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23/04/2009 | FRANCE | N°314921

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 23 avril 2009, 314921


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril 2008 et 7 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMPAGNIE BLUE LINE, dont le siège est 27 avenue Louis de Broglie B.P. 270 Le Thillay à Gonesse Cedex (95508) ; la COMPAGNIE BLUE LINE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 7 février 2008 par laquelle l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) lui a infligé une amende administrative de 6 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de l

a somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de just...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril 2008 et 7 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMPAGNIE BLUE LINE, dont le siège est 27 avenue Louis de Broglie B.P. 270 Le Thillay à Gonesse Cedex (95508) ; la COMPAGNIE BLUE LINE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 7 février 2008 par laquelle l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) lui a infligé une amende administrative de 6 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 modifié ;

Vu l'arrêté du 24 avril 2006 portant restriction d'exploitation de l'aérodrome de Nantes-Atlantique (Loire-Atlantique) ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Aude Ab-Der-Halden, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la COMPAGNIE BLUE LINE,

- les conclusions de M. Frédéric Lenica, rapporteur public ;

- la parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la COMPAGNIE BLUE LINE ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile : Sur proposition de la Commission nationale de prévention des nuisances, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires prononce une amende administrative à l'encontre : - soit de la personne physique ou morale exerçant une activité de transport aérien public (...), dont l'aéronef ne respecte pas les mesures prises par le ministre chargé de l'aviation civile sur un aérodrome fixant (...) des restrictions permanentes ou temporaires d'usage de certains types d'aéronefs en fonction de la classification acoustique (...). / (...) / Durant la procédure suivie devant l'autorité et la commission, la personne concernée doit avoir connaissance de l'ensemble des éléments de son dossier. Elle doit pouvoir être entendue par la commission avant que celle-ci se prononce sur son cas et se faire représenter ou assister par la personne de son choix./ Les amendes administratives sont prononcées par l'autorité et ne peuvent excéder, par manquement constaté, un montant de 1 500 euros, pour une personne physique et de 20 000 euros pour une personne morale (...) ;

Considérant que l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) a infligé à la COMPAGNIE BLUE LINE une amende de 3 000 euros pour avoir méconnu les dispositions de l'article 1-II de l'arrêté du 24 avril 2006 susvisé, aux termes desquelles aucun des aéronefs bruyants du chapitre 3 ne peut, sur l'aérodrome de Nantes-Atlantique : (...) - décoller entre 23 h 30 et 6 heures, heures locales de départ de l'aire de stationnement ; ;

Sur la régularité de la procédure de sanction :

Considérant qu'aux termes des treizième et quatorzième alinéas de l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile : La personne concernée est invitée à présenter ses observations à l'autorité dans un délai d'un mois à compter de cette notification. / A l'expiration du délai d'un mois mentionné à l'alinéa précédent, l'autorité saisit la commission pour que celle-ci lui fasse une proposition sur les suites à donner à l'affaire et, le cas échéant, sur le montant de l'amende à prononcer (...) ; que s'il résulte de l'instruction que la Commission nationale de prévention des nuisances (CNPN) a été saisie le 15 mai 2007 alors que le procès-verbal de constat de manquement datait du 19 avril 2007, la COMPAGNIE BLUE LINE a fait valoir ses observations auprès de l'ACNUSA dès le 19 avril 2007 ; qu'en conséquence, cette irrégularité ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant constitué un vice de procédure substantiel de nature à entacher d'irrégularité l'ensemble de la procédure ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les membres de la CNPN ont été convoqués à la séance du 9 octobre 2007 au moins cinq jours avant la date de cette réunion, conformément aux dispositions de l'article 9 du décret du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif, et que le procès-verbal de la commission en date du 9 octobre 2007 et la feuille de présence annexée comportent l'ensemble des mentions prévues par l'article 14 du décret du 8 juin 2006 ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 9 et 14 de ce décret doit être écarté ;

Considérant que si, contrairement aux dispositions de l'article R. 227-3 du code de l'aviation civile, le courrier de convocation des membres de la commission à la séance du 9 octobre 2007 a été signé par le secrétaire général de la CNPN, la méconnaissance de ces dispositions ne saurait être regardée comme un vice à caractère substantiel ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la CNPN a entendu le rapporteur en charge de l'affaire relative à la COMPAGNIE BLUE LINE et qu'elle a délibéré en son absence ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 227-6 du code de l'aviation civile manque en fait ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lors des réunions respectives de la CNPN, le 9 octobre 2007, et de l'ACNUSA, le 7 février 2008, d'une part, le quorum prévu par les articles L. 227-1 et R. 227-3 du code de l'aviation civile était atteint, et d'autre part, les règles de majorité prévues par les articles L. 227-1 et L. 227-4 du code de l'aviation civile ont été respectées ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que ces instances auraient délibéré irrégulièrement manquent en fait ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) ; / c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...). ; que la COMPAGNIE BLUE LINE soutient que la procédure aurait été irrégulièrement engagée à son encontre, en méconnaissance tant du principe général des droits de la défense que des garanties prévues à l'article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que quand elle est saisie d'agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par le code de l'aviation civile, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, statuant sur proposition de la Commission nationale de prévention des nuisances, doit être regardée comme décidant du bien-fondé d'accusations en matière pénale au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que compte tenu du fait que les décisions susceptibles d'être prises par l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires sont soumises au contrôle de pleine juridiction du Conseil d'Etat, la circonstance que la procédure suivie devant la commission et devant l'autorité ne serait pas en tous points conforme aux prescriptions de l'article 6 § 3 n'est pas de nature à entraîner dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable ; que cependant, et alors même que la Commission nationale de prévention des nuisances et l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires ne sont pas des juridictions au regard du droit interne, l'application du principe des droits de la défense, rappelé par l'article 6 § 1 de la convention européenne et précisé par le c. du § 3 de l'article 6, en tant qu'il donne droit à la personne poursuivie de se défendre elle-même ou de recourir à l'assistance d'une personne de son choix, est requise pour garantir, dès l'origine de la procédure, son caractère équitable par le respect de la conduite contradictoire des débats ; que, dès lors, la méconnaissance de cette exigence peut, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions des organismes en cause, être utilement invoquée à l'appui d'un recours formé, devant le Conseil d'Etat, à l'encontre d'une de leurs décisions ;

