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17/04/2009 | FRANCE | N°326997

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 avril 2009, 326997


Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Beslan A, élisant domicile chez Mme Le Tallec, 88 rue Saint-Martin à Paris (75004) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 mars 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande qu'il avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision du préfet de police en date

du 11 mars 2009 refusant son admission au séjour dans le cadre d'une deman...

Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Beslan A, élisant domicile chez Mme Le Tallec, 88 rue Saint-Martin à Paris (75004) ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 25 mars 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande qu'il avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de la décision du préfet de police en date du 11 mars 2009 refusant son admission au séjour dans le cadre d'une demande d'asile et décidant son renvoi vers la Pologne, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans le délai de 15 jours et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que l'urgence est caractérisée par l'exécution de la mesure de renvoi vers la Pologne, d'une part, et par le refus de lui délivrer une autorisation de séjour en sa qualité de demandeur d'asile, d'autre part ; que la décision litigieuse porte une atteinte manifestement illégale au droit d'asile et à ses composantes ; qu'en effet, en ignorant la présence sur le territoire français de sa famille dont son épouse, actuellement munie d'un récépissé de demanderesse d'asile et dont le recours est pendant devant la cour nationale du droit d'asile, le préfet a méconnu, d'une part, les dispositions des articles 6 à 8 et 15 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, et, d'autre part, celles du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution ; que la décision contestée porte atteinte à sa vie familiale ; qu'en outre, la procédure de détermination s'est faite sans lui garantir une information complète et par écrit telle qu'exigée en vertu des dispositions de l'article 3-4 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 ; qu'au surplus, le préfet ne démontre pas qu'il aurait procédé aux informations lui incombant dans le cadre de l'application des articles 18 du règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000 et 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; que la décision contestée est insuffisamment motivée ; qu'il n'a pas pu présenter ses observations préalables lors de la procédure de détermination de l'état membre compétent ; qu'ainsi, la mesure de réadmission porte atteinte au droit à un recours effectif ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2009 présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que les décisions attaquées comportent l'énoncé des motifs de fait et de droit qui les fondent ; que l'autorité administrative n'avait pas à motiver le choix du pays de réadmission autrement qu'en faisant référence à la réglementation en vigueur ; que le requérant n'a pas été privé des garanties auxquelles il avait droit au titre de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a pu avertir son conseil et présenter des observations à l'occasion du dépôt de sa requête ; qu'il a été informé des délais et des effets de la procédure de réadmission dont il faisait l'objet lors de la remise, le 23 janvier 2009 par les services préfectoraux d'un formulaire rédigé en langue russe et en langue française ; que le requérant ne saurait se prévaloir des dispositions préservant la vie familiale dans la mesure où il n'établit pas la réalité d'un lien avec Mme B et dès lors qu'il ne ressort pas de l'examen des actes de naissance produits qu'il serait le père des trois enfants de cette dernière ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil de l'Union européenne du 11 décembre 2000 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Beslan A et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 16 avril 2009 à 11 heures au cours de laquelle a été entendu le représentant du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public... aurait porté, dans l'exercice de l'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ; que selon l'article L. 523-1 du même code, les décisions intervenues en application de l'article L. 521-2 sont, hors le cas où elles ont été rendues sans instruction, susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a pour corollaire le droit de solliciter la qualité de réfugié, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'en vertu du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée notamment si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ce règlement avec d'autres Etats ;

