Vu, enregistrés les 4 juillet et 28 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour M. Francis A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 20 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite du ministre de l'équipement, des transports, du logement et de la mer rejetant son recours gracieux formé le 3 mai 2002 contre l'arrêté du 11 mars 2002 relatif à son reclassement dans le corps des officiers de port ;
2°) d'annuler ladite décision implicite de rejet, ensemble l'arrêté du 11 mars 2002 ;
3°) d'enjoindre au ministre de procéder à la reconstitution exacte de sa carrière ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 82-452 du 28 mai 1982 ;
Vu le décret n° 2001-188 du 26 février 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, Auditeur,
- les observations de Me Blanc, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Blanc, avocat de M. A ;
Considérant qu'il ressort du dossier soumis au juge du fond que M. A, officier de port détaché auprès du port autonome du Havre pour y exercer les fonctions de commandant de port, avec le grade de capitaine de port de 1ère classe de classe fonctionnelle, avait atteint, le 18 mai 2000, le 4ème échelon de sa classe ; qu'à la suite de la publication du décret du 26 février 2001 relatif au statut particulier des officiers de port qui a modifié le déroulement de carrière de ces agents, M. A a, par arrêté ministériel du 11 mars 2002, été reclassé au 2ème échelon de la classe fonctionnelle des capitaines de port du 1er grade à compter du 3 mars 2002 ; qu'estimant que ce reclassement n'était pas conforme à son déroulement de carrière et lui conférait un indice insuffisant, notamment en comparaison de celui attribué à des officiers de port exerçant antérieurement à la réforme des responsabilités inférieures aux siennes, M. A a formé à son encontre un recours gracieux qui a été implicitement rejeté par le ministre ; qu'il a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande d'annulation de cette décision implicite de rejet et de l'arrêté du 11 mars 2002 relatif à son reclassement ; que par un jugement du 20 avril 2006, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette requête ; que M. A se pourvoit en cassation contre ce jugement ;
Sur la demande d'annulation du jugement du 20 avril 2006 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article 21 du décret du 26 février 2001 susvisé relatif au statut particulier du corps des officiers de port : Les officiers de port en fonctions au 1er août 1996 sont reclassés conformément au tableau ci-dessous : (...) / Les services accomplis par les intéressés dans leur corps d'origine sont assimilés à des services accomplis dans leur corps d'intégration. ; qu'aux termes de l'article 23 du même décret : Par dérogation aux articles 14, 15 et 16 du présent décret, les officiers de port qui ont été nommés au grade supérieur ou à la classe fonctionnelle de leur grade entre le 1er août 1996 et la date de publication du présent décret sont, à compter de leur date de nomination, reclassés conformément au tableau de l'article 21 ci-dessus ; qu'aux termes de l'article 25 du même décret : Les dispositions (...) des articles 19, 20, 21 et 24 prennent effet au 1er août 1996 ;
Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 21, 23 et 25 précitées que les officiers de port qui n'ont bénéficié d'aucune promotion de grade ou de classe entre le 1er août 1996 et le 27 février 2001, se sont vus dès la date de leur reclassement appliquer les dispositions indiciaires et le déroulement de carrière prévu par le décret susvisé du 26 février 2001 alors que les officiers qui, comme le requérant, ont été nommés au grade supérieur ou à la classe fonctionnelle de leur grade entre ces deux dates n'ont bénéficié de ce régime plus favorable qu'à compter de la date de leur promotion ; que ce choix d'une date différente avait nécessairement pour effet de placer ces derniers dans une situation moins favorable que celle des agents immédiatement reclassés ; que le ministre n'invoque aucune nécessité justifiant dans l'intérêt du service la différence de traitement ainsi introduite entre les officiers de port en fonctions au 1er août 1996 selon qu'ils ont ou non fait l'objet d'une nomination au grade supérieur ou à la classe fonctionnelle de leur corps ; que dès lors en jugeant que les dispositions de l'article 23 du décret du 26 février 2001 n'étaient pas contraires au principe de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires appartenant à un même corps, le tribunal administratif de Rouen a commis une erreur de droit ; que M. A est fondé, pour ce motif, à demander l'annulation du jugement du 20 avril 2006 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, les dispositions de l'article 23 du décret du 26 février 2001 méconnaissent le principe d'égalité entre les fonctionnaires d'un même corps et sont par suite illégales ; qu'ainsi le ministre de l'équipement, des transports et du logement ne pouvait légalement en faire application pour procéder au reclassement de M. A dans le cadre du nouveau statut particulier des officiers de port édicté par le décret précité ; que M. A est dès lors fondé à demander l'annulation de la décision implicite du ministre rejetant son recours gracieux contre son reclassement, ainsi que celle de l'arrêté ministériel du 11 mars 2002 le reclassant au 2ème échelon de la classe fonctionnelle du grade de capitaine de port du 1er grade (indice brut 0795) à compter du 3 mars 2002 ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ;
Considérant que la présente décision implique que le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, après avoir réexaminé la situation administrative de M. A, prenne un nouvel arrêté de reclassement et procède à la reconstitution exacte de sa carrière ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre de prendre dans un délai de trois mois un nouvel arrêté de reclassement concernant M. A et de reconstituer sa carrière conformément aux motifs de la présente décision ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 3 000 euros que demande celui-ci au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 20 avril 2006 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'arrêté ministériel du 11 mars 2002 reclassant M. A et la décision implicite du ministre de rejet du recours gracieux contre cet arrêté, sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire de prendre à l'égard de M. A dans un délai de trois mois un nouvel arrêté de reclassement et de procéder dans le même délai à la reconstitution exacte de sa carrière conformément aux motifs de la présente décision.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Francis A et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.