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27/07/2009 | FRANCE | N°313588

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 27 juillet 2009, 313588


Vu le recours, enregistré le 21 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE ; le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 17 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son recours dirigé contre le jugement du 7 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté ministériel du 16 mars 2004 excluant Mlle Fabienne A de ses fonctions pour une durée d'un an et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au

titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°...

Vu le recours, enregistré le 21 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE ; le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 17 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son recours dirigé contre le jugement du 7 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté ministériel du 16 mars 2004 excluant Mlle Fabienne A de ses fonctions pour une durée d'un an et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mlle A devant le tribunal administratif de Versailles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 ;

Vu le décret n° 82-451 du 28 mai 1982

Vu le décret n° 84-914 du 10 octobre 1984 ;

Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hugues Ghenassia de Ferran, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;

Considérant que Mlle A, professeur certifié d'éducation musicale et de chant choral, a fait l'objet le 16 mars 2004 d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'un an après avoir été reconnue coupable par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 23 juin 2003, devenu définitif, d'un délit d'atteinte sexuelle commis en 1998 sur une mineure de quinze ans, sans violence, contrainte, menace ou surprise ; que l'intéressée a demandé au tribunal administratif de Versailles l'annulation de l'arrêté par lequel le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a prononcé cette sanction disciplinaire ; que le tribunal administratif a fait droit à la demande de Mlle A par un jugement du 7 avril 2006 ; que le ministre a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Versailles qui a rejeté son recours par un arrêt du 17 décembre 2007 contre lequel le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE se pourvoit en cassation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 37 du décret du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés : les sanctions disciplinaires définies à l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 sont prononcées, après consultation de la commission administrative paritaire académique siégeant en conseil de discipline (...) ; que selon l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. / A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l'accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée, jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord. (...) / Dans l'hypothèse où aucune des propositions soumises au conseil de discipline, y compris celle consistant à ne pas prononcer de sanction, n'obtient l'accord de la majorité des membres présents, le conseil est considéré comme ayant été consulté et ne s'étant prononcé en faveur d'aucune de ces propositions. Son président informe alors de cette situation l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Si cette autorité prononce une sanction, elle doit informer le conseil des motifs qui l'ont conduite à prononcer celle-ci ; qu'aux termes de l'article 41 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : / (...) les trois quarts au moins de leurs membres doivent être présents lors de l'ouverture de la réunion (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commission administrative paritaire académique compétente à l'égard des professeurs certifiés siégeant en conseil de discipline s'est réunie une première fois le 18 novembre 2003 pour émettre un avis sur les sanctions disciplinaires qui pouvaient être prononcées à l'encontre de Mlle A sans que l'accord de la majorité des membres présents ne soit recueilli pour l'une des propositions de sanctions soumises au vote ; que, constatant que ni la totalité des sanctions définies à l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, ni l'hypothèse consistant à ne pas prononcer de sanction n'avaient été mises aux voix en application des dispositions de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 précité, le recteur de l'académie de Versailles a de nouveau saisi le conseil de discipline ; qu'au cours de la seconde séance du 22 janvier 2004, le président du conseil de discipline a poursuivi la délibération précédente en soumettant au vote les autres sanctions possibles ainsi que la proposition d'une absence de sanction, sans davantage recueillir d'accord d'une majorité des membres votants ; que, s'il ressort du procès verbal de la séance du 22 janvier 2004 que deux membres qui avaient pris part au vote de la première séance ne l'ont pas fait lors de la seconde, il résulte des dispositions précitées que les droits de la défense n'ont pas été méconnus du fait de cette circonstance dès lors que, d'une part, la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire a été régulièrement convoquée dans la même composition lors de sa seconde séance aux fins de délibérer des sanctions applicables qui n'avaient pas été soumises à un vote lors de la séance initiale ou de l'absence de sanction et que, d'autre part, lors de la seconde séance, le quorum a été atteint ;

