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27/11/2008 | FRANCE | N°322006

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 novembre 2008, 322006


Vu la requête, enregistrée le 29 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Vincent A, demeurant ... et Mme Mireille B, demeurant ... ; M. A et Mme B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, les actes et directives du ministre de l'éducation nationale adressés aux recteurs, aux inspecteurs d'académies, aux directeurs d'écoles, relatives à la mise en place du système informatique « Base élèves premier degré » ;

2°) d'enjoind

re, sous astreinte, audit ministre de procéder à la destruction de l'ensemble de...

Vu la requête, enregistrée le 29 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Vincent A, demeurant ... et Mme Mireille B, demeurant ... ; M. A et Mme B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, les actes et directives du ministre de l'éducation nationale adressés aux recteurs, aux inspecteurs d'académies, aux directeurs d'écoles, relatives à la mise en place du système informatique « Base élèves premier degré » ;

2°) d'enjoindre, sous astreinte, audit ministre de procéder à la destruction de l'ensemble des données déjà collectées dans le traitement « Base élèves premier degré » ;

ils soutiennent que leur intérêt à agir est caractérisé dès lors que les décisions de mise en oeuvre du système contesté sont des actes réglementaires leur faisant grief ; que la condition d'urgence est satisfaite dans la mesure où la collecte de données à caractère personnel dans le traitement litigieux se poursuit irrégulièrement et sans garantie pour la sécurité des informations recueillies ; qu'en outre, l'introduction de données à caractère personnel dans le traitement informatique attaqué présente un caractère irrémédiable ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité des actes attaqués ; qu'en effet, leurs auteurs sont incompétents dès lors que le régime d'autorisation et les modalités de déclaration auprès de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'ont pas été respectés ; que la procédure de mise en oeuvre du traitement informatique litigieux est irrégulière dans la mesure où le ministre de l'éducation nationale n'a pas transmis à ladite commission les documents qu'elle avait sollicités ; que les actes litigieux portent atteinte au principe d'égalité de traitement, méconnaissant ainsi l'article 1er de la Constitution et les dispositions de la directive 2000/43/CE ; qu'ils méconnaissent également les dispositions de la loi du 6 janvier 1978, notamment ses articles 6, 8, 23, 30, 38 ; que la collecte des données à caractère personnel s'effectue sans information des personnes concernées sur leurs droits, en violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les données relatives à la cellule familiale sont recueillies sans base légale et en violation de plusieurs conventions internationales ; que le traitement automatisé litigieux porte des atteintes disproportionnées aux libertés des personnes au regard des objectifs affichés, ce que confirment les déclarations du ministre de l'éducation nationale devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 17 juin 2008 ; que les actes contestées sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où ils méconnaissent l'avis n° 98 du conseil consultatif national d'éthique ; qu'ils portent atteinte aux droits de l'homme et de l'enfant, aux libertés fondamentales ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 19 novembre 2008, présenté par M. A et Mme B qui maintiennent leurs moyens et leurs conclusions ; ils soutiennent, en outre, que les lettres contestées méconnaissent l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 ; qu'elles portent atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ; ils demandent, enfin, que la somme de 300 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les lettres du ministre de l'éducation nationale dont la suspension est demandée ;

Vu la requête à fin d'annulation de ces mêmes lettres ;

Vu, enregistré le 21 novembre 2008, le mémoire en défense présenté par le ministre de l'éducation nationale qui conclut au rejet de la requête ; le ministre soutient que la requête en suspension est irrecevable dès lors que l'intérêt à agir de Mme B n'est pas démontré ; qu'au surplus, les décisions litigieuses avaient cessé de produire leurs effets au moment de l'introduction de ladite requête ; que la condition d'urgence n'est pas satisfaite dans la mesure où la collecte des données se poursuit sur le fondement de l'arrêté du 20 octobre 2008 ; que la sécurité des données est parfaitement assurée ; que l'enregistrement des données ne présente aucun caractère irrémédiable ; que le moyen tiré de l'incompétence des auteurs des actes doit être rejeté dès lors que le régime d'autorisation de la commission nationale de l'informatique et des libertés ne s'applique pas à la mise en oeuvre du système contesté ; que la procédure de déclaration du système litigieux a été respectée ; que le traitement contesté ne méconnaît pas les dispositions des articles 6, 8, 32, 34 et 38 de la loi du 6 janvier 1978 ; que le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant ; que le traitement automatisé ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée ; que les déclarations du ministre de l'éducation nationale devant la commission des finances de l'Assemblée nationale n'équivalent en rien à une reconnaissance de l'illégalité de l'expérimentation menée ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'avis n° 98 relatif à l'utilisation de nouveaux moyens biométriques d'identification des personnes est inopérant dès lors que ce dernier est dépourvu de tout caractère obligatoire ; qu'au surplus, le traitement contesté n'enregistre aucune donnée biométrique ;

