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22/10/2009 | FRANCE | N°289836

France | France, Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 22 octobre 2009, 289836


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 11 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Melha A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 novembre 2005 par lequel la cour régionale des pensions de Montpellier a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal départemental des pensions militaires de l'Hérault en date du 28 mars 2001 rejetant sa demande de revalorisation de la pension de réversion qui lui a été concédée par arrêté du 28 jui

n 1999 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°)...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 11 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Melha A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 8 novembre 2005 par lequel la cour régionale des pensions de Montpellier a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal départemental des pensions militaires de l'Hérault en date du 28 mars 2001 rejetant sa demande de revalorisation de la pension de réversion qui lui a été concédée par arrêté du 28 juin 1999 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole annexé à cette convention ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi de finances rectificative pour 1981 n° 81-734 du 3 août 1981 ;

Vu la loi n° 91-647 du juillet 1991;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Combes, chargé des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de Mme A,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélémy, Matuchansky, avocat de Mme A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Bellil, ressortissant algérien, a servi dans l'armée française durant la seconde guerre mondiale ; qu'il a perçu jusqu'à son décès, le 22 août 1994, une pension militaire d'invalidité au taux de 100 % ; que, par une lettre du 27 janvier 1996, Mme A a demandé la réversion de cette pension ; que, par jugement du 17 mars 1999, le tribunal départemental des pensions de l'Hérault, saisi par Mme A, a annulé la décision du 5 juin 1996 par laquelle le directeur départemental des anciens combattants de l'Hérault avait rejeté sa demande de réversion ; qu'une pension de réversion, cristallisée en application des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, lui a été concédée par arrêté du 28 juin 1999 ; que, par un jugement du 28 mars 2001, le tribunal départemental des pensions de l'Hérault a rejeté la demande de Mme A tendant à la revalorisation de sa pension de réversion ; que, par l'arrêt attaqué du 8 novembre 2005, la cour régionale des pensions de Montpellier a confirmé ce jugement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, si aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux juridictions des pensions de viser les textes dont elles font application, ces juridictions sont tenues, en vertu du principe général dont fait application l'article 10 du décret du 20 février 1959, de motiver leur décision en droit et en fait ;

Considérant que pour rejeter, par l'arrêt attaqué, la requête de Mme A tendant à l'annulation du jugement du 28 mars 2001 par lequel le tribunal départemental des pensions de l'Hérault a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa pension de réversion, la cour s'est bornée à relever que le tribunal départemental des pensions avait fait une juste application de la législation applicable en la matière ; qu'en statuant ainsi, sans indiquer ni dans les visas ni dans les motifs de sa décision, les dispositions du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sur lesquelles elle se fondait, la cour a insuffisamment motivé sa décision ; qu'ainsi, Mme A est fondée à en demander, pour ce motif, l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'une distinction entre les personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 portant loi de finances rectificative pour 1981 dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2000 portant loi de finances pour 2001 : Les pensions, rentes ou allocations viagères attribuées aux ressortissants de l'Algérie sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat et garanties en application de l'article 15 de la déclaration de principe du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie ne sont pas révisables à compter du 3 juillet 1962 et continuent à être payées sur la base des tarifs en vigueur à cette même date (...) ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de ces dispositions que les pensions perçues par les ressortissants algériens ne sont pas revalorisables dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que, dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités ou entre leurs ayants cause en fonction de leur seule nationalité ; que la différence de situation existant entre d'anciens combattants ou entre leurs ayants cause, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions qu'ils perçoivent, une différence de traitement ; que si les dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance de l'Algérie et de l'évolution désormais distincte de son économie et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation des pensions en fonction de l'évolution de l'économie française, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de ces prestations, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles ne pouvaient justifier l'attribution à Mme A d'une pension de réversion au taux cristallisé par application de ces dispositions ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal départemental des pensions a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa pension de réversion ; que son jugement doit, dès lors, être annulé ;

Considérant que le contentieux des pensions est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente et, sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de fixer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le montant de la pension servie à Mme A doit être fixé, à compter de la date d'attribution de celle-ci, au taux prévu pour les ayants cause des anciens combattants de nationalité française ; qu'il y a lieu, dès lors, de condamner l'Etat à verser à Mme A les arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à l'intéressée ;

Sur les conclusions de Mme A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que Mme A a obtenu l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Vier, Barthélémy et Matuchansky, avocat de Mme A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SCP Vier, Barthélémy et Matuchansky ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er: L'arrêt du 8 novembre 2005 de la cour régionale des pensions de Montpellier et le jugement du 28 mars 2001 du tribunal départemental des pensions de l'Hérault sont annulés.

Article 2 : L'arrêté du 28 juin 1999 est annulé en tant qu'il fait application à la pension de réversion octroyée à Mme A des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A les arrérages correspondant à la différence entre le montant de la pension de veuve prévue pour les ayants cause des anciens combattants de nationalité française et celui qui lui a été versé depuis l'attribution de sa pension, à compter de la date d'attribution de cette pension.

Article 4 : L'Etat versera à la SCP Vier, Barthélémy et Matuchansky, avocat de Mme A, une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Melha A et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 9ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 289836
Date de la décision : 22/10/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Publications
Proposition de citation : CE, 22 oct. 2009, n° 289836
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jouguelet
Rapporteur ?: M. Eric Combes
Rapporteur public ?: Mme Legras Claire
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:289836.20091022
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