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08/04/2009 | FRANCE | N°295345

France | France, Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 08 avril 2009, 295345


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, dont le siège est 10, avenue de l'Entreprise à Cergy-Pontoise (95800) ; la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 18 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 1er octobre 2002 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation

de l'Etat à lui verser la somme de 12 367 417 francs (1 885 400,60...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, dont le siège est 10, avenue de l'Entreprise à Cergy-Pontoise (95800) ; la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 18 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 1er octobre 2002 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 12 367 417 francs (1 885 400,60 euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 avril 1997, et de leur capitalisation, en réparation des préjudices que lui ont causé le retard dans l'exécution du marché de construction de l'école nationale des ponts et chaussées et de l'école nationale des sciences géographiques ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 modifié approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Denis Prieur, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la société Iosis Bâtiments et de la SCP Boulloche, avocat de la société Chaix Morel,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la société Iosis Bâtiments et à la SCP Boulloche, avocat de la société Chaix Morel ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Spie Trindel, aux droits de laquelle est venue la société AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, a passé avec l'Etat et l'Institut géographique national, maîtres d'ouvrage, un marché portant sur le lot n° 24 électricité et courants forts du marché de construction de l'école nationale des ponts et chaussées et de l'école nationale des sciences géographiques à Marne-la-Vallée pour un montant de 17 152 354 F HT ; que l'exécution de ce chantier ayant connu des retards importants, la société Spie Trindel a fait état, lors de la transmission de son projet de décompte final le 29 avril 1997, de surcoûts induits par ces retards, qu'elle a évalués à la somme de 12 367 417 F HT, dont elle demandait le paiement en plus du montant initial du marché ; qu'après avoir à nouveau formulé cette demande à l'occasion de la notification au maître d'oeuvre, le 27 novembre 1997, de sa décision de ne pas signer le décompte général, puis, une nouvelle fois, le 16 mars 1998, par un courrier à la personne responsable du marché, la société Spie Trindel a, devant l' absence de résultat de ses démarches, saisi, le 16 avril 1998, le comité consultatif interrégional de règlement amiable, lequel a rendu, le 10 juin 1999, un avis estimant que la société pouvait prétendre au versement de 4 000 000 francs TTC ; que, par une décision du 3 décembre 1999, le directeur départemental de l'équipement de Seine-et-Marne a informé la société de sa décision de ne pas suivre cet avis ; que la société a alors saisi le tribunal administratif de Melun d'une requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 12 367 417 F HT (1 885 400,60 euros) en raison des surcoûts engendrés par l'allongement de la durée du chantier ; que par un jugement du 1er octobre 2002, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande, la jugeant irrecevable au motif que, ainsi qu'il ressortait de l'instruction, la société Spie Trindel avait déjà, le 3 octobre 1996, avant l'établissement du décompte général, transmis au maître d'oeuvre et à la personne responsable du marché un mémoire en réclamation pour le montant précité de surcoûts occasionnés par les retards du chantier, et que faute pour la société requérante d'avoir fait connaître par écrit, dans le délai de trois mois prévu par l'article 50.21 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, à la personne responsable du marché son refus du rejet implicite que celle-ci avait opposé à sa réclamation, sa demande en paiement d'une indemnité n'était plus recevable et devait être considérée comme définitivement réglée ; que saisie en appel par la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, venue aux droits de la société Spie Trindel, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 18 mai 2006, confirmé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande de la société requérante au motif que la réclamation formée par la société le 3 octobre 1996, qui, bien qu'adressée à titre principal et par lettre recommandée avec accusé de réception à la personne responsable du marché et seulement en courrier simple au maître d'oeuvre, avait le caractère d'un différend avec le maître d'oeuvre et devait, en application des articles 50.11, 50.12 et 50.21 du cahier des clauses administratives générales, être regardée comme ayant été définitivement réglée le 4 mars 1997, soit trois mois après la décision implicite de rejet née du silence conservé pendant deux mois par la personne responsable du marché sur la réclamation en cause ; que la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt du 18 mai 2006 :

