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19/06/2009 | FRANCE | N°323745

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 19 juin 2009, 323745


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2008 et 29 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yves A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 octobre 2008 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales lui a refusé le bénéfice de la protection juridique instituée par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

2°) d'enjoindre au mini

stre, à titre principal, de lui accorder le bénéfice de la protection sollicit...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2008 et 29 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yves A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 30 octobre 2008 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales lui a refusé le bénéfice de la protection juridique instituée par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

2°) d'enjoindre au ministre, à titre principal, de lui accorder le bénéfice de la protection sollicitée en application de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et, subsidiairement, de réexaminer sa demande dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à venir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de M. A ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer le cas échéant le préjudice qui en est résulté / La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle (...) ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que M. A, qui a été directeur central des renseignements généraux à la direction générale de la police nationale de 1992 à 2004, a demandé au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales le bénéfice de la protection juridique prévue par les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 du fait, à la suite de la divulgation dans l'hebdomadaire Le Point des 9 et 16 octobre 2008 d'extraits de carnets de notes personnelles saisis à son domicile et placés sous main de justice dans le cadre de l'instruction d'une affaire pénale, d'une part, des commentaires de presse qui accompagnaient ces révélations qu'il estime injurieux, outrageants et diffamatoires à son égard, et, d'autre part, des poursuites pénales dont il a fait l'objet sur plainte de plusieurs personnes à raison des informations contenues sur elles dans lesdits carnets ; que, par la décision attaquée du 30 octobre 2008, le ministre a rejeté sa demande au motif que, les carnets en cause ayant été tenus à titre privé et sous la seule responsabilité de l'intéressé , sa demande de protection juridique n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les carnets de notes en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à raison de sa qualité de directeur central des renseignements généraux, obtenues grâce aux moyens du service et utilisées dans l'exercice de ses fonctions ; que, dès lors, tant les attaques dont M. A s'estime être victime que les poursuites pénales dont il est l'objet à la suite de la révélation de ces carnets, doivent être regardées comme étant en relation avec les fonctions qu'il a exercées en sa qualité de directeur central des renseignements généraux ; que, par suite, le ministre, qui ne soutient pas que d'autres motifs, tels notamment qu'une faute personnelle, feraient obstacle à l'octroi de la protection sollicitée, a commis une erreur de droit en estimant que la protection demandée par M. A à raison de ces attaques et poursuites n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'il suit de là que le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ; que, par ailleurs, la protection due au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales n'est due qu'à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'annulation de la décision attaquée du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales n'implique pas nécessairement que la protection prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 soit accordée à M. A ; que, par suite, les conclusions de M. A tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de lui accorder le bénéfice de la protection sollicitée doivent être rejetées ;

Considérant que l'annulation de la décision attaquée impose, en revanche, à l'administration de réexaminer la demande de M. A au regard des principes rappelés ci-dessus ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales de réexaminer la demande de M. A dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ; que dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. A ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge l'Etat le versement à M. A de la somme de 2 500 euros ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales du 30 octobre 2008 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales de réexaminer la demande de M. A dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Yves A et à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 19 jui. 2009, n° 323745
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Daël
Rapporteur ?: M. Xavier de Lesquen
Rapporteur public ?: M. Thiellay Jean-Philippe
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Date de la décision : 19/06/2009
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 323745
Numéro NOR : CETATEXT000020869437 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-06-19;323745 ?
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