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04/12/2009 | FRANCE | N°310601

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 04 décembre 2009, 310601


Vu l'ordonnance du 5 novembre 2007, enregistrée le 12 novembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour pour M. Bertrand A ;

Vu le pourvoi, enregistré le 10 juillet 2007 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et les mémoires complémentaires, enregistrés les 18 décembre 2007 et 15 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,

présentés pour M. Bertrand A, demeurant ... ; M. A demande au Cons...

Vu l'ordonnance du 5 novembre 2007, enregistrée le 12 novembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi présenté à cette cour pour M. Bertrand A ;

Vu le pourvoi, enregistré le 10 juillet 2007 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux et les mémoires complémentaires, enregistrés les 18 décembre 2007 et 15 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bertrand A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 31 mai 2007 du tribunal administratif de Fort-de-France condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant pour lui de la décision du préfet de la Martinique refusant de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 13 juillet 2000 ordonnant l'expulsion d'occupants sans titre de terrains dont il est propriétaire à Ducos ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 105 000 euros correspondant à 15 000 euros par année d'occupation ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Emmanuel Vernier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de M. A ;

Considérant que, par un jugement du 31 mai 2007, le tribunal administratif de Fort-de-France a condamné l'Etat à verser à M. A une indemnité de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant pour lui, pendant la période du 7 décembre 2000 au 31 mai 2007, de la décision du préfet de la Martinique refusant de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 13 juillet 2000 ordonnant l'expulsion d'occupants sans titre de terrains dont il est propriétaire à Ducos ; que ce jugement fait l'objet d'un pourvoi de M. A et d'un pourvoi incident du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois ;

Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution : L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ; que l'article 50 du décret du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution dispose dans son troisième alinéa que le défaut de réponse de l'autorité compétente à une demande de concours de la force publique transmise par l'huissier dans un délai de deux mois équivaut à un refus ; que la responsabilité de l'Etat peut toutefois être engagée à raison de son inaction, préalablement à l'expiration de ce délai, lorsque les circonstances sont de nature à entraîner pour le propriétaire une privation de son bien dont les effets sont particulièrement graves, et exigent, par suite, une décision rapide sur les suites à donner à la demande ;

Considérant que M. A n'a donné devant les juges du fond aucune indication sur l'utilisation qu'il entendait faire du terrain occupé par Mme B et sa famille ; qu'aucune des pièces du dossier qui leur était soumis ne faisait apparaître l'existence, en l'espèce, de circonstances qui auraient été de nature à faire regarder comme particulièrement graves pour M. A les effets de la privation de son bien et qui auraient exigé, par suite, une décision rapide sur les suites à donner à sa demande de concours de la force publique ; qu'il en résulte que, en jugeant que la demande du 7 décembre 2000 par laquelle M. A a requis le concours de la force publique pour l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 13 juillet 2000 ordonnant l'expulsion d'occupants sans titre de terrains dont il est propriétaire à Ducos, engageait la responsabilité de l'Etat à raison de son inaction avant l'expiration d'une période de deux mois, le tribunal administratif a entaché d'erreur de qualification juridique son jugement du 31 mai 2007 ; que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales est dès lors fondé à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sur les conclusions de la demande de M. A en tant qu'elle concerne d'autres terrains que celui occupé par Mme B et sa famille :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales à ces conclusions ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Jean-Marie C, MM. Michel et Joël D et M. Marc E, occupants sans titre de terrains appartenant à M. A, après avoir été expulsés de ces terrains en exécution d'un jugement du tribunal de grande instance de Fort-de-France du 26 novembre 1996 et avec le concours de la force publique qui avait été accordé au propriétaire par une décision du préfet de la Martinique du 29 avril 1998, se sont réinstallés ; qu'il est constant que M. A n'a pas ensuite demandé à nouveau au préfet le concours de la force publique pour l'exécution du jugement d'expulsion ; qu'ainsi, en l'absence de décision du préfet refusant le concours de la force publique en vue d'une nouvelle expulsion, M. A n'est pas fondé à demander la condamnation de l'Etat au versement d'une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui de cette réinstallation ;

