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17/12/2008 | FRANCE | N°293740

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 17 décembre 2008, 293740


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mai et 19 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 23 mars 2006 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé, à la demande de M. Mohammed A, la décision du 19 mai 2004 par laquelle il n'a pas fait droit à la demande de celui-ci d'obtenir la revalorisation de sa retraite du combattant pour la porter au taux commun ;

Vu les autres pièces du dossier ;
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Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mai et 19 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 23 mars 2006 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé, à la demande de M. Mohammed A, la décision du 19 mai 2004 par laquelle il n'a pas fait droit à la demande de celui-ci d'obtenir la revalorisation de sa retraite du combattant pour la porter au taux commun ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi de finances rectificative n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n°2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 ;

Vu le décret n° 2003-1044 du 3 novembre 2003 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alban de Nervaux, Auditeur,

- les observations de Me C, avocat de M. Mohammed A,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Mohammed A, né en 1927 à Taza (Maroc), ressortissant marocain ayant servi dans l'armée française, était titulaire de la retraite du combattant qui lui a été concédée à compter du 1er août 1992 au taux cristallisé, en application de la législation alors en vigueur pour les nationaux des pays ou territoires anciennement sous souveraineté française ou ayant été placés sous le protectorat ou la tutelle de la France ; qu'ayant obtenu une carte de résident de dix ans à compter du 17 août 2001 lui permettant de séjourner régulièrement en France, M. A a demandé au ministre de la défense, le 13 mai 2004, à bénéficier de la retraite du combattant au taux commun attribué aux anciens combattants français ; que, par une décision en date du 19 mai 2004, le ministre n'a pas fait droit à cette demande tout en informant l'intéressé de ce que son allocation allait faire l'objet d'une revalorisation par application des dispositions de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 du 30 décembre 2002 et de l'article 1er du décret du 30 novembre 2003 pris pour l'application dudit article ; que M. A a formé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand ; que par un jugement du 23 mars 2006, le tribunal a annulé la décision du 19 mai 2004 du ministre de la défense ; que celui-ci se pourvoit en cassation contre ce jugement ; qu'à la suite du décès de M. A le 23 décembre 2007, sa veuve, Mme D, agissant en qualité d'ayant droit, déclare vouloir reprendre l'instance et s'approprier intégralement les écritures en défense déposées au nom de son mari ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 23 mars 2006 :

Considérant que pour annuler la décision du 19 mai 2004 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de M. A tendant à obtenir l'alignement de sa retraite du combattant sur le taux commun et lui a annoncé la revalorisation de son allocation dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 instituant un dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française résidant hors de France et de l'article 1er du décret du 3 novembre 2003 pris pour l'application dudit article, le tribunal administratif a jugé que ces dispositions méconnaissaient les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 255 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : Il est institué pour tout titulaire de la carte du combattant remplissant les conditions de l'article L. 256 ou de l'article L. 256 bis une retraite cumulable, sans aucune restriction, avec la retraite qu'il aura pu s'assurer par ses versements personnels (...) et avec la ou les pensions qu'il pourrait toucher à un titre quelconque. / Cette retraite annuelle, qui n'est pas réversible, est accordée en témoignage de la reconnaissance nationale ; qu'aux termes de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 du 30 décembre 2002 instituant un dispositif de révision des prestations versées aux ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française résidant hors de France : I. Les prestations servies en application des articles 170 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 (...) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants./ II. Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France (...) ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 3 novembre 2003 pris pour l'application de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002: Le présent décret s'applique aux prestations mentionnées au I de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 susvisée dont les bénéficiaires, ressortissants des pays placés antérieurement sous la souveraineté française, ont ou avaient une résidence effective dans un pays autre que la France lors de la liquidation initiale de leurs droits directs ou à réversion./ Le lieu de résidence résulte de la déclaration faite par le bénéficiaire des droits lors de leur liquidation initiale (...) ; qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, applicable en l'espèce en combinaison avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion , les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ;

Considérant que les dispositions précitées de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l'article 1er du décret du 3 novembre 2003 ont pour seul objet d'instituer un dispositif de revalorisation des prestations cristallisées servies aux anciens combattants ressortissants des pays placés antérieurement sous souveraineté française ou sous le protectorat ou la tutelle de la France, sans modifier le fondement des droits à prestations tels qu'ils ont été établis au moment où ils ont été acquis ; que ces mêmes dispositions prévoient expressément que le critère de résidence utilisé pour déterminer le nouveau montant des prestations en fonction des parités de pouvoir d'achat des pays de résidence comparées à celles de la France s'apprécie à la date de la liquidation initiale des droits ; que ce dispositif vise ainsi à ce que soient servies aux attributaires résidant hors de France lors de la liquidation de leurs droits des prestations d'un montant non pas identique, mais équivalent en termes de pouvoir d'achat à celui des mêmes prestations perçues par les attributaires nationaux ; qu'en matière de pensions, les droits du bénéficiaire sont déterminés à la date de la liquidation et ne sont pas recalculés en fonction des changements de résidence successifs susceptibles d'intervenir postérieurement à cette date ; que les dispositions précitées, qui mettent en place cette revalorisation, ne peuvent dès lors être regardées comme méconnaissant les stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi, en jugeant que les dispositions précitées de la loi du 30 décembre 2002 et du décret du 3 novembre 2003 étaient discriminatoires au sens de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a commis une erreur de droit ; que le jugement attaqué doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur le fond du litige :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que par la décision du 19 mai 2004 dont Mme D, veuve A, demande l'annulation, le ministre de la défense, se fondant sur les dispositions précitées de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 et de l'article 1er du décret du 3 novembre 2003, a informé l'intéressé que sa retraite du combattant serait automatiquement revalorisée dans les conditions et selon les modalités prévues par lesdites dispositions ; que ces dernières, ainsi qu'il vient d'être dit, ne méconnaissant pas les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. A n'était pas fondé à cette date à demander l'annulation de la décision du 19 mai 2004 au motif qu'elle serait illégale ;

