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02/12/2009 | FRANCE | N°302020

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 02 décembre 2009, 302020


Vu la requête, enregistrée le 26 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE BFM TV, ayant son siège social 12, rue d'Ouradour-sur-Glane à Paris (75015), agissant par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège ; la société BFM TV demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 24 octobre 2006 du Conseil supérieur de l'audiovisuel la mettant en demeure, en ce qui concerne le service éponyme, de se conformer, à l'avenir, aux termes de l'article 2-2-3 de la convention du 19 juillet 2005 conclue

entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la SOCIETE BFM TV, ensembl...

Vu la requête, enregistrée le 26 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE BFM TV, ayant son siège social 12, rue d'Ouradour-sur-Glane à Paris (75015), agissant par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège ; la société BFM TV demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 24 octobre 2006 du Conseil supérieur de l'audiovisuel la mettant en demeure, en ce qui concerne le service éponyme, de se conformer, à l'avenir, aux termes de l'article 2-2-3 de la convention du 19 juillet 2005 conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la SOCIETE BFM TV, ensemble la décision implicite par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté son recours gracieux dirigé contre ladite décision ;

2°) de mettre à la charge du Conseil supérieur de l'audiovisuel la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean de L'Hermite, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE BFM TV,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIETE BFM TV ;

Considérant que, alors que les sociétés La Chaîne parlementaire-Assemblée Nationale et La Chaîne parlementaire-Sénat , dites sociétés LCP, diffusaient sur leur antenne, le 17 octobre 2006, la première de trois émissions consacrées aux débats entre les candidats à l'investiture du Parti socialiste pour l'élection présidentielle de 2007, la chaîne BFM-TV a repris en simultané sur son canal la retransmission de ce programme ; que, par une décision du 24 octobre 2006, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après avoir relevé que la SOCIETE BFM-TV, en ne se conformant pas aux règles en vigueur en matière de propriété intellectuelle et de droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle, n'avait pas respecté la législation en matière de propriété intellectuelle, l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir aux termes de l'article 2-2-3 de sa convention ; que la SOCIETE BFM-TV demande l'annulation de cette décision ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des stipulations de l'article 4-2-1 de la convention conclue le 19 juillet 2005 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la SOCIETE BFM-TV : Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure l'éditeur de respecter les stipulations figurant dans la convention et dans les avenants qui pourraient lui être annexés. Il rend publique cette mise en demeure et qu'aux termes de l'article 2-2-3 de la même convention : L'éditeur respecte la législation française en matière de propriété intellectuelle ; que l'autorité de régulation tenait de ces dispositions contractuelles compétence pour adresser une mise en demeure à la société BFM-TV en cas de méconnaissance par celle-ci de la législation relative à la propriété intellectuelle ; que la requérante soutient toutefois que ces dispositions auraient été entachées d'illégalité au motif qu'il n'entrerait pas dans la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel d'assurer le contrôle du respect des dispositions du code de la propriété intellectuelle par les éditeurs de services audiovisuels, laquelle relève exclusivement du juge judiciaire ;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure les éditeurs et distributeurs de services de radiodiffusion sonore ou de télévision de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis à l'article 1er de la présente loi ; que parmi les principes définis à l'article 1er figure le respect de la propriété d'autrui , laquelle comprend la propriété intellectuelle et les droits voisins qui s'y attachent ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il entre dans les missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel de veiller au respect de la législation relative à la protection de la propriété intellectuelle par les services audiovisuels placés sous son contrôle et, en cas de méconnaissance par ceux-ci de leurs obligations, d'exercer le pouvoir de sanction que lui confèrent les dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ; qu'il appartenait à l'autorité de régulation de procéder elle-même à l'appréciation d'une telle méconnaissance par la SOCIETE BFM TV, sans attendre que le juge judiciaire ait, le cas échéant, tranché le litige opposant les sociétés LCP à cette société ; que la SOCIETE BFM-TV n'est par suite pas fondée à soutenir que l'autorité de régulation ne pouvait légalement, pour le motif qu'elle a retenu, prononcer de mise en demeure à son encontre ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle : Sont soumises à l'autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d'un droit d'entrée. Sont dénommés entreprises de communication audiovisuelle les organismes qui exploitent un service de communication audiovisuelle au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication quel que soit le régime applicable à ce service. ; que l'article L. 211-3 du même code dispose que : Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire : (...) 3° Sous réserve d'éléments d'identification de la source : (...) - la diffusion, même intégrale, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ; qu'aux termes de l'article 45-2 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée : La Chaîne de télévision parlementaire et civique créée par l'Assemblée nationale et le Sénat (...) comporte à parité de temps d'antenne les émissions des sociétés de programme, l'une pour l'Assemblée nationale, l'autre pour le Sénat (...) Les sociétés de programme ainsi que les émissions qu'elles programment ne relèvent pas de l'autorité du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; que si, ainsi qu'il est dit à l'article 45-2 de la loi du 30 septembre 1986, les sociétés LCP ne sont pas soumises à l'autorité du Conseil supérieur de l'audiovisuel, elles n'en constituent pas moins des services de communication au sens de la même loi et par suite, quel que soit le régime de contrôle qui leur est applicable, des entreprises de communication audiovisuelle, au sens de l'article L. 216 du code de la propriété intellectuelle, dont les droits sont protégés par cette disposition législative ;