Sur les conclusions de la demande de M. A en tant qu'elle concerne le terrain occupé par Mme B et sa famille :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêt du 13 juillet 2000, la cour d'appel de Fort-de-France a ordonné l'expulsion de Mme B et de tous occupants de son chef de la parcelle C 35 à Ducos, appartenant à M. A, et que le préfet de la Martinique a opposé une décision implicite de rejet à la demande de concours de la force publique présentée le 7 décembre 2000 par l'huissier de justice chargé de l'exécution de cet arrêt ; que M. A demande réparation du préjudice résultant pour lui de cette décision ;

En ce qui concerne le principe de la responsabilité de l'Etat :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'huissier de justice a joint à la réquisition de concours de la force publique du 7 décembre 2000 une copie du commandement qu'il avait signifié à Mme B d'avoir à quitter les lieux ainsi qu'une copie du procès-verbal relatant l'échec de la tentative d'expulsion à laquelle il avait ensuite procédé ; que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'huissier de justice n'aurait pas signifié à l'intéressée le commandement prévu par l'article 61 de la loi du 9 juillet 1991 ni qu'il aurait omis, en méconnaissance des articles 197 et 50 du décret du 31 juillet 1992, d'envoyer au préfet une copie de ce commandement ainsi qu'un exposé des diligences auxquelles il avait procédé et des difficultés d'exécution ;

Considérant que, dans ces conditions, le refus du préfet de la Martinique d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution de l'arrêt du 13 juillet 2000 est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'aucune pièce du dossier ne fait apparaître l'existence, en l'espèce, de circonstances qui auraient été de nature à faire regarder comme particulièrement graves pour M. A les effets de la privation de son bien et qui auraient exigé, par suite, une décision rapide sur les suites à donner à sa demande de concours de la force publique ; qu'il en résulte que l'absence de concours de la force publique pour la période antérieure à la date du 7 février 2001 à laquelle le préfet a implicitement refusé d'accorder ce concours n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant qu'il est constant que Mme B et sa famille n'occupent pas la totalité des 30 700 m2 de la parcelle C 35 sur laquelle ils sont installés et pratiquent une agriculture vivrière ; que la surface réellement occupée par eux doit être évaluée, comme le soutenait M. A dans sa demande présentée au tribunal administratif, à 10 000 m2 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette occupation aurait pour effet d'empêcher le propriétaire de disposer des 20 700 m2 que couvre le reste de la parcelle ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de plusieurs rapports d'officiers de police judiciaire que la parcelle C 35 n'est ni accessible par des véhicules, ni desservie par un réseau de distribution d'eau ; que, alors que les services fiscaux en ont évalué la valeur locative mensuelle, par référence notamment à divers baux ruraux, à environ 100 euros pour 10 000 m2, M. A n'a fait valoir aucune autre méthode d'évaluation ; que, par ailleurs, il n'établit pas l'existence d'autres préjudices que celui qui résulte d'une perte de loyers ; qu'il convient, dans ces conditions, de retenir l'évaluation des services fiscaux ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste évaluation du préjudice résultant pour M. A de la décision du préfet de la Martinique du 7 février 2001 refusant de lui accorder le concours de la force publique pour l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France du 13 juillet 2000 en le fixant à 100 euros par mois pour la période comprise entre le 7 février 2001 et la date de lecture de la présente décision ; que l'Etat doit dès lors être condamné au versement de cette indemnité ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 31 mai 2007 du tribunal administratif de Fort-de-France est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à M. A une indemnité de 100 euros par mois pour la période comprise entre le 7 février 2001 et la date de lecture de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bertrand A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 310601
Date de la décision : 04/12/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2009, n° 310601
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Emmanuel Vernier
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:310601.20091204
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