Considérant toutefois que si les droits à retraite du combattant s'apprécient au regard de la législation applicable à la date de liquidation de cette retraite, le juge de plein contentieux, lorsqu'il est saisi d'une demande dirigée contre une décision refusant la revalorisation de ces droits, est tenu de rechercher si les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date de son jugement sont susceptibles de bénéficier à l'intéressé ;

Considérant qu'aux termes de l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 : I. (...) les retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France en application des articles (...) 71 de la loi de finances pour 1960 (...) et 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 (...) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. / II. A compter du 1er janvier 2007, la valeur du point de base des retraites du combattant (...) visées au I est égale à la valeur du point de base retenue pour les retraites du combattant (...) servies en France telle qu'elle est définie par l'article L. 8 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (...) ; que ces dispositions bénéficient aux titulaires de la retraite du combattant à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, soit le 1er janvier 2007 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est fondée à demander l'annulation de la décision en date du 19 mai 2004 du ministre de la défense qu'en tant que celle-ci refuse à compter du 1er janvier 2007 l'alignement de la retraite du combattant servie à son mari sur celles versées en France ; qu'il y a lieu de la renvoyer devant le ministre de la défense pour qu'il soit procédé à la liquidation de la retraite du combattant à laquelle avait droit son mari jusqu'à la date de son décès ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 23 mars 2006 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulé.

Article 2 : La décision du 19 mai 2004 du ministre de la défense est annulée en tant qu'elle s'applique au-delà du 1er janvier 2007.

Article 3 : Mme D, veuve A, est renvoyée devant le ministre de la défense pour qu'il soit procédé à la liquidation de la retraite du combattant à laquelle avait droit son mari jusqu'à son décès.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme D, veuve A, devant le tribunal administratif de Clermond-Ferrand ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à Mme Fattouche D, veuve A.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 293740
Date de la décision : 17/12/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Analyses

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - DROITS GARANTIS PAR LA CONVENTION - NON-DISCRIMINATION (ART - 14) - DISPOSITIF DE REVALORISATION ISSU DE LA LOI DU 30 DÉCEMBRE 2002 ET DU DÉCRET DU 3 NOVEMBRE 2003 - PENSIONS VERSÉES AUX ANCIENS COMBATTANTS RESSORTISSANTS DE PAYS PLACÉS ANTÉRIEUREMENT SOUS SOUVERAINETÉ FRANÇAISE - COMPATIBILITÉ - EXISTENCE.

26-055-01 Les dispositions de l'article 68 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 et de l'article 1er du décret n° 2003-1044 du 3 novembre 2003 instituent un dispositif de revalorisation des prestations cristallisées. Elles prévoient que le critère de résidence utilisé pour déterminer le nouveau montant des prestations en fonction des parités de pouvoir d'achat des pays de résidence comparées à celles de la France s'apprécie à la date de la liquidation initiale des droits à pension. Ainsi elles ne peuvent être regardées comme méconnaissant les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PENSIONS - PENSIONS MILITAIRES D'INVALIDITÉ ET DES VICTIMES DE GUERRE - LIQUIDATION DES PENSIONS - ANCIENS COMBATTANTS RESSORTISSANTS DE PAYS PLACÉS ANTÉRIEUREMENT SOUS SOUVERAINETÉ FRANÇAISE - DISPOSITIF DE REVALORISATION ISSU DE LA LOI DU 30 DÉCEMBRE 2002 ET DU DÉCRET DU 3 NOVEMBRE 2003 - CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES (ART - 14) - COMPATIBILITÉ - EXISTENCE [RJ1].

48-01-05 Les dispositions de l'article 68 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 et de l'article 1er du décret n° 2003-1044 du 3 novembre 2003 instituent un dispositif de revalorisation des prestations cristallisées. Elles prévoient que le critère de résidence utilisé pour déterminer le nouveau montant des prestations en fonction des parités de pouvoir d'achat des pays de résidence comparées à celles de la France s'apprécie à la date de la liquidation initiale des droits à pension. Ainsi elles ne peuvent être regardées comme méconnaissant les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Références :

[RJ1]

Cf. Section, 18 juillet 2006, Ka et GISTI, n° 286122 et n° 274664, p. 349 et 353.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2008, n° 293740
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Alban de Nervaux
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : FOUSSARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:293740.20081217
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