Vu, enregistré le 24 novembre 2008, le mémoire en réplique présenté par M. A et Mme B, qui persistent dans les conclusions de leur requête et présentent les mêmes moyens ; ils précisent, en outre, que Mme B a intérêt à agir en tant qu'usagère du service public et personne susceptible d'être visée par le traitement litigieux ; que la requête aux fins de référé suspension a été enregistrée avant que les actes attaqués cessent de produire leurs effets ; que les données collectées sur le fondement des actes contestés n'ont pas été intégralement et définitivement détruites ; qu'aucun acte administratif n'est intervenu pour procéder au retrait des actes litigieux ; que les modalités de sécurisation des données ne sont pas établies ;

Vu, enregistré le 26 novembre 2008, le mémoire en réplique présenté par M. A et Mme B, qui persistent dans les conclusions de leur requête et soutiennent les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

Vu la directive du conseil 2000/43/CE du 29 juin 2000 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part M. A et Mme B, et d'autre part le ministre de l'éducation nationale ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 26 novembre 2008 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- M. A et Mme B ;

- les représentants du ministre de l'éducation nationale ;

Vu, enregistrée le 27 novembre 2008, la note en délibéré présentée par M. A et Mme B ;

Sur l'intervention du syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de l'Isère :

Considérant que le syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de l'Isère justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête ; qu'ainsi son intervention, qui ne soulève pas de litige distinct, est recevable ;

Sur les conclusions aux fins de suspension :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces conclusions ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que, pour demander la suspension des « actes et directives » par lesquels le ministre de l'éducation a lancé en 2004 l'expérimentation puis la généralisation du traitement automatisé de données personnelles dénommé « Base élèves premier degré », M. A et Mme B font valoir que l'exécution des actes contestés a pour effet de porter atteinte à la vie privée des enfants scolarisés et de leur famille ; que pour établir l'urgence s'attachant à la suspension demandée, M. A et Mme B se prévalent à la fois du maintien dans la « Base élèves premier degré » des données portant, selon eux, atteinte à la vie privée et collectées pendant la première phase de l'expérimentation et des conditions insuffisantes de sécurisation de l'accès au traitement ;

Considérant, d'une part, que le ministre de l'éducation nationale a déclaré à la CNIL dès le 24 décembre 2004 la constitution et l'expérimentation dans plusieurs départements du traitement automatisé dit «Base élèves premier degré » aux fins notamment d'assurer la gestion administrative et pédagogique des élèves du premier degré par la connaissance de l'identité des élèves, de leurs responsables légaux et des caractéristiques de leur scolarité ; qu'il a été tiré en février 2006 un premier bilan de cette expérimentation ; qu'à la suite de celui-ci, le ministère a déposé une déclaration modificative à la CNIL le 19 février 2008 réduisant à la fois la liste des données présentes dans le traitement et la durée de leur conservation ; qu'enfin, postérieurement à la période des actes dont la suspension est demandée, le ministre de l'éducation nationale a, par arrêté en date du 20 octobre 2008, créé définitivement le traitement automatisé en fixant limitativement « les données à caractère personnel enregistrées » à l'exclusion de toute mention sur la santé, l'origine sociale ou la langue parlée des familles ; qu'en particulier, l'article 4 du même arrêté dispose « aucune donnée relative à la nationalité et l'origine raciale ou ethnique des élèves et de leurs parents ou responsables légaux ne peut être enregistrée » et l'article 5 précise que « la durée maximum de conservation des données dans la Base élèves premier degré n'excédera pas le terme de l'année civile au cours de laquelle l'élève n'est plus scolarisé dans le premier degré » ; que cette disposition se substitue à la durée de conservation de 15 ans initialement prévue lors de l'expérimentation ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte des explications du ministère de l'éducation nationale au cours de l'audience du 26 novembre 2008, notamment à la suite des questions posées à cet égard par le juge des référés, et alors même qu'aucun « certificat administratif de destruction » tel que demandé par les requérants n'a été versé au dossier, que les catégories de données personnelles collectées pendant la phase d'expérimentation et qui sont exclues de la liste contenue dans l'arrêté précité du 20 octobre 2008 sont effacées du traitement litigieux et ne peuvent plus être collectées à l'avenir pour ledit traitement ; qu'en outre, la sécurisation de l'accès au traitement automatisé litigieux a été renforcée pour interdire toute intrusion dans ce système d'information et prévoir un « dispositif d'authentification » de chaque utilisateur ;

Considérant que, dans ces conditions, la condition d'urgence, appréciée objectivement et globalement à la date à laquelle statue le juge des référés, n'étant pas remplie, la requête de M. A et de Mme B, y compris leurs conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut qu'être rejetée ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention du syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC de l'Isère est admise.

Article 2 : La requête de M. A et de Mme B est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Vincent A, Mme Mireille B et au ministre de l'éducation nationale.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 322006
Date de la décision : 27/11/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 nov. 2008, n° 322006
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Christian Vigouroux

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:322006.20081127
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