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24/07/2009 | FRANCE | N°303526

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 24 juillet 2009, 303526


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire du MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE, enregistrés les 9 mars et 8 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1) d'annuler l'arrêt du 7 décembre 2006 en tant que par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 juin 2004 rejetant la requête de la société Hermouet tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 8 268 767 francs (1 260 565 euros) en réparation du pré

judice qu'elle déclare avoir subi entre 1996 et 1999 en raison du re...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire du MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE, enregistrés les 9 mars et 8 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1) d'annuler l'arrêt du 7 décembre 2006 en tant que par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 juin 2004 rejetant la requête de la société Hermouet tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 8 268 767 francs (1 260 565 euros) en réparation du préjudice qu'elle déclare avoir subi entre 1996 et 1999 en raison du refus de l'Etat de mettre en place une procédure spécifique d'autorisation pour les importations parallèles de produits phytopharmaceutiques et de l'obligation qui en est résulté pour elle d'interrompre ses activités, d'autre part, condamné l'Etat à verser à la société Hermouet une somme de 100 000 euros en réparation de la perte de chance de procéder à l'importation parallèle des produits " Lambda C " et " Amistar ", et ordonné une expertise afin d'évaluer la réparation des conséquences dommageables de l'obligation de se fournir en produits phytopharmaceutiques sur le marché français entre 1996 et 1999 ;

2) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Hermouet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2009, présentée par le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la directive 91/414 du Conseil des Communautés européennes du 15 juillet 1991 ;

Vu le code rural ;

Vu le décret n° 94-359 du 5 mai 1994 ;

Vu le décret n° 2001-317 du 4 avril 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Hermouet,

- les conclusions de M. Edouard Geffray, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Hermouet ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Hermouet, qui a pour activité l'importation dite parallèle et la commercialisation de produits phytopharmaceutiques à destination de l'agriculture en France, a demandé à l'Etat la réparation du préjudice qu'elle affirme avoir subi du fait du refus de l'Etat, entre 1996 et 1999, de mettre en place une procédure simplifiée d'autorisation pour les importations parallèles de produits phytopharmaceutiques et de l'obligation qui est en résultée pour elle d'interrompre ses activités ; que le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 décembre 2006 en tant que par cet arrêt, la cour administrative d'appel de Nantes a condamné l'Etat à verser à cette société somme de 100 000 euros en réparation de la perte de chance de procéder à l'importation parallèle et à la commercialisation des produits " Lambda C " et " Amistar ", et ordonné une expertise afin d'évaluer la réparation des conséquences dommageables de l'obligation de se fournir en produits phytopharmaceutiques sur le marché français entre 1996 et 1999 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 28 du traité instituant la Communauté européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres " ; qu'aux termes de l'article 30 du même traité : " Les dispositions des articles 28 et 29 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation (...) justifiées par des raisons (...) de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux " ;

Considérant qu'il appartenait aux Etats membres de transposer la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques en prévoyant une procédure d'autorisation de mise sur le marché, notamment pour les produits phytopharmaceutiques importés à partir d'autres Etats membres ; qu'il a été satisfait à cette obligation, en France, par la publication du décret du 5 mai 1994 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient le ministre, les dispositions de la directive précitée relatives à la procédure de délivrance d'une autorisation de mise sur le marché ne sont pas applicables aux importations de produits phytopharmaceutiques dites parallèles, c'est-à-dire aux importations de produits autorisés dans un Etat membre, dit Etat d'origine, dont les substances actives, les formules et les effets sont identiques à ceux d'autres produits déjà autorisés dans un autre Etat membre, dit Etat de destination, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des communautés européennes dans ses arrêts British Agrochemicals Association Ltd du 11 mars 1999 (aff. C-100/96) et Escalier et Bonnarel du 8 novembre 2007 (aff. C-206/06 et 261/06) ; que, pour de telles importations, il incombait aux Etats membres, de prévoir une procédure spécifique, nécessairement distincte de la procédure applicable à la mise sur le marché de produits importés, ayant pour seul objet de vérifier, outre l'existence d'une origine commune, que les produits phytopharmaceutiques autorisés dans l'Etat d'origine et dans l'Etat de destination, sans être en tous points identiques, ont, à tout le moins, été fabriqués suivant la même formule et en utilisant la même substance active et ont en outre les mêmes effets compte tenu des différences qui peuvent exister dans les conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales, notamment climatiques, d'utilisation des produits ;

