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29/04/2009 | FRANCE | N°293673

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 29 avril 2009, 293673


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 22 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour M. Bernard A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 9 avril 2002 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la délibération du 26 juillet 1994 de la Commission des opérations de bourse décidant d

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 22 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour M. Bernard A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 mars 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 9 avril 2002 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la délibération du 26 juillet 1994 de la Commission des opérations de bourse décidant de ne pas donner son accord à la nomination de son cabinet aux fonctions de commissaire aux comptes de nouveaux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat au versement d'une somme de 17 200 000 francs (2 622 130 euros) assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 1997, en réparation du préjudice subi ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 ;

Vu l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 ;

Vu le décret n° 69-810 du 12 août 1969 ;

Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Delphine Hedary, maître des requêtes,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et de la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés financiers,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat de M. A et à la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Considérant qu'à la suite de contrôles ayant révélés des manquements professionnels graves et répétés de la part du cabinet de M. A dans l'exercice de ses mandats de commissaire aux comptes, la Commission des opérations de bourse, par une délibération du 26 juillet 1994, a estimé qu'il ne lui serait pas possible de donner son accord à la nomination de ce cabinet aux fonctions de commissaire aux comptes de nouveaux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) aussi longtemps qu'elle n'aura pas eu l'assurance que ce cabinet met en oeuvre des diligences satisfaisantes dans l'exercice de ses mandats ; que cette délibération a été portée à la connaissance de M. A par courrier en date du 29 juillet 1994 du président de la Commission des opérations de bourse ; que par lettre du 1er avril 1997, M. A a saisi l'agent judiciaire du Trésor d'une demande tendant au versement d'une indemnité en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estimait avoir subis du fait de la délibération précitée ; que, par une lettre du 1er août 1997, le directeur du Trésor lui a signifié le rejet de sa demande ; que, saisie d'une demande d'indemnisation par l'intéressé, la cour d'appel de Paris l'a rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître par un arrêt en date du 2 juin 1998 au motif que la délibération litigieuse était rattachable à la procédure d'agrément des OPCVM ; que, par un jugement du 9 avril 2002, le tribunal administratif de Paris, saisi par M. A, a rejeté tant ses conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 26 juillet 1994 que ses conclusions indemnitaires ; que par un arrêt du 8 mars 2006, contre lequel M. A se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de M. A contre ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi ;

Considérant qu'en vertu de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale ; que, par suite, en ne relevant pas que le tribunal administratif de Paris n'était pas compétent pour statuer sur les conclusions de M. A tendant à l'annulation de la délibération de la Commission des opérations de bourse du 26 juillet 1994, et du fait de leur connexité, sur ses conclusions indemnitaires, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que ce moyen, qui est relatif à la compétence de la juridiction administrative, étant d'ordre public, doit être soulevé d'office ; que par suite, l'arrêt de la cour administrative d'appel et le jugement du tribunal administratif doivent être annulés ; qu'il y a lieu de statuer immédiatement sur la demande de M. A ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 23 décembre 1988 alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article L. 214-3 du code monétaire et financier : La constitution, la transformation, la fusion, la scission ou la liquidation d'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières sont soumises à l'agrément de la Commission des opérations de bourse. / (...) La Commission des opérations de bourse peut retirer son agrément à tout organisme de placement collectif en valeurs mobilières ; que les organismes de placement collectif en valeurs mobilières sont, au sens de cette loi, les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV) et les fonds communs de placement (FCP) ; qu'aux termes du 5° de l'article 4 de la même loi relatif aux sociétés d'investissement à capital variable, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 214-17 du code monétaire et financier : Le commissaire aux comptes est désigné pour six exercices par le conseil d'administration ou le directoire après accord de la Commission des opérations de bourse. Le commissaire aux comptes porte à la connaissance de l'assemblée générale de la SICAV, ainsi qu'à celle de la Commission des opérations de bourse, les irrégularités et inexactitudes qu'il a relevées dans l'accomplissement de sa mission ; qu'aux termes de l'article 16 de la même loi relatif aux fonds communs de placement, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article L. 214-29 du code monétaire et financier : Le commissaire aux comptes du fonds est désigné pour six exercices par le gérant, le conseil d'administration ou le directoire de la société de gestion, après accord de la Commission des opérations de bourse. (...) Le commissaire aux comptes porte à la connaissance de l'assemblée générale de la société de gestion, ainsi qu'à celle de la Commission des opérations de bourse, les irrégularités et inexactitudes qu'il a relevées dans l'accomplissement de sa mission ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la Commission des opérations de bourse (COB), à laquelle s'est substituée l'Autorité des marchés financiers, a, dans l'intérêt général de la régulation et de la sécurité des marchés financiers, le pouvoir de refuser la nomination d'un commissaire aux comptes auprès d'un OPCVM et peut par suite, lorsqu'elle a constaté une situation susceptible de donner lieu à un refus d'agrément, adresser à un commissaire aux comptes une mise en garde afin que ce professionnel soit à même de pallier les insuffisances constatées en vue d'un agrément ultérieur ; que M. A n'est donc pas fondé à soutenir que la délibération de la COB serait dépourvue de base légale ;

Considérant qu'une telle mesure, qui est susceptible à court terme de dissuader des OPCVM de solliciter l'agrément du commissaire au compte ayant fait l'objet d'une mise en garde, revêt le caractère d'une mesure de police et non celui d'une sanction disciplinaire ; qu'en conséquence, si M. A ne saurait utilement invoquer les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni le principe du respect des droits de la défense, il résulte des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 et de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 que préalablement à l'adoption de la délibération litigieuse, la COB aurait dû mettre l'intéressé à même de présenter des observations écrites sur ce projet de délibération et, s'il en faisait la demande, l'entendre, sans que la circonstance que des échanges aient eu lieu antérieurement sur les manquements reprochés à M. A ne suffise au respect de cette obligation procédurale ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que la délibération du 26 juillet 2006 est intervenue au terme d'une procédure irrégulière et à en demander pour ce motif l'annulation ;

