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15/07/2009 | FRANCE | N°329526

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 juillet 2009, 329526


Vu la requête, enregistrée le 8 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIÉTÉ ÉLECTRICITÉ DE FRANCE, dont le siège est 22-30 avenue de Wagram à Paris (75008), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE ELECTRICITE DE FRANCE demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 0903909 du 4 juillet 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exéc

ution de la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général product...

Vu la requête, enregistrée le 8 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIÉTÉ ÉLECTRICITÉ DE FRANCE, dont le siège est 22-30 avenue de Wagram à Paris (75008), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE ELECTRICITE DE FRANCE demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 0903909 du 4 juillet 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général production d'EDF a ordonné aux directeurs des centres de production d'imposer, sous peine de sanctions disciplinaires, la présence à leur poste de travail des salariés grévistes dont l'activité lui parait nécessaire aux chantiers d'arrêts de tranche consistant en des opérations périodiques de maintenance des réacteurs nucléaires de production électrique, de la note du 16 juin 2009 par laquelle le directeur du centre de production de Cruas a informé le personnel des modalités de ces obligations de présence à certains postes de travail et de la note du 16 juin 2009 imposant la présence à son poste de M. Vincent A technicien préparateur au service essai ;

2°) de rejeter la requête présentée par le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. A devant le tribunal administratif de Lyon ;

3°) de condamner le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. A à verser à la société EDF la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

elle soutient que la décision attaquée a été rendue alors que les conditions du contradictoire n'ont pas été respectées ; qu'en conséquence l'ordonnance a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière ; que par ailleurs, la décision attaquée était mal-fondée en ce qu'elle a considéré, d'une part, que les dirigeants d'EDF n'étaient pas compétents pour prendre les notes litigieuses, alors que le directeur général délégué d'EDF, M. , était bien compétent pour prendre la décision du 15 juin 2009 ; en effet, tout organe dirigeant ayant autorité sur des personnels en charge de l'exécution d'un service public est compétent pour limiter l'exercice du droit de grève afin de préserver la continuité d'un service public ; que la circonstance qu'EDF a été transformée en société anonyme ne prive pas ses dirigeants de leurs compétences en la matière dans la mesure où, malgré ce changement de statut, cette société reste chargée d'un service public ; d'autre part que les mesures suspendues portaient atteinte de manière disproportionnée au droit de grève alors qu'elles sont strictement proportionnées à l'objectif de maintien du service public et n'ont pas été prises en violation de l'obligation consultative pesant sur EDF ; que la condition d'urgence est remplie par la nécessité de l'approvisionnement en électricité du territoire français à partir du mois de juillet relevant de l'intérêt général dont l'urgence prime aujourd'hui sur l'urgence qu'il pourrait y avoir de permettre l'exercice sans limite du droit de grève ; que des menaces pèsent effectivement sur l'approvisionnement en électricité sur le territoire français ; que la condition d'atteinte manifestement illégale au droit de grève n'était pas remplie puisqu'en cas de conditions météorologiques défavorables, le risque pour l'approvisionnement électrique du territoire français est incontestable ; que la continuité du service public dont est chargé EDF imposait, du fait des circonstances climatiques, de limiter l'exercice du droit de grève en convoquant les salariés dont M. A ; que les convocations n'étaient pas des réquisitions au sens du droit administratif en ce qu'elles exposaient les grévistes concernés à des sanctions disciplinaires et non à des exécutions forcées ou à des sanctions pénales ; qu'EDF a pris toutes les précautions pour limiter les atteintes au droit de grève uniquement à ce qu'exige la réalisation des arrêts de tranche dont la disponibilité doit être recouvrée ; qu'en conséquence la demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon doit être rejetée ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 9 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présenté pour le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT représenté par son représentant statutaire domicilié en cette qualité audit siège et M. A qui conclut à titre principal au rejet du recours, à titre subsidiaire que soit mis à la charge de la société requérante au profit du syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. A la somme de 3000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; ils soutiennent que le mouvement de grève qui affecte le personnel de la société EDF perdure du fait de l'insatisfaction de revendications sociales ; que, s'agissant des réquisitions, n'ayant pas obtenu de réponse, le syndicat exposant et M. A, salarié requis, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon qui a suspendu la décision du 15 juin précitée ; que le recours présenté par la société EDF qui soutient que l'ordonnance serait intervenue sur une procédure irrégulière est infondé ; que s'agissant d'un référé liberté, la convocation à l'audience a été adressée dans les services de la société EDF à son siège à une heure parfaitement ouvrable et avec indication qu'elle concernait une question juridique ; que dès lors le principe du contradictoire n'a pas été violé et la procédure n'était pas irrégulière ; que par ailleurs le juge des référés a constaté que les dirigeants d'EDF ont procédé à une réquisition de salariés grévistes sans autorisation préfectorale ou gouvernementale alors même que la situation d'urgence n'apparaissait pas établie ; que la société EDF qui a changé de nature juridique ne peut plus se prévaloir d'une mission de service public ; que par ailleurs, la distinction entre réquisition et convocation est purement sémantique ; qu'il s'agit de mesures portant atteinte au droit de grève sous couvert d'un motif d'intérêt général qui ne peuvent être prises sans certaines garanties et des limites strictes posées par la jurisprudence ; que ces mesures portent une atteinte disproportionnée au droit de grève au regard des nécessités du service public dès lors qu'il ne menace pas les usagers prioritaires ; que les ordres de réquisition ne comportent aucune limite de temps et visent indirectement les salariés grévistes et les salariés non grévistes ; que dans le cas d'une restriction à un droit constitutionnellement protégé il appartient à la société EDF de démontrer le caractère indispensable de ces restrictions et que cependant elle ne fournit aucune indication précise ni sur les menaces qui pèseraient concrètement sur la continuité du service, ni sur les emplois indispensables pour assurer celui-ci ; que le droit de grève est une liberté fondamentale au sens de l'arrêt Aguillon du Conseil d'Etat et que la décision contestée n'est pas une simple entrave à l'exercice de leur droit mais la privation pure et simple de ce droit ; que dès lors, s'agissant d'une atteinte à une liberté publique le défaut d'urgence invoqué par le recours est infondé ; qu'en conséquence de ces motifs le requête devra être rejetée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, EDF et, d'autre part, le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. Vincent A, la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer ;

