La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2008 | FRANCE | N°306951

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 17 décembre 2008, 306951


Vu le pourvoi sommaire, le mémoire complémentaire et les nouveaux mémoires, enregistrés les 26 juin, 27 septembre et 1er octobre 2007 et 10 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société CLINIQUE DU PLATEAU, dont le siège est 5-9 rue des Carnets à Clamart (92140) ; la société CLINIQUE DU PLATEAU demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 25 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 19 novembre 2002 du tribunal administratif de

Paris rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à réparer le préjud...

Vu le pourvoi sommaire, le mémoire complémentaire et les nouveaux mémoires, enregistrés les 26 juin, 27 septembre et 1er octobre 2007 et 10 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société CLINIQUE DU PLATEAU, dont le siège est 5-9 rue des Carnets à Clamart (92140) ; la société CLINIQUE DU PLATEAU demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 25 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 19 novembre 2002 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à réparer le préjudice subi du fait de l'intervention de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 en matière de remboursement des frais de salle d'opération, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 270 098,33 euros au titre des créances annulées sur les caisses de sécurité sociale et de 115 530,31 euros au titre du préjudice financier correspondant, assorties des intérêts au taux légal à compter du 11 février 1998 et avec capitalisation des intérêts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société CLINIQUE DU PLATEAU,

- les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale, prévoyaient la passation de conventions entre les caisses régionales d'assurance maladie et les établissements privés de soins en vue de fixer les tarifs d'hospitalisation applicables aux assurés sociaux ainsi que les tarifs de responsabilité des caisses et renvoyaient à un décret en Conseil d'Etat le soin d'en fixer les conditions d'application ; que selon le 2°) de l'article R. 162-32 du même code, dans sa rédaction alors applicable, les tarifs de responsabilité des caisses comprenaient notamment « un complément afférent aux frais de salle d'opération ou d'accouchement des services de chirurgie et de maternité, indépendant de la durée d'hospitalisation, et dont le montant sera fixé selon les modalités qui seront définies par un arrêté conjoint du ministre chargé de la santé, du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget » ;

Considérant que le premier arrêté pris, « à titre temporaire », le 28 décembre 1990, en application des dispositions mentionnées ci-dessus, a prévu que le complément afférent aux frais de salle d'opération devait être obtenu en multipliant une valeur monétaire de ce complément, fixé par voie conventionnelle, par un coefficient qu'il a déterminé ; que cet arrêté a été abrogé par un arrêté du 13 mai 1991, puis annulé pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat statuant au contentieux le 13 mai 1994 ; que l'arrêté du 13 mai 1991 a défini de nouvelles modalités du complément afférent aux frais de salle d'opération en disposant que la cotation des actes d'anesthésie serait affectée d'un coefficient égal aux trois cinquièmes ; qu'il a été lui-même abrogé à compter du 1er avril 1992 ; que, par une décision du 4 mars 1996, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'article 1er de cet arrêté au motif que la commission paritaire nationale de l'hospitalisation privée n'avait pas été consultée, contrairement aux prescriptions de l'article R. 162-40 du code de la sécurité sociale ; que l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997 a validé, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les facturations aux organismes d'assurance maladie, par les établissements de santé privés, du complément afférent aux frais de salle d'opération ainsi que les versements correspondants effectués en application de cet arrêté ; que par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 19 novembre 2002 du tribunal administratif de Paris qui avait rejeté la demande de la société CLINIQUE DU PLATEAU tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de cette validation, ainsi que de diverses fautes qui auraient été commises par l'Etat depuis l'adoption de l'arrêté du 13 mai 1991 ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'Etat du fait de la loi de validation :

Considérant que la société requérante soutient qu'en l'absence d'adoption de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997, le montant du complément afférent aux frais de salle d'opération n'aurait pas été limité à une valeur égale à seulement trois cinquièmes de la cotation des actes concernés ; qu'elle fait ainsi valoir qu'elle détient sur les organismes d'assurance maladie, au titre de la période comprise entre le 19 mai 1991 et le 1er avril 1992, des créances égales aux deux cinquièmes de cette cotation ;

Considérant, en premier lieu, que lorsque le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, constate au vu des pièces du dossier qu'une des conditions d'engagement de cette responsabilité n'est pas remplie, il ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public qui devrait être communiqué aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ; qu'ainsi, en relevant, sans en informer préalablement les parties, que l'article 2 de l'arrêté du 13 mai 1991, abrogeant l'arrêté du 28 décembre 1990, n'avait pas été annulé pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat et qu'en conséquence, aucun acte réglementaire ne déterminait, pour la période en cause, les modalités de calcul du montant du complément de frais de salle d'opérations, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité ;

