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16/01/2009 | FRANCE | N°299443

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 16 janvier 2009, 299443


Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 décembre 2006, l'ordonnance de renvoi du 30 novembre 2006 par laquelle le président de la cour d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par M. Daniel A, demeurant ... ;

Vu le pourvoi, enregistré le 19 septembre 2006 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, et le mémoire de régularisation, enregistré le 8 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présent

s pour M. Daniel A ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler...

Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 décembre 2006, l'ordonnance de renvoi du 30 novembre 2006 par laquelle le président de la cour d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par M. Daniel A, demeurant ... ;

Vu le pourvoi, enregistré le 19 septembre 2006 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, et le mémoire de régularisation, enregistré le 8 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Daniel A ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2006 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 mai 2003 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à sa mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate à compter du 1er mars 2003 ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler ladite décision ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense de l'admettre, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 10 mars 2003, dans les conditions précisées par les motifs de la présente décision ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances d'établir un titre de pension revalorisant rétroactivement celle-ci en tenant compte des quatre enfants à charge qu'il a élevés, et ceci toujours dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le Traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, notamment son article 136 ;

Vu le décret n° 2005-449 du 10 mai 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Raquin, Auditeur,

- les observations de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Sur le pourvoi de M. A :

Considérant que M. A a sollicité, le 10 février 2003, son admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 1er mars 2003 ainsi que le bénéfice des dispositions du b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que par un jugement en date du 5 juillet 2006, contre lequel M. A se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande présentée le 21 juillet 2003 tendant à l'annulation de la décision de rejet du ministre de la défense en date du 19 mai 2003 en tant qu'elle refusait son admission à la retraite à compter du 10 mars 2003 ;

Considérant, en premier lieu, qu'en vertu du 1° de l'article L. 4 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le droit à pension est acquis aux fonctionnaires après quinze années accomplies de services civils et militaires effectifs ; que, par dérogation aux dispositions du 1° du I de l'article L. 24 du même code subordonnant la jouissance de la pension à des conditions d'âge, celles du a) du 3° de ce I, dans leur rédaction antérieure à l'intervention de la loi du 30 décembre 2004, ouvrent à toute femme fonctionnaire, mère de trois enfants et justifiant de cette condition de services effectifs, le droit de prendre sa retraite avec jouissance immédiate de sa pension ; que, toutefois, le principe d'égalité des rémunérations résultant des stipulations de l'article 119 du traité instituant la Communauté économique européenne, désormais reprises à l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, impose de reconnaître le même droit aux fonctionnaires masculins, pères de trois enfants, remplissant la même condition de services effectifs ; qu'il est constant que M. A remplit lesdites conditions ;

Considérant, il est vrai, qu'aux termes de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004, modifiant les règles de liquidation immédiate de la pension prévues par les dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite : 1.- Le 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite est ainsi rédigé : 3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, ou décédés par faits de guerre, ou d'un enfant vivant, âgé de plus d'un an et atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 %, à condition qu'il ait, pour chaque enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Sont assimilées à l'interruption d'activité mentionnée à l'alinéa précédent les périodes n'ayant pas donné lieu à cotisation obligatoire dans un régime de retraite de base, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ; que ces dispositions sont entrées en vigueur à la suite de l'intervention du décret du 10 mai 2005 définissant, pour les hommes comme pour les femmes, les conditions d'interruption de l'activité ouvrant droit à la jouissance immédiate de la pension ; qu'en vertu du II du même article 136, selon lequel Les dispositions du I sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée, ces nouvelles règles s'appliquent en principe aux fonctionnaires qui, comme M. A, ont déposé une demande de jouissance immédiate de leur pension avant l'entrée en vigueur de ce texte, sans bénéficier d'une décision de justice passée en force de chose jugée ;

Mais considérant que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales font obstacle, en l'absence de tout motif impérieux d'intérêt général pouvant justifier cette rétroactivité, à ce qu'elle soit appliquée à un requérant qui avait, à la suite d'une décision lui refusant le bénéfice du régime antérieurement applicable, déjà engagé à la date d'entrée en vigueur des dispositions litigieuses une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision ; qu'en l'espèce, M. A a saisi le tribunal administratif de Marseille le 21 juillet 2003 d'une demande tendant à l'annulation de la décision lui refusant le bénéfice des dispositions alors applicables de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu'ainsi, en appliquant à M. A les dispositions issues de l'article 136 de la loi du 30 décembre 2004 pour apprécier de la légalité de la décision, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que son jugement doit, par suite, être annulé ;

Considérant, en second lieu que, comme il a été dit ci-dessus, M. A n'a pas saisi le tribunal administratif de conclusions tendant à ce que lui soit accordé le bénéfice des dispositions du b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans leur rédaction applicable avant la publication de la loi du 21 août 2003 ; que ses conclusions tendant à l'annulation de la décision lui refusant le bénéfice de la bonification d'ancienneté prévue par ces dispositions sont nouvelles en cassation et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées comme irrecevables ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative dans la limite de l'annulation du jugement attaqué ;

Considérant que le refus opposé à la demande de M. A par le ministre de la défense est exclusivement motivé par la circonstance que le a) du 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite institue la jouissance immédiate de la pension et en réserve le bénéfice aux femmes fonctionnaires lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que de telles dispositions sont incompatibles avec le principe d'égalité des rémunérations tel qu'il est affirmé à l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et par l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision en date du 19 mai 2003 par laquelle le ministre de la défense a refusé à M. A, père de trois enfants, le bénéfice de la mise à la retraite à compter du 10 mars 2003 avec jouissance immédiate de sa pension est entachée d'illégalité ; que, dès lors et pour ce motif, M. A est fondé à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;

Considérant, d'une part, que la présente décision implique nécessairement que le ministre de la défense fasse bénéficier M. A de la jouissance immédiate d'une pension de retraite ; qu'il ne ressort pas de l'instruction qu'à la date de la présente décision des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que le ministre de la défense ne puisse exécuter ladite décision ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre de la défense d'admettre rétroactivement M. A à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance de sa pension à compter du 10 mars 2003, l'intéressé ayant toutefois droit, en tout état de cause, à la rémunération du service fait jusqu'à la date de sa cessation définitive de fonctions, sans pouvoir cumuler, jusqu'à cette date, traitement d'activité et pension de retraite ;

Considérant, d'autre part, que le rejet, comme nouvelles en cassation, des conclusions de M. A tendant au bénéfice de la bonification prévue au b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de M. A tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de modifier les conditions dans lesquelles sa pension lui a été concédée, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 1 700 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 5 juillet 2006 est annulé.

Article 2 : La décision du ministre de la défense en date du 19 mai 2003 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de la défense d'admettre M. A, dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, à faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance de sa pension de retraite à compter du 10 mars 2003, dans les conditions précisées par les motifs de la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Daniel A, au ministre de la défense et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 16 jan. 2009, n° 299443
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: Mme Cécile Raquin
Rapporteur public ?: M. Collin Pierre
Avocat(s) : SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER

Origine de la décision
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Date de la décision : 16/01/2009
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 299443
Numéro NOR : CETATEXT000020131865 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-01-16;299443 ?
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