Vu le procès-verbal de l'audience du vendredi 10 juillet 2009 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat d'EDF ;

- Me Masse-Dessen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et de M. Vincent A ;

- les représentants d'EDF ;

- les représentants du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer ;

- les représentants du syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. A ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public... aurait porté, dans l'exercice de l'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ;

Considérant qu'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF) forme appel contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a sur le fondement de cet article L. 521-2 suspendu la décision du 15 juin 2009 par laquelle le directeur général production d'EDF a ordonné aux directeurs des centres de production d'imposer, sous peine de sanctions disciplinaires, la présence à leur poste de travail des salariés grévistes dont l'activité lui parait nécessaire aux chantiers d'arrêts de tranche consistant en des opérations périodiques de maintenance des réacteurs nucléaires de production électrique, de la note du 16 juin 2009 par laquelle le directeur du centre de production de Cruas a informé le personnel des modalités de ces obligations de présence à certains postes de travail et de la note du 16 juin 2009 imposant la présence à son poste de M. A technicien préparateur au service essai ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête ;

Considérant que le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ; qu'en l'absence de la réglementation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; que les organes de direction d'une société chargée de service public, telle qu'EDF par la loi du 10 février 2000, agissant en vertu des pouvoirs généraux d'organisation des services placés sous leur autorité, d'une part définissent les domaines dans lesquels la sécurité, la continuité du service public doivent être assurées en toutes circonstances et déterminent les limitations affectées à l'exercice du droit de grève dans la société en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ;

Considérant en premier lieu, qu'il doit être tenu compte de la nature du service de production d'électricité, des impératifs de sécurité qui lui sont liés et des contraintes techniques du maintien de l'interconnexion et de préservation de l'équilibre entre la demande et l'offre d'électricité dans une situation estivale où les fortes températures peuvent solliciter le système de production électrique à un moment où la production est réduite ; que dans ces conditions, la direction d'EDF et en particulier le directeur général adjoint production par sa note litigieuse du 15 juin 2009, en mettant en place le dispositif contesté qui ne saurait avoir pour objet et pour effet de contraindre l'ensemble des personnels des tranches visées à remplir un service normal mais seulement de répondre de la continuité des fonctions indispensables pour assurer la remise en service des réacteurs arrêtés dans les délais et éviter des conséquences graves dans l'approvisionnement électrique du pays, n'ont pas porté une atteinte manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève pour les salariés concernés ;

Considérant, en deuxième lieu, que par sa note du 16 juin 2009, le directeur du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Cruas a imposé sous peine de sanctions disciplinaires la présence à leur poste de 674 salariés, sur les 1152 que compte ce centre ; qu'il résulte des pièces au dossier comme des débats lors de l'audience publique qu'aux fins d'assurer la reprise de fonctionnement de la tranche 1 du site de Cruas, le directeur a tenu compte du rôle respectif des différents services et, au sein de chacun, de la nature des fonctions au regard du seul critère de leur caractère indispensable pour la sécurité et le respect du programme prévu de fin d'arrêt de la tranche 1 ; qu'en particulier, les services directement en charge de la reprise de la tranche 1 tels que le service automatisme essai ou conduite 1 et 2 ou MCR mécanique ont été plus sollicités que les services SSI système d'information ou SMA moyen assistance, arrêt, planification ; qu'ainsi, sans chercher à maintenir le service normal, le directeur du CNPE de Cruas n'a pas porté une atteinte manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève pour les salariés concernés ;

Considérant en troisième lieu, qu'il en va de même avec la convocation adressée à M. A technicien préparateur au service automatisme essai dont la présence aux périodes programmées était nécessaire au dispositif ainsi mis en place ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que EDF est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande du syndicat Chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et de M. A dont il était saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que les conclusions du syndicat présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par voie de conséquence, qu'être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions d'EDF sur le fondement du même article ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 4 juillet 2009 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.

Article 2 : La demande présentée au tribunal administratif de Lyon par le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. A est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées d'une part par le syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et par M.A et d'autre part par EDF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIÉTÉ ÉLECTRICITÉ DE FRANCE et au syndicat chimie énergie Drôme Vivarais CFDT et M. Vincent A


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 329526
Date de la décision : 15/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2009, n° 329526
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Christian Vigouroux
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:329526.20090715
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