Considérant qu'il est constant qu'aucune procédure spécifique n'était prévue par la réglementation française avant son annonce par l'avis aux importateurs publié au Journal officiel du 7 août 1999 et son adoption par le décret du 4 avril 2001 ; que, s'il est vrai qu'en l'absence d'une telle procédure spécifique, le ministre chargé de l'agriculture, saisi d'une demande en ce sens, eût en tout état de cause été tenu d'autoriser à la vente les produits en cause dès lors que l'importateur justifiait du respect des conditions, rappelées ci-dessus, pour qu'une importation soit qualifiée de " parallèle ", la circonstance que les autorités françaises n'ont pas mis en place une procédure spécifique pour les importations parallèles constitue, à elle seule, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des communautés européennes dans ses arrêts British Agrochemicals Association Ltd, cité ci-dessus et, s'agissant d'importations parallèles de médicaments, Commission c/ France du 12 octobre 2004 (aff. C-263/03), un manquement de l'Etat aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 28 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel, qui, contrairement à ce que soutient le ministre, n'a pas jugé qu'aucune autorisation n'était nécessaire pour des importations parallèles, mais s'est bornée à constater le manquement décrit ci-dessus, et qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant, pour déterminer si le comportement de l'Etat était fautif, sur les stipulations du traité instituant la Communauté européenne, et non sur les dispositions de la directive 91/414 CEE ;

Considérant que le manquement commis par l'Etat est de nature à engager sa responsabilité à l'égard des opérateurs économiques du secteur auxquels, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt Danske Slagterier c/ Allemagne du 24 mars 2009 (aff. C-445/06), les stipulations de l'article 28 du traité instituant la Communauté européenne confèrent des droits, qu'ils peuvent faire valoir directement devant les juridictions nationales ; qu'il appartient au juge, saisi par un opérateur économique qui demande réparation des préjudices résultant du manquement commis par l'Etat, de déterminer s'il résulte de l'instruction que cet opérateur a été dissuadé ou empêché, du fait de l'absence d'une procédure spécifique, de se livrer à des importations parallèles, sans qu'il soit nécessaire que cette entreprise, pour justifier d'un lien direct entre la faute commise et le préjudice qu'elle invoque et dont il lui appartient de démontrer l'étendue, ait déposé des demandes d'autorisation ; que, par suite, c'est sans erreur de droit et sans erreur de qualification que la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a jugé que la responsabilité de l'Etat était engagée à l'égard de la société Hermouet, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette société n'avait pas déposé, pendant la période concernée, de demande d'autorisation conformément à la procédure générale prévue par le décret du 5 mai 1994 qui, ainsi qu'il a été dit, était alors seule en vigueur ;

Considérant, en dernier lieu, que, par une décision suffisamment motivée sur ce point, la cour administrative d'appel a exposé les circonstances sur lesquelles elle se fondait pour juger que le préjudice résultant pour la société Hermouet de la perte de chance de procéder à des importations parallèles et à la commercialisation des produits " Lambda C " et " Amistar " était établi pour les années 1997-1999, pour le premier, et pour les années 1998-1999, pour le second ; qu'en évaluant à 100 000 euros le montant de ce préjudice, la cour s'est livrée, sans commettre d'erreur de droit, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, exempte de dénaturation, qui n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Hermouet d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la société Hermouet la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ALIMENTATION, DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE et à la société Hermouet.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 24 jui. 2009, n° 303526
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Xavier Domino
Rapporteur public ?: M. Geffray Edouard
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Date de la décision : 24/07/2009
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 303526
Numéro NOR : CETATEXT000025918198 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-07-24;303526 ?
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