Considérant qu'aux termes de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, l'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général par le maître de l'ouvrage le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante-cinq jours, dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 (....) ; qu'aux termes de l'article 50.11 : Si un différend survient entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, l'entrepreneur remet au maître d'oeuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations ; qu'aux termes de l'article 50.12 : Après que ce mémoire a été transmis par le maitre d'oeuvre, avec son avis, à la personne responsable du marché, celle-ci notifie ou fait notifier à l'entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend, dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par le maitre d'oeuvre du mémoire de réclamation. L'absence de proposition dans ce délai équivaut à un rejet de la demande de l'entrepreneur (...) ; qu'aux termes de l'article 50.21 : Lorsque l'entrepreneur n'accepte pas la proposition de la personne responsable du marché ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette proposition ou de l'expiration du délai de deux mois prévu au 12 du présent article, le faire connaître par écrit à la personne responsable du marché en lui faisant parvenir, le cas échéant, aux fins de transmission au maître de l'ouvrage, un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus. ; qu'aux termes de l'article 50.22 : Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la société Spie Trindel avait formé dès le 3 octobre 1996 une réclamation portant sur un montant de 1 885 400 euros, il est constant, et d'ailleurs non contesté, que cette réclamation a été adressée par cette société sous la forme d'une lettre recommandée avec accusé de réception à la direction départementale de l'équipement de Seine et Marne, personne responsable du marché et que la société s'est contentée d' en adresser une copie, par courrier simple, à l'un des membres, non mandataire, du groupement de maîtrise d'oeuvre ; que la cour a relevé que la circonstance que cette réclamation ait été adressée au responsable du marché et simplement en copie à l'une des sociétés membres du groupement de maîtrise d'oeuvre ne lui avait pas ôté son caractère de différend survenu en cours de travaux entre l'entreprise et le maître d'oeuvre, et a attribué ainsi à l'envoi d'une simple copie les conséquences procédurales qui s'attacheraient à la transmission régulière d'un mémoire en réclamation dans les formes prévues à l'article 50-21 du cahier des clauses administratives générales ; que, cependant, la simple transmission au maître d'oeuvre d'une copie de la réclamation adressée au maître d'ouvrage ne pouvait pas faire regarder celle-ci comme élevant un différend entre l'entreprise et la maîtrise d'oeuvre ; qu'ainsi, en confirmant l'irrecevabilité opposée par les premiers juges à la requête de la société Spie Trindel au motif que cette dernière ne pouvait leur demander de faire droit à une réclamation ayant déjà fait l'objet d'un règlement définitif faute pour l'entreprise d'avoir protesté dans les délais prescrits, à peine de forclusion, par l'article 50.21 précité, contre le rejet implicite de sa demande par la personne responsable du marché, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST est fondée à demander l'annulation, pour ce motif, de l'arrêt attaqué ; que celui-ci doit, par suite, être annulé ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD-OUEST de la somme de 5 000 euros que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD-OUEST qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que lui demandent les sociétés Iosis Bâtiments et Chaix Morel au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 18 mai 2006 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Iosis Bâtiments et de la société Chaix Morel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE AMEC SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST, à la société Iosis Bâtiments, à la société Chaix Morel et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 7ème et 2ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 295345
Date de la décision : 08/04/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. EXÉCUTION FINANCIÈRE DU CONTRAT. RÈGLEMENT DES MARCHÉS. - COPIE D'UNE RÉCLAMATION AU MAÎTRE DE L'OUVRAGE ADRESSÉE AU MAÎTRE D'ŒUVRE - DIFFÉREND AU SENS DE L'ARTICLE 50-11 DU CCAG TRAVAUX - ABSENCE.

39-05-02 La simple transmission au maître d'oeuvre, antérieurement à l'établissement du décompte général et définitif, d'une copie d'une réclamation adressée au maître de l'ouvrage ne peut faire regarder cette réclamation comme ayant élevé un différend entre l'entreprise et le maître d'oeuvre au sens de l'article 50-11 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, faisant naître une décision implicite de rejet définitive s'opposant à son examen lors de l'établissement du décompte général et définitif dans le cadre d'un litige entre l'entreprise et le maître de l'ouvrage.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 avr. 2009, n° 295345
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Denis Prieur
Rapporteur public ?: M. Dacosta Bertrand
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP DELVOLVE, DELVOLVE ; SCP BOULLOCHE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:295345.20090408
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