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20/11/2009 | FRANCE | N°332369

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 novembre 2009, 332369


Vu la requête, enregistrée le 30 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Dieu Merci A, demeurant ..., par Mme Bibiane C, son épouse et par leur fils Yannick B ; ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 24 juin 2009 du

consul général de France à Kinshasa (République démocratique du Congo...

Vu la requête, enregistrée le 30 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Dieu Merci A, demeurant ..., par Mme Bibiane C, son épouse et par leur fils Yannick B ; ils demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 24 juin 2009 du consul général de France à Kinshasa (République démocratique du Congo), refusant la délivrance d'un visa de long séjour pour les enfants Yannick et Nouska, au titre du regroupement familial ;

2°) d'enjoindre au consul général de France à Kinshasa et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, à titre principal, de délivrer les visas sollicités et, à titre subsidiaire, de réexaminer les demandes, dans le délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, malgré l'autorisation de regroupement familial intervenue en 2007, les deux enfants sont toujours séparés du reste de la famille, dont Nouska de son jumeau et que les deux enfants vivent au Congo dans une situation précaire, leur tante qui les héberge ayant aussi à charge ses deux enfants et son époux paralysé et le propriétaire reprenant leur logement ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visas, qui s'est substituée à la décision consulaire, n'est pas motivée, alors même qu'il avait formé expressément une demande d'énonciation de ses motifs ; que la décision, alors que le regroupement familial a été autorisé par l'autorité préfectorale, est entaché d'une erreur de droit ; que la décision porte atteinte à son droit à une vie familiale normale, en méconnaissance des dispositions du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des stipulations du pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que des dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle n'est pas compatible avec les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie du recours présenté par M. A à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

Vu la copie de la requête en annulation de la même décision présentée par les requérants ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2009, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que les conclusions à fin d'enjoindre aux autorités consulaires de délivrer les visas sollicités sont irrecevables ; que la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors que le lien de filiation entre le requérant et les enfants n'est pas établi, les actes d'état civil produits étant apocryphes ; que la décision contestée n'est entachée ni d'un défaut de motivation ni d'une erreur de droit, dès lors que la décision explicite du 29 octobre 2009 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa, qui est motivée, constitue une nouvelle décision, qui s'est substituée à la précédente décision implicite de refus ; que la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que, d'une part, le lien de filiation entre le requérant et les enfants n'est pas établi et que les parents ne prouvent aucun lien affectif avec leurs enfants, et que, d'autre part, le requérant ne justifie pas d'une impossibilité de rendre visite à ses enfants ; que la décision contestée n'est pas incompatible avec les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors que le lien de filiation n'est pas établi et que les enfants ne sont pas isolés dans leur pays ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 4 novembre 2009, présenté par M. A, Mme C et Yannick B, qui reprennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens ; ils concluent aussi à la suspension de la décision explicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en date du 29 octobre 2009 et soutiennent en outre que cette décision explicite ne peut être regardée comme une nouvelle décision et lui est inopposable dès lors qu'elle ne lui a pas été notifiée ; qu'ils n'ont pas eu connaissance de la décision de retrait de l'autorisation de regroupement familial, qui ne leur a pas été notifiée et n'est pas motivée ; que les actes de naissance des enfants ne présentent pas de caractère apocryphe, les communes du lieu de naissance, en l'espèce celle de Bandalugwa, délivrant les actes d'état-civil d'après les registres en leur possession mais les jugements supplétifs et les copies intégrales qui y sont jointes relevant du tribunal et d'un centre d'état-civil unique pour l'agglomération de Kinshasa, situé dans la commune de Matete ; que le ministre ne peut soutenir que les enfants pourraient être pris charge par leurs aînés au Congo alors que ces deux enfants, comme le reste de la famille, résident désormais régulièrement en France, en application d'une décision de regroupement familial ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 décembre 1996 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 5 novembre 2009 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Haas, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du requérant ;

- le représentant de M. A

- les représentantes du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de prolonger l'instruction jusqu'au lundi 9 novembre 2009 à 12 heures ;

Vu le mémoire de production, enregistré le 6 novembre 2009, présenté par M. A, Mme C et Yannick B ; ils transmettent les jugements du tribunal de grande instance de Kinshasa-Matete en date du 29 décembre 2006 relatifs aux enfants Nouska et Yannick ; ils indiquent que, contrairement à ce qu'ils avaient soutenu, la question de la déclaration tardive de naissance ne se pose pas pour Nouska mais seulement pour son jumeau Jiresse, qui réside en France et n'a pas fait l'objet d'une procédure de regroupement familial, au contraire de Nouska, pour lequel l'administration, dans le cadre de la procédure de regroupement familial le concernant, a demandé un jugement supplétif et une copie d'acte alors que sa déclaration de naissance n'était pas tardive ;