Considérant que la société requérante soutient que le débat retransmis le 17 octobre 2006 devait être analysé comme une réunion publique d'ordre politique, au sens du 3° de l'article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle, si bien que les sociétés LCP ne pouvaient, sous réserve d'éléments d'identification de la source, en interdire la diffusion simultanée sur l'antenne de BFM-TV ; qu'il résulte cependant de l'instruction que, dans le cadre du processus de désignation par ses militants de son candidat à l'élection présidentielle, le Parti socialiste a organisé six débats entre trois candidats à l'investiture, dont la moitié devait se tenir à huis clos, tandis que les trois autres feraient l'objet d'une diffusion télévisée ; qu'à cette fin, la Chaîne parlementaire, selon les principes arrêtés par ce parti, a assuré l'investissement matériel et financier permettant la production et la réalisation de programmes animés en studio par des journalistes des sociétés LCP ; qu'ainsi, eu égard au caractère spécifique de ces programmes de plateau, et notamment du dispositif de réalisation télévisuelle mis en oeuvre par cet éditeur de services, ceux-ci ne peuvent être regardés, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, comme constitutifs de discours destinés au public dans une réunion publique d'ordre politique au sens du 3° de l'article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'il en résulte clairement, l'exception prévue par ces dispositions ne trouvant pas à s'appliquer, que les sociétés LCP détenaient un droit de propriété intellectuelle sur ces programmes, dont la reproduction était, en vertu de l'article L. 216-1 de ce même code, soumise à leur autorisation et que faute de l'avoir recueillie, la SOCIETE BFM-TV n'a pas respecté les dispositions législatives relative à la protection de la propriété intellectuelle, comme l'a d'ailleurs relevé l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris en date du 23 octobre 2006 ; qu'il s'ensuit que le motif sur lequel est fondé la mise en demeure attaquée n'est pas entaché d'erreur de droit ;

Considérant, enfin, que la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit à toute personne le droit à la liberté d'expression et celui de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE BFM TV n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 24 octobre 2006 ; que doivent être rejetées par voie de conséquence ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la SOCIETE BFM TV est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE BFM TV, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, au ministre de la culture et de la communication et au Premier ministre.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

56-01 RADIODIFFUSION SONORE ET TÉLÉVISION. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL. - 1) COMPÉTENCE POUR ASSURER LE RESPECT DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE PAR LES ÉDITEURS DE SERVICES AUDIOVISUELS - EXISTENCE - 2) ESPÈCE - APPLICATION DE CETTE LÉGISLATION - INTERPRÉTATION PAR LE CONSEIL D'ETAT, SOUS RÉSERVE DE DIFFICULTÉ SÉRIEUSE NÉCESSITANT UNE QUESTION PRÉJUDICIELLE (SOL. IMPL.).

56-01 1) Il entre dans les missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel de veiller au respect de la législation relative à la protection de la propriété intellectuelle par les services audiovisuels placés sous son contrôle et, en cas de méconnaissance par ceux-ci de leurs obligations, d'exercer le pouvoir de sanction que lui confèrent les dispositions de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. 2) Application de cette législation au cas d'espèce : eu égard au caractère spécifique des programmes concernés, ceux-ci ne peuvent être regardés, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, comme constitutifs de discours destinés au public dans une réunion publique d'ordre politique au sens du 3° de l'article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle. Il en résulte clairement, l'exception prévue par ces dispositions ne trouvant pas à s'appliquer, que les sociétés en cause détenaient un droit de propriété intellectuelle sur ces programmes, dont la reproduction était, en vertu de l'article L. 216-1 de ce même code, soumise à leur autorisation et que faute de l'avoir recueillie, la société requérante n'a pas respecté les dispositions législatives relatives à la protection de la propriété intellectuelle, comme l'a d'ailleurs relevé une ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 02 déc. 2009, n° 302020
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Jean de L'Hermite
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Date de la décision : 02/12/2009
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 302020
Numéro NOR : CETATEXT000021385685 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-12-02;302020 ?
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