La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/12/2009 | FRANCE | N°309004

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 04 décembre 2009, 309004


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés le 13 août 2007 et le 7 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Charles A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 13 décembre 2004 autorisant sa fille D C à changer son nom de C en B ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la

convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés le 13 août 2007 et le 7 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Charles A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 13 décembre 2004 autorisant sa fille D C à changer son nom de C en B ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Gaschignard, avocat de M. Jean-Charles A et de Me Rouvière, avocat de Mme Ghislaine B,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

- la parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Gaschignard, avocat de M. Jean-Charles A et à Me Rouvière, avocat de Mme Ghislaine B ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61 du code civil : Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom ; qu'aux termes de l'article 61 1 du même code : Tout intéressé peut faire opposition devant le Conseil d'Etat au décret portant changement de nom dans un délai de deux mois à compter de sa publication au Journal officiel (...) ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a été condamné, le 17 octobre 2000, par la cour d'assises du Var à quinze ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur mineures de quinze ans, dont sa fille D, âgée de trois ans et demi à l'époque des faits ; que, par arrêt du 27 octobre 2000, cette même cour lui a retiré totalement l'autorité parentale sur sa fille D ; que l'intéressé s'étant pourvu en cassation contre la seule partie pénale de l'arrêt du 17 octobre 2000 de la cour d'assises du Var, son pourvoi a été transformé en appel par déclaration du 2 janvier 2001 en raison de l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes ; que le 12 septembre 2001, la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, statuant sur cet appel, a déclaré M. A coupable de viols et d'agressions sexuelles, notamment sur sa fille D, et confirmé la condamnation de l'intéressé à quinze ans de réclusion criminelle ; qu'une demande de changement de nom a été présentée pour la jeune D par sa mère, Mme B, et régulièrement publiée au Journal officiel de la République française le 31 juillet 2002 ; que M. A fait opposition au décret du 13 décembre 2004, publié au Journal officiel du 16 décembre 2004, pris en application de l'article 61 du code civil, qui autorise sa fille D à changer son patronyme de A en B ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que le moyen tiré de ce que la demande de changement de nom n'aurait pas fait l'objet d'une publication dans les conditions prévues par l'article 3 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom manque en fait ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. A ne saurait utilement se prévaloir des dispositions introduites à l'article 2 du même décret par l'article 84 du décret du 28 décembre 2005, soit postérieurement au décret attaqué ;

Considérant, en troisième lieu, que M. A n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 aux termes desquelles : Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales , dès lors que la décision attaquée, qui a été prise sur demande de Mme B et pour le compte de sa fille D, relève de l'exception prévue par ces dispositions ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'eu égard à l'objet de la procédure de changement de nom, qui touche à l'état des personnes, aux intérêts en cause pour les parents et à la nature particulière du régime des changements de nom, qui implique l'intervention et le contrôle de l'autorité publique, l'exercice exclusif de l'autorité parentale ne peut à lui seul, alors que l'autre parent ne s'est pas vu retirer cette autorité, permettre à son titulaire de solliciter le changement de nom des enfants mineurs du couple, sans recueillir l'accord de l'autre parent ; qu'il en va en revanche différemment lorsque cet autre parent s'est vu retirer l'autorité parentale par une décision juridictionnelle ayant acquis un caractère définitif ; que dans ce cas, en l'absence de disposition législative ou réglementaire imposant la notification de la demande de changement de nom au parent qui avait donné son nom à l'enfant, ni son accord ni ses observations n'ont à être sollicités ; qu'il résulte de l'arrêt rendu le 12 septembre 2001 par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, dont se prévaut M. A, que la privation totale de l'autorité parentale décidée par l'arrêt du 27 octobre 2000 de la cour d'assises du Var a un caractère définitif ; que, par arrêt du 14 mai 2004, la chambre spéciale des mineurs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté la demande en restitution de l'autorité parentale présentée par M. A ; que, dans ces conditions, ni l'accord ni les observations de M. A n'avaient à être sollicités préalablement à l'adoption du décret attaqué ; que la circonstance que M. A n'a pas reçu notification de la demande faite au nom d'D, alors même que du fait de son incarcération il n'aurait pas eu accès au Journal officiel de la République française du 31 juillet 2002 en portant publication, n'a pas non plus vicié la régularité de la procédure ;

Considérant, en cinquième lieu, que la décision autorisant le changement de nom d'un enfant mineur n'a pas le caractère d'une sanction à l'encontre du parent qui avait donné à l'enfant le nom dont il est autorisé à changer, mais constitue une mesure prise dans l'intérêt de l'enfant, au demeurant sans incidence sur le lien de filiation ; que M. A ne peut ainsi utilement se prévaloir de la violation du principe général des droits de la défense ;

Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction qu'eu égard à la gravité des agissements pour lesquels M. A a été condamné et aux conséquences qui en résultent pour l'enfant, M. A n'est fondé à soutenir ni que sa fille n'aurait pas d'intérêt légitime à changer de nom ni que l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant aurait été méconnu ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est fondé à demander ni l'annulation du décret attaqué, ni le versement d'une somme en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Charles A, à Mme Ghislaine B et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 309004
Date de la décision : 04/12/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-01-03 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS. ÉTAT DES PERSONNES. CHANGEMENT DE NOM PATRONYMIQUE. - 1) NOTIFICATION DE LA DEMANDE DE CHANGEMENT DE NOM, PRÉSENTÉE PAR UN ENFANT MINEUR, À UN PARENT DÉCHU DE L'AUTORITÉ PARENTALE - OBLIGATION - ABSENCE [RJ1] - 2) INTÉRÊT LÉGITIME D'UNE FILLE DONT LE PÈRE A ÉTÉ CONDAMNÉ POUR VIOL SUR CELLE-CI À DEMANDER UN CHANGEMENT DE NOM - EXISTENCE.

26-01-03 1) Une demande de changement de nom, sollicitée pour un enfant mineur en application de l'article 61 du code civil, n'a pas à être notifiée à un parent qui a été totalement déchu de l'autorité parentale par une décision judiciaire définitive. 2) Un père condamné pour viol sur sa fille n'est pas fondé à soutenir que celle-ci n'aurait pas d'intérêt légitime à changer de nom en abandonnant celui de son père pour prendre celui de sa mère.


Références :

[RJ1]

Cf. sol. contr., dans le cas où l'autre parent n'a pas été déchu de l'autorité parentale, 27 juillet 2005, Guibert, n° 265340, p. 345.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2009, n° 309004
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: Mme Bourgeois-Machureau Béatrice
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD ; ROUVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:309004.20091204
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award