Vu les nouvelles observations, enregistrées le 10 novembre 2009, présentées par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire ; il soutient en outre que la personne ayant demandé les jugements supplétifs d'actes de naissance propres à établir la filiation est un tiers, ami intime du requérant, dont l'intérêt à faire rendre ces jugements est incertain ; que les transcriptions de ces jugements ne mentionnent pas la date à laquelle les décisions ont été inscrites dans les registres d'état civil congolais ; que les termes mêmes du jugement, selon lequel les naissances n'ont jamais été déclarées à l'officier d'état-civil compétent confirment le caractère frauduleux des actes d'état-civil initialement produits ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 novembre 2009, présenté par M. A, Mme C et Yannick B, qui reprennent les conclusions de leur requête ; ils soutiennent en outre que l'administration ne peut se prévaloir des jugements supplétifs qu'elle a demandés pour démontrer le caractère irrégulier des actes de naissance initiaux ; que les jugements supplétifs, rendus par le juge congolais, ont de plein droit autorité de la chose jugée en France ; que les actes d'état-civil produits ont été certifiés authentiques et valides par l'ambassade de la République démocratique du Congo en France ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A, ressortissant de la République démocratique du Congo, a eu cinq enfants dans ce pays, dont Jiresse, né le 2 février 1992, entré régulièrement en France en 2002, son jumeau Nouska et Yannick, né le 17 avril 1990 ; que, le 8 juin 2007, le préfet de Seine-et-Marne a accueilli favorablement sa demande de regroupement familial en faveur de ces deux derniers enfants ; que, toutefois, par une lettre du 5 septembre 2008, la même autorité préfectorale a fait connaître au consul général de France à Kinshasa qu'elle retirait sa décision du 8 juin 2007 et donnait un avis défavorable au bénéfice du regroupement familial pour les deux enfants, au motif que le consulat général l'avait informé que les actes d'état-civil fournis par M. A étaient apocryphes ; qu'après qu'une décision implicite de refus était née, le 4 février 2008, du silence gardé par les autorités consulaires, qui avaient été saisies le 3 décembre 2007 d'une demande de visa pour ces deux enfants, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie le 17 juillet 2009 d'un recours contre cette décision, a rejeté, implicitement, le 18 septembre 2009, puis explicitement, le 29 octobre 2009, le recours formé pour les deux enfants, en relevant que les documents d'état-civil établis à la suite de deux jugements supplétifs du 26 décembre 2006 du tribunal de grande instance de Kinshasa-Matete faisaient ressortir que la naissance de Nouska avait été déclarée à une date et dans une commune différentes de celles de Jiresse, son jumeau, situation dont il était déduit que les documents produits étaient des faux et que, dès lors, la filiation n'était pas établie ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction écrite et des éléments recueillis au cours de l'audience publique qu'ont d'abord été produits, à l'appui de la demande de regroupement familial pour les enfants Yannick et Nouska, deux actes de naissance établis par les services de l'état-civil de la commune de Bandalungwa, qui fait partie de l'agglomération de Kinshasa, respectivement le 30 avril 1990 pour Yannick, né le 17 avril 1990 et le 8 février 1992 pour Nouska, né le 2 février 1992 ; que ces documents ayant été contestés par l'administration, notamment pour la tardiveté supposée de leur établissement au regard des dispositions de la loi congolaise, les requérants ont produit deux jugements supplétifs en date du 29 décembre 2007 du tribunal de grande instance de Kinshasa-Matete et des copies intégrales d'acte de naissance établis sur le fondement de ces jugements ; qu'il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document aurait un caractère frauduleux ; que si le ministre soutient que les copies d'acte de naissance produites ne sont pas authentiques au motif que ces documents ont été établis par le service de l'état-civil de la commune de Matete et non, comme les actes de naissance contestés, par celui de la commune de Bandalungwa, il résulte de l'instruction que la commune de Matete, qui fait également partie de l'agglomération de Kinshasa, est celle du siège du tribunal de grande instance qui rend les jugements supplétifs d'état-civil, d'où il semble résulter que les actes d'état-civil établis en exécution de ces jugements sont établis dans cette commune pour toute l'agglomération ; que c'est vraisemblablement pour une raison analogue que le service de l'état-civil de la commune de Matete, et non celui de la commune de Bandalungwa, a établi l'acte de naissance, qui n'a pas été contesté alors par l'administration, fourni pour le jeune Jiresse, jumeau de Nouska, qui réside régulièrement en France, acte établi le 11 octobre 2005 pour cet enfant né le 2 février 1992 ; que si le ministre soutient également que les copies d'acte de naissance établies à la suite des jugements supplétifs du 29 décembre 2007 présentent des anachronismes, la présentation de ces documents, qui mêle la reproduction de l'acte de naissance et les mentions de la date du jugement supplétif et de celle de l'établissement de la copie, n'est pas de nature, par elle-même, à établir que ces documents auraient un caractère frauduleux ; que la circonstance que les documents produits mentionnent par erreur, comme date des jugements supplétifs, le 26 décembre 2007 et non le 29 décembre et celle que les références de classement mentionnées sur ces documents soient aussi celles des actes de naissance, ne sont pas davantage de nature à établir ce caractère ;

Considérant que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a inexactement apprécié les faits de l'espèce en estimant que l'identité et le lien de filiation des enfants Yannick et Nouska n'étaient pas établis paraît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

Considérant que les enfants Yannick et Nouska vivent séparés de leurs parents et de leurs frères et soeurs et qu'il peut être regardé comme établi que M. A a maintenu des liens affectifs avec eux et apporte une contribution à leur entretien ; qu'ainsi, la condition d'urgence doit être regardée comme satisfaite ; qu'il y a lieu, par suite, de suspendre l'exécution des décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et d'ordonner au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de procéder à un nouvel examen de la demande de visa des deux enfants dans un délai de trente jours à compter de la notification de la présente ordonnance ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros au titre des frais exposés par M. A, Mme C et Yannick B et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution des décisions implicite et explicite de la commission de recours contre les refus de visa confirmant la décision du consul général de France à Kinshasa refusant la délivrance d'un visa de long séjour aux enfants Yannik et Nouska est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de visa de long séjour des enfants Yannick et Nouska dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à M. A, Mme C et Yannick B une somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de M. A, Mme C et Yannick B est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Dieu Merci M. A, à Mme C, à Yannick B et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 332369
Date de la décision : 20/11/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 nov. 2009, n° 332369
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Christnacht
Rapporteur ?: M. Alain Christnacht
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:332369.20091120
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