Sur les conclusions à fin d'indemnité :

Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion d'un contrôle exercé en 1992 par la Commission des opérations de bourse sur la gestion du fonds de placement Crédit municipal revenu trimestriel , dont M. A était le commissaire aux comptes, la commission a relevé que le requérant n'avait pas indiqué dans un rapport établi en février 1991 le non respect des ratios de division des risques et notamment le fait que 87,2 % de l'actif net de ce fonds était investi dans des obligations ne bénéficiant d'aucune garantie ; qu'à la suite des insuffisances relevées en 1992 sur six dossiers gérés par M. A, à l'occasion d'un contrôle réalisé par le Comité d'examen national d'activité (CENA) pour le compte de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), le président de la Commission des opérations de bourse a, par un courrier en date du 7 décembre 1992, demandé notamment à l'intéressé de s'engager au respect des normes de travail de la CNCC, d'établir un plan de mission par OPCVM, de procéder à l'évaluation des procédures de contrôle interne et du système informatique, d'étendre ses contrôles aux ratios, de respecter les délais impartis en termes de contrôles et d'émission des rapports et des attestations ; qu'un nouveau contrôle effectué en 1993 par le CENA sur six autres dossiers de M. A relatifs à l'exercice 1992 a révélé qu'en dépit de certaines améliorations, les diligences relevées, notamment sur les points déjà mentionnés à l'occasion du précédent contrôle, restaient insuffisantes ; que dès lors, si M. A allègue qu'il a subi une diminution du nombre de ses clients parmi les OPCVM, il résulte de ce qui précède que ce sont ses carences professionnelles graves et répétées qui, justifiant le sens de la délibération prise par la Commission des opérations de bourse le 26 juillet 1994, sont à l'origine du préjudice dont l'intéressé demande réparation ;

Considérant, d'autre part, que si M. A allègue qu'il n'a pas fait l'objet de contrôles ultérieurs en particulier par le CENA lui permettant de faire valoir qu'il avait remédié aux carences précédemment relevées, une telle circonstance, à supposer qu'elle lui ait porté préjudice, n'est pas imputable à la délibération litigieuse de la COB ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir qu'il existe un lien de causalité entre la délibération de la Commission des opérations de bourse du 26 juillet 1994 et le préjudice allégué dont il demande réparation ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande M. A ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions pour mettre à la charge de M. A la somme demandée par l'Autorité des marchés financiers ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 mars 2006 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 avril 2002 sont annulés.

Article 2 : La délibération de la Commission des opérations de bourse du 26 juillet 1994 est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées devant le Conseil d'Etat, sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Autorité des marchés financiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Bernard A, à l'Autorité des marchés financiers et à la ministre la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 293673
Date de la décision : 29/04/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES - ACTES ADMINISTRATIFS - NOTION - ACTES À CARACTÈRE DE DÉCISION - ACTES PRÉSENTANT CE CARACTÈRE - ACTE PAR LEQUEL LA COMMISSION DES OPÉRATIONS DE BOURSE (DEVENUE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS) DÉCIDE QU'ELLE NE DONNERA PLUS SON ACCORD À LA NOMINATION D'UN EXPERT-COMPTABLE AUX FONCTIONS DE COMMISSAIRE AUX COMPTES D'OPCVM.

01-01-05-02-01 Acte par lequel la Commission des opérations de bourse décide qu'elle ne donnera plus son accord à la nomination du cabinet d'un expert-comptable aux fonctions de commissaire aux comptes de nouveaux organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) jusqu'à ce que le comportement de l'intéressé se soit amélioré. Un tel acte fait grief en ce qu'il est de nature à dissuader tout OPCVM de solliciter les services de cet expert comptable.

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAPITAUX - OPÉRATIONS DE BOURSE - AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS - PROCÉDURE - ACTE PAR LEQUEL LA COMMISSION DES OPÉRATIONS DE BOURSE (DEVENUE L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS) DÉCIDE QU'ELLE NE DONNERA PLUS SON ACCORD À LA NOMINATION D'UN EXPERT-COMPTABLE AUX FONCTIONS DE COMMISSAIRE AUX COMPTES D'OPCVM - 1) ACTE FAISANT GRIEF - 2) RÉGULARITÉ - ABSENCE SI L'INTÉRESSÉ N'A PAS PU PRÉSENTER DES OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉALABLES (ART - 1ER DE LA LOI DU 11 JUILLET 1979 ET ART - 8 DU DÉCRET DU 28 NOVEMBRE 1983).

13-01-02-01 1) L'acte par lequel la Commission des opérations de bourse décide qu'elle ne donnera plus son accord à la nomination du cabinet d'un expert-comptable aux fonctions de commissaire aux comptes d'OPCVM jusqu'à ce que le comportement de l'intéressé se soit amélioré, fait grief en ce qu'il est de nature à dissuader tout OPCVM de solliciter les services de cet expert comptable.... ...2) Cet acte est irrégulier dès lors que l'intéressé n'a pas été mise en mesure de présenter des observations écrites préalablement à l'adoption de la délibération litigieuse.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 avr. 2009, n° 293673
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: Mme Delphine Hedary
Rapporteur public ?: M. Guyomar Mattias
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN ; SCP VINCENT, OHL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:293673.20090429
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