Considérant par suite qu'en relevant que le changement intervenu dans la composition du conseil de discipline entachait d'irrégularité la procédure disciplinaire poursuivie à l'encontre de Mlle A, la cour administrative d'appel de Versailles a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la circonstance que le conseil de discipline convoqué le 22 janvier 2004 ait délibéré sur les propositions de sanctions applicables qui n'avaient pas été soumises au vote lors de la séance du 18 novembre 2003 ainsi que sur l'hypothèse d'une absence de sanction, alors que deux membres présents lors de la première séance n'ont pas pris part aux votes de la seconde et que les propositions de sanction qui avaient déjà été mises aux voix n'ont pas fait l'objet d'un nouveau vote, n'a pas été de nature à vicier la régularité de la procédure disciplinaire ; que, par suite, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur ce que les garanties de procédure disciplinaire avaient été méconnues pour annuler l'arrêté du 16 mars 2004 du ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche prononçant l'exclusion temporaire pour une durée d'un an de Mlle A ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mlle A devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Versailles ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande ;

Considérant que, lorsque les faits commis par un agent public donnent lieu à la fois à une action pénale et à des poursuites disciplinaires, l'administration peut se prononcer sur l'action disciplinaire sans attendre l'issue de la procédure pénale ; que si elle décide néanmoins de différer sa décision en matière disciplinaire jusqu'à ce que le juge pénal ait statué, il lui incombe, dans le choix de la sanction qu'elle retient, de tenir compte non seulement de la nature et de la gravité des faits répréhensibles mais aussi de la situation d'ensemble de l'agent en cause, à la date à laquelle la sanction est prononcée, compte tenu, le cas échéant, des éléments recueillis, des expertises ordonnées et des constatations faites par le juge pénal ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si les faits reprochés à Mlle A sont de nature à justifier une sanction disciplinaire, ils ont été commis en dehors de tout cadre professionnel, à l'étranger durant les vacances scolaires d'été, à l'occasion d'une invitation de caractère privé ; que ces faits isolés ont été reconnus par l'intéressée et ont fait l'objet de sa part, durant la procédure pénale, de mesures et d'engagements de nature à éviter toute réitération ; qu'à la suite des expertises diligentées, le juge pénal a estimé qu'une reprise effective de ses fonctions par l'enseignante pouvait être autorisée ; que, dès lors, eu égard à la manière de servir de l'intéressée, aux résultats qu'elle a obtenus dans l'exercice de ses fonctions et à sa situation, telle qu'elle se présentait dans son ensemble à la date de la décision contestée, la sanction retenue par le ministre est manifestement disproportionnée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 16 mars 2004 ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 17 décembre 2007 est annulé.

Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE présenté devant la cour administrative d'appel de Versailles et le surplus des conclusions de son recours devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE et à Mlle Fabienne A.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 313588
Date de la décision : 27/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS. DISCIPLINE. SANCTIONS. - CAS OÙ L'ADMINISTRATION SE PRONONCE SUR L'ACTION DISCIPLINAIRE APRÈS L'ISSUE DE LA PROCÉDURE PÉNALE - NÉCESSITÉ DE PRENDRE EN COMPTE LA SITUATION D'ENSEMBLE DE L'AGENT À LA DATE À LAQUELLE LA SANCTION EST PRONONCÉE, COMPTE TENU, LE CAS ÉCHÉANT, DES ÉLÉMENTS MIS AU JOUR PAR L'INSTANCE PÉNALE ET NON UNIQUEMENT LA NATURE ET LA GRAVITÉ DES FAITS RÉPRÉHENSIBLES.

36-09-04 Lorsque les faits commis par un agent public donnent lieu à la fois à une action pénale et à des poursuites disciplinaires, l'administration peut se prononcer sur l'action disciplinaire sans attendre l'issue de la procédure pénale. Si elle décide néanmoins de différer sa décision en matière disciplinaire jusqu'à ce que le juge pénal ait statué, il lui incombe, dans le choix de la sanction qu'elle retient, de tenir compte non seulement de la nature et de la gravité des faits répréhensibles mais aussi de la situation d'ensemble de l'agent en cause, à la date à laquelle la sanction est prononcée, compte tenu, le cas échéant, des éléments recueillis, des expertises ordonnées et des constatations faites par le juge pénal. En l'espèce, et au regard de ces critères, la sanction est manifestement disproportionnée.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2009, n° 313588
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Hugues Ghenassia de Ferran
Rapporteur public ?: M. Guyomar Mattias

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:313588.20090727
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