Considérant, en second lieu, que si la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, c'est à la condition que, dans un cas comme dans l'autre, l'existence d'un lien de causalité suffisamment direct entre l'intervention de la loi et le préjudice invoqué puisse être établi ;

Considérant qu'il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus que la possibilité, pour un établissement de santé privé, de facturer un complément afférent aux frais de salle d'opération était subordonnée à l'adoption de l'arrêté, alors prévu par les dispositions de l'article R. 162-32 du code de la sécurité sociale, déterminant les modalités de fixation de son montant ; que, comme il a été dit ci-dessus, les arrêtés du 28 décembre 1990 et du 13 mai 1991 ont été annulés pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat statuant au contentieux ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne conférait aux établissements privés de soins le droit à un montant supérieur aux trois cinquièmes de la cotation des actes, montant qui a été préservé, au bénéfice de ces établissements, par la mesure de validation législative ; que, par suite, en jugeant que la société CLINIQUE DU PLATEAU ne pouvait se prévaloir d'un droit au remboursement intégral des frais de salle d'opération ni, par suite, invoquer l'existence d'un préjudice que lui aurait causé la mesure de validation législative, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la responsabilité de l'Etat pour faute :

Considérant qu'après avoir estimé que la validation résultant de la loi du 27 décembre 1996 méconnaissait l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour administrative d'appel a jugé qu'en raison de cette validation, la société CLINIQUE DU PLATEAU ne pouvait se prévaloir de l'illégalité de l'arrêté du 13 mai 1991 ; qu'en statuant ainsi, alors qu'une mesure de validation législative contraire à une convention internationale introduite dans l'ordre juridique interne ne peut faire obstacle à la contestation devant le juge de la légalité d'une décision administrative et qu'au surplus, la validation litigieuse ne portait pas directement sur cet arrêté, mais seulement sur les facturations et versements correspondant au complément afférent aux frais de salle d'opération, la cour a entaché son arrêt de contradiction de motifs et d'erreur de droit ; que par suite et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la responsabilité pour faute de l'Etat ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice dont se prévaut la société requérante ait un lien direct de causalité avec l'irrégularité de pure forme entachant l'article 1er de l'arrêté du 13 mai 1991, censurée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 4 mars 1996 ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat de se prononcer sur la responsabilité qui incomberait à l'Etat du fait de la procédure législative ayant conduit à l'adoption de l'article 34 de la loi du 27 décembre 1996 et des conséquences de celle-ci sur le contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel ;

Considérant, en troisième lieu, qu'en admettant même que le ministre chargé de la santé aurait donné instruction aux organismes d'assurance maladie de surseoir aux demandes de paiement d'un complément de rémunération et aurait ainsi laissé les établissements de santé privés espérer l'intervention de « mesures de régularisation » consécutives à la décision du Conseil d'Etat du 4 mars 1996, la société CLINIQUE DU PLATEAU ne peut utilement invoquer l'existence d'un préjudice en résultant, dès lors que, pour les motifs énoncés ci-dessus, elle ne peut se prévaloir d'un droit à des versements d'un montant supérieur aux trois cinquièmes de la cotation des actes concernés ; qu'ainsi, la méconnaissance alléguée du principe de sécurité juridique ne peut, en tout état de cause, engager la responsabilité de l'Etat ; que, par ailleurs, la société CLINIQUE DU PLATEAU ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance du principe de confiance légitime garanti par le droit communautaire, la réglementation relative aux modalités de détermination du complément afférent aux frais de salle d'opération n'ayant pas pour objet d'assurer en droit interne la mise en oeuvre de règles communautaires ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société CLINIQUE DU PLATEAU n'est pas fondée à se plaindre du rejet de sa demande par le tribunal administratif de Paris ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 25 avril 2007 est annulé en tant qu'il statue sur la responsabilité pour faute de l'Etat.

Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par la société CLINIQUE DU PLATEAU devant le Conseil d'Etat et devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société CLINIQUE DU PLATEAU et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 17 déc. 2008, n° 306951
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Pascal Trouilly
Rapporteur public ?: M. Derepas Luc
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Date de la décision : 17/12/2008
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 306951
Numéro NOR : CETATEXT000019989641 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2008-12-17;306951 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award