Considérant que contrairement à ce qui est soutenu, les stipulations de l'article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'impliquent pas que la personne poursuivie soit entendue par la Commission nationale de prévention des nuisances ou par l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires avant qu'une sanction lui soit infligée ; qu'en tout état de cause, il résulte de l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile que la personne intéressée peut demander à être entendue devant la Commission nationale de prévention des nuisances chargée d'établir la proposition de sanction et a, en outre, la possibilité de formuler devant l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires des observations écrites sur cette proposition ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 6 § 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant qu'elles ne prévoient pas d'audition des personnes intéressées par l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, ne peut qu'être écarté ;

Considérant, enfin, que s'il résulte des dispositions de l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile que la personne poursuivie doit avoir connaissance de l'ensemble des éléments de son dossier, durant toute la procédure qui se déroule successivement devant la Commission nationale de prévention des nuisances et l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, et si ces dispositions impliquent, afin de garantir le respect des droits de la défense, que la personne intéressée ait connaissance de la proposition de sanction de la commission pour être en mesure de présenter, le cas échéant, des observations écrites devant l'autorité, ces observations doivent être présentées en temps utile pour permettre à l'autorité, qui délibère sur le siège, d'en connaître et de les prendre en compte lors de sa séance ; qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a été entendue par la Commission nationale de prévention des nuisances le 9 octobre 2007, qu'elle a eu communication, le 8 novembre 2007, de la proposition de sanction formulée par la commission et de la date fixée pour la réunion de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, à savoir le 7 février 2008 ; qu'elle a ainsi été mise en mesure de présenter des observations pour la réunion de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires se tenant le 7 février 2008 ; que toutefois, l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires n'a pas été mise en mesure, avant de prendre sa décision, de prendre en considération ces observations produites par la requérante par télécopie le 7 février 2008, soit le jour même de la réunion de l'autorité, à 8h56 ; que le moyen tiré du non-respect des droits de la défense doit, par suite, être écarté ;

Sur la légalité interne de la décision :

Considérant, d'une part, que l'article L. 227-4 du code de l'aviation civile précité prévoit qu'une amende administrative peut être prononcée à l'encontre des compagnies aériennes dont les aéronefs ne respectent pas les mesures prises pour restreindre l'usage de certains aéronefs dépassant un seuil de bruit et fixe à 20 000 euros le montant maximum de l'amende qui peut être infligée à une personne morale ; que par suite, le moyen tiré de ce que la sanction prononcée à l'encontre de la société requérante par l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires en raison du non respect des dispositions relatives aux aéronefs dépassant un certain niveau acoustique méconnaîtrait la liberté du commerce et de l'industrie ne peut qu'être écarté ;

Considérant, d'autre part, qu'en infligeant une amende de 6 000 euros à la requérante, compte tenu de l'atteinte portée à la tranquillité des riverains imputable à l'empiètement d'une heure et quarante minutes pendant la plage horaire de nuit, à une heure particulièrement gênante pour les riverains, alors que le décollage aurait pu attendre la fin de la période d'interdiction mais en tenant compte, pour moduler le montant de l'amende, des mesures constructives mises en oeuvre par la compagnie et du fait que le manquement constaté était le premier à s'être produit durant la saison aéronautique au cours de laquelle était entrée en vigueur une nouvelle réglementation, plus sévère, l'autorité n'a pas pris une sanction disproportionnée à l'encontre de la requérante ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la COMPAGNIE BLUE LINE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la COMPAGNIE BLUE LINE le versement à l'Etat de la somme de 1 000 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la COMPAGNIE BLUE LINE est rejetée.

Article 2 : La COMPAGNIE BLUE LINE versera à l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMPAGNIE BLUE LINE, à l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 23 avr. 2009, n° 314921
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: Mme Aude Ab-Der-Halden
Rapporteur public ?: M. Lenica Frédéric
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Date de la décision : 23/04/2009
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 314921
Numéro NOR : CETATEXT000020868614 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-04-23;314921 ?
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