La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/07/2009 | FRANCE | N°308925

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 01 juillet 2009, 308925


Vu le pourvoi du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, enregistré le 28 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 9 août 2007 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé, à la demande de M. Jean A, l'ordonnance du 22 septembre 2005 du juge des référés du tribunal administratif de Pau ayant rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une provision en réparation du préjudice résultant

des conditions de sa détention, d'autre part, condamné l'Etat à verser ...

Vu le pourvoi du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, enregistré le 28 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 9 août 2007 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé, à la demande de M. Jean A, l'ordonnance du 22 septembre 2005 du juge des référés du tribunal administratif de Pau ayant rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat lui verse une provision en réparation du préjudice résultant des conditions de sa détention, d'autre part, condamné l'Etat à verser à Mme Françoise A et à Melle Nathalie A une provision de 10 000 euros et mis à sa charge la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) statuant en référé, de rejeter l'appel de M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Auditeur,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme Françoise A et de Mlle Nathalie A,

les conclusions de Mme Isabelle de Silva, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme Françoise A et de Mlle Nathalie A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du référé provision que, condamné à une peine de quinze ans de prison par la cour d'assises de Toulouse le 12 juin 1995, M. A a subi, le 24 juillet 1997, alors qu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Lannemezan, un bilan biologique révélant qu'il était atteint d'une leucémie lymphoïde chronique ; qu'il a dès lors fait l'objet d'un suivi et d'un traitement médical régulier ; qu'en raison des conditions anormales, au regard de son état de santé, dans lesquelles se déroulait sa détention et s'effectuaient ses transferts à l'hôpital, en réparation desquelles il a obtenu, sur saisine directe, la condamnation de la France, par un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 14 novembre 2002, à lui verser une indemnité de 15 000 euros au titre du préjudice moral, M. A a refusé, à compter du 20 juin 2000, de poursuivre son traitement ; que, le 19 juillet 2000, soit un mois plus tard, il a été transféré au centre de détention de Muret, où il a aussitôt accepté de reprendre les soins ; qu'après le rejet, par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, de plusieurs demandes de grâce pour raisons médicales, le juge d'application des peines a prononcé, par une ordonnance du 22 mars 2001, la libération conditionnelle de l'intéressé, assortie d'une obligation de soins ; qu'à la suite de l'expertise médicale ordonnée sur sa demande par le juge des référés du tribunal administratif de Pau le 16 novembre 2004, M. A a demandé au même juge de condamner l'Etat à lui verser une provision au titre de l'obligation de réparer le préjudice résultant de la perte de chances de survie que lui aurait causé son maintien en détention malgré son état de santé ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 août 2007 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, a, infirmant l'ordonnance de rejet prise le 22 septembre 2005 par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, condamné l'Etat à verser à l'épouse et à la fille de M. A, décédé en cours d'instance, une provision de 10 000 euros ; que ces dernières, par la voie du pourvoi incident, contestent le montant de la provision ainsi accordée par le juge des référés ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal (...) ; qu'aux termes de l'article R. 541-1 du même code : Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ;

Considérant qu'il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que, pour condamner l'Etat à verser une provision en réparation du préjudice subi par M. A au titre de la perte de chance de survie causée par les conditions de sa détention, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a constaté que le requérant avait fait valoir, en première instance comme en appel, que les conditions trop contraignantes dans lesquelles avaient été réalisés pour raisons médicales les extractions, les transferts et la surveillance, étaient à l'origine de ses fortes réticences pour accepter le protocole de soins nécessaire et partant, avaient encore réduit ses chances de survie ; qu'il en a déduit que l'existence de l'obligation de l'Etat n'était pas sérieusement contestable ;

Considérant toutefois que le rapport d'expertise médicale réalisé à la demande du juge des référés du tribunal administratif de Pau afin de déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure, l'altération de l'état de santé de l'intéressé devait être rattaché à d'éventuels manquements de l'administration pénitentiaire dans le traitement de son état a conclu qu'il n'apparaîtrait pas que l'incarcération de M. A ait entraîné une dégradation dans la prise en charge médicale de sa maladie, que ce dernier avait en effet eu accès aux structures et médecins les plus qualifiés de la région, et qu'un traitement adapté avait été mis en place en temps voulu ; qu'en outre, le rapport a exclu que l'interruption momentanée de soins due au refus de l'intéressé de poursuivre son traitement en raison des conditions de sa détention ait pu avoir un quelconque impact sur son état de santé, précisant qu'il n'y avait pas eu de retard de prise en charge lié au problème de l'incarcération et des extractions ;

Considérant ainsi qu'en admettant l'existence d'un lien de causalité direct entre les conditions de détention de M. A et le dommage allégué, pour en déduire que l'obligation dont se prévalait l'intéressé n'était pas sérieusement contestable, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a fait une inexacte application des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions du pourvoi incident présenté par Mme et Mlle A devant le juge de cassation ;

Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer immédiatement au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les conditions de détention de M. A n'ont pas eu d'incidence sur les chances de survie de ce dernier et sont sans lien direct avec son décès, le 25 juin 2006, soit près de cinq ans après sa libération ; que dans ces conditions, M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à ce que lui soit versée une provision au titre de sa perte de chance de survie au motif que l'obligation de réparation dont il se prévalait ne pouvait être regardée comme n'étant pas sérieusement contestable ; que ses conclusions d'appel, ainsi que celle présentées par Mme et Melle A en cassation, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 août 2007 est annulée.

Article 2 : Le pourvoi incident de Mme et Mlle A est rejeté ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Françoise A, à Mlle Nathalie A et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 308925
Date de la décision : 01/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 jui. 2009, n° 308925
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mlle Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:308925.20090701
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award