Considérant que le règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre ; que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre ; que l'application de ces critères est écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 2 de l'article 3 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, soit de la clause humanitaire définie par l'article 15 du règlement ; que le paragraphe 1 de cet article prévoit qu'un Etat membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, rapprocher des membres d'une même famille ainsi que d'autres parents à charge pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ; qu'il est indiqué que dans ce cas, cet Etat membre examine, à la demande d'un autre Etat membre, la demande d'asile de la personne concernée. Les personnes concernées doivent y consentir ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a quitté la Russie, pays dont il a la nationalité, le 2 décembre 2008 ; qu'il est entré en Pologne, où il a formé une demande d'asile ; qu'à la suite de son entrée en France, le 8 décembre 2008, il a déposé une demande d'admission au séjour au titre de l'asile, en faisant valoir sa situation de concubin de Mme B, ressortissante russe admise au séjour en France en qualité de demandeur d'asile, et de père des trois enfants mineurs de cette dernière ; que par une décision du 11 mars 2009, le préfet de police a rejeté la demande d'admission au séjour de M. A et a, parallèlement, décidé sa réadmission vers la Pologne, pays responsable de l'examen de la demande d'asile par application du règlement (CE) n° 343/2003 ; que M. A soutient que les illégalités dont sont entachées la décision de refus de séjour et la décision de réadmission vers la Pologne sont constitutives d'une atteinte à son droit d'asile de nature à justifier que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant toutefois, en ce qui concerne la légalité externe des décisions contestées, que la motivation de celles-ci, qui comporte la mention des dispositions, tant de droit international que de droit interne, qui les fondent et qui précise que la Pologne doit être regardée comme l'Etat compétent pour examiner la demande d'asile du requérant n'est pas manifestement insuffisante, notamment quant aux raisons du choix de la Pologne comme pays de remise ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a été informé dès le 23 janvier 2009 de la mise en oeuvre à son encontre de la procédure instituée par les règlements européens par la remise d'une notice explicative sur cette procédure, rédigée en français et en russe ; que ni l'article 18 du règlement (CE) n° 2725/2000, ni l'article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 n'imposent à l'administration de faire figurer dans cette notice le droit pour l'étranger d'avoir accès aux informations obtenues par les autorités françaises auprès du fichier dit EURODAC ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A ait été privé d'exercer ce droit ; que si M. A soutient qu'il n'a pas été mis à même de bénéficier des garanties prévues par l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile, notamment en raison de la circonstance que les deux décisions lui auraient été notifiées simultanément et que la possibilité de bénéficier d'un interprète et d'un conseil ne lui aurait été indiquée que postérieurement, il ressort des pièces du dossier que lesdites décisions ont été notifiées au requérant avec l'aide d'un interprète, qui a signé les notifications, et qu'il a été en mesure de demander l'assistance d'un conseil avant l'exécution de la décision de remise ; qu'ainsi la procédure suivie n'est entachée d'aucune irrégularité manifeste ; que le droit de M. A à un recours effectif n'a pas davantage été manifestement méconnu ;

Considérant, en ce qui concerne la légalité interne des décisions contestées, que si les articles 7 et 8 du règlement (CE) n° 343/2003 retiennent comme critère de détermination de l'Etat responsable d'une demande d'asile la qualité de membre de la famille du demandeur d'asile, cette notion doit, conformément à ce que spécifie le i) de l'article 2 de ce règlement, s'entendre du conjoint du demandeur, de ses enfants mineurs, du père, de la mère et du tuteur lorsque le demandeur est mineur et non marié ; que la nature des liens qui uniraient M. A à Mme B et à ses enfants n'est pas suffisamment établie, en l'état de l'instruction, pour que le requérant puisse être regardé comme répondant à ces exigences ; que M. A n'est par suite pas fondé à soutenir que les décisions contestées auraient fait une application manifestement erronée des critères fixés par le règlement ;

Considérant, il est vrai, que même si le cas de l'intéressé ne relève pas des articles 7 ou 8 du règlement (CE) n° 343/2003, les liens familiaux existant entre lui et les personnes ayant présenté une demande d'asile en France peuvent justifier que soit appliquée par les autorités françaises la clause dérogatoire de l'article 3, paragraphe 2 ou la clause humanitaire définie à l'article 15 ; qu'en effet, pour l'application de cet article, la notion de membres d'une même famille ne doit pas nécessairement être entendue dans le sens restrictif fixé par le i) de l'article 2 du règlement ; qu'en outre, la mise en oeuvre par les autorités françaises tant de l'article 3, paragraphe 2 que de l'article 15 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ;

Considérant cependant que, faute pour M. A de justifier de la réalité et de l'intensité de ses liens familiaux avec Mme B et ses enfants, admis au séjour en France au titre de l'asile, le refus des autorités françaises de faire usage de la faculté d'examiner sa demande d'asile alors que cet examen relève normalement de la compétence de la Pologne ne méconnait pas de façon manifeste le droit constitutionnel d'asile, non plus au demeurant, si le requérant entend s'en prévaloir, que son droit à mener une vie personnelle et familiale normale tel qu'il est garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le refus du préfet de police d'admettre M. A au séjour en France au titre de l'asile et la décision de le remettre aux autorités polonaises ne sauraient être regardés comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que par suite M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. Beslan A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Beslan A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 326997
Date de la décision : 17/04/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2009, n° 326997
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Bélaval
Rapporteur ?: M. Philippe Bélaval

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:326997.20090417
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