité ; que les opérations de recouvrement réalisées n'ont donné lieu à l'envoi d'aucun courrier aux débiteurs, ni à la délivrance de reçus à la suite du paiement des créances ; que des recoupements effectués auprès des débiteurs défaillants ont permis d'établir que les sommes recouvrées et les honoraires correspondants étaient très supérieurs aux montants retracés par la comptabilité de la société ; que si M. A soutient que l'ensemble de ses écritures comptables étaient régulières, l'administration doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant apporté la preuve de ce que la comptabilité du cabinet du Val était entachée de graves irrégularités, conduisant, à bon droit, à l'écarter comme non probante ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales que le contribuable supporte la charge de la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration lorsque, d'une part, la comptabilité comporte de graves irrégularités et, d'autre part, l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la seconde condition ne peut être regardée comme satisfaite lorsque cette commission émet un avis par lequel elle estime ne pas être en mesure de valider les bases d'imposition retenues par l'administration ; qu'il appartient dès lors à l'administration fiscale d'établir le bien-fondé des bases arrêtées par elle ;

Considérant, en troisième lieu, que, pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société vérifiée, l'administration a procédé à l'envoi d'environ deux cents demandes d'information auprès de débiteurs afin de connaître le montant des sommes payées par ceux-ci au cabinet du Val ; que parmi les réponses reçues, elle a écarté celles qui étaient insuffisamment précises ou non exploitables ; que, sur la base, notamment, des renseignements ainsi recueillis, le vérificateur a calculé les montants moyens des créances à recouvrer et, compte tenu des sommes reversées aux créanciers, des honoraires encaissés et, à l'issue d'une reconstitution effectuée par deux méthodes différentes, a retenu le chiffre d'affaires le plus favorable au requérant ; qu'en cours d'instance devant le tribunal administratif, pour tenir compte des observations de M. A, le service a diminué le montant des redressements opérés, en réduisant le montant moyen des honoraires et en substituant un taux de 25 % au taux de recouvrement des créances de 30 % initialement retenu ; que, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de la nature de la société vérifiée, la reconstitution dont il s'agit nonobstant le nombre limité des réponses reçues des débiteurs, ne peut être regardée comme sommaire, dès lors, d'une part, que le vérificateur s'est fondé sur des données tirées de l'exploitation de l'entreprise et a procédé à une large enquête auprès des débiteurs et, d'autre part, que le requérant ne propose pas une méthode de reconstitution plus précise que celle de l'administration ; que si M. A demande qu'il soit fait application de la méthode de l'administration à la seule fraction de son chiffre d'affaire réalisé en espèces, une telle demande ne peut être admise, dès lors que les recoupements effectués par l'administration de manière aléatoire sur l'ensemble des opérations de recouvrement, quel que soit leur mode de paiement, rendait le recours à une telle distinction sans objet ;

Considérant, en quatrième lieu, que compte tenu de la nature de l'activité de l'entreprise et de sa situation de trésorerie, M. A ne justifie pas de la nécessité des apports en compte courant auxquels il a procédé, en se bornant à invoquer la réalisation d'investissements matériels au profit de son cabinet ;

Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce que l'ex-épouse du requérant a été déchargée pour moitié de l'obligation de solidarité à laquelle elle était tenue est relatif au recouvrement de l'impôt et est inopérant dans le cadre du présent litige, qui porte sur l'assiette des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mise à la charge de M. A ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 4 octobre 2005 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Versailles est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Joseph A et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 293106
Date de la décision : 06/08/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-02-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT. REDRESSEMENT. COMMISSION DÉPARTEMENTALE. - A) ETABLISSEMENT DES SUPPLÉMENTS D'IMPÔT CONFORMÉMENT À L'AVIS DE LA COMMISSION (ART. L. 192 DU LPF) - CONDITION - EXISTENCE D'UN AVIS EXPRÈS - B) COMMISSION S'ESTIMANT DANS L'INCAPACITÉ D'ÉMETTRE, EN L'ÉTAT DU DOSSIER, UN AVIS - SUPPLÉMENT D'INSTRUCTION - OBLIGATION - EXISTENCE - C) ESPÈCE - COMMISSION S'ÉTANT ESTIMÉE DANS L'INCAPACITÉ D'ÉMETTRE UN AVIS - CONSÉQUENCE - 1) IRRÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE D'IMPOSITION - ABSENCE - 2) MAINTIEN DE LA PREUVE DU BIEN-FONDÉ DES REDRESSEMENTS À LA CHARGE DE L'ADMINISTRATION - EXISTENCE.

19-01-03-02-03 a) Les rappels d'impôt que l'administration envisage de mettre à la charge d'un contribuable ne peuvent être regardés comme établis conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'à la condition que la commission ait émis un avis exprès. b) Lorsque la commission estime qu'elle n'est pas en mesure d'émettre, en l'état du dossier qui lui est soumis par l'administration, un avis sur les redressements envisagés par celle-ci, il lui appartient de procéder à un supplément d'instruction. c) En l'espèce, la commission a indiqué qu'elle n'était pas à même d'émettre un avis sur les redressements envisagés. 1) L'absence d'avis de la commission sur ce point est dépourvue d'incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. 2) Toutefois, cette absence d'avis est inopposable à la société et, par suite, l'administration doit supporter la preuve du bien-fondé des redressements.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 aoû. 2008, n° 293106
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Benoit Bohnert
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:293106.20080806
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