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21/12/2009 | FRANCE | N°304885

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 21 décembre 2009, 304885


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril 2007 et 2 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mohand Tahar A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 janvier 2007 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a annulé le jugement du 27 juin 2005 par lequel le tribunal départemental des pensions de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 2002 du ministre de la défense refusant de revaloriser sa pension militaire d'invali

dité ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision du mini...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 avril 2007 et 2 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mohand Tahar A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 12 janvier 2007 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a annulé le jugement du 27 juin 2005 par lequel le tribunal départemental des pensions de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 2002 du ministre de la défense refusant de revaloriser sa pension militaire d'invalidité ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision du ministre de la défense du 20 novembre 2002 et de lui reconnaître le droit à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité à concurrence des montants dont il aurait bénéficié s'il avait conservé la nationalité française et à la perception des arrérages revalorisés échus depuis le 27 octobre 1967, après déduction des arrérages effectivement versés ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi n° 81-734 du 3 août 1981;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu le décret n° 59-327 du 20 février 1959 relatif à la juridiction des pensions ;

Vu le décret n° 2003-1044 du 3 novembre 2003 et l'arrêté du 3 novembre 2003 pris pour son application ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Logak, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, de nationalité algérienne, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité concédée à la suite d'une blessure contractée pendant la guerre d'Algérie au cours de son service militaire dans l'armée française, au montant fixé en application des dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 ; que, par lettre du 15 octobre 2002, il a sollicité une révision de cette pension, qui lui a été refusée par une décision du ministre de la défense du 20 novembre 2002 ; qu'il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 janvier 2007 par lequel la cour régionale des pensions de Paris a annulé le jugement du 27 juin 2005 par lequel le tribunal départemental des pensions de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 2002 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 portant loi de finances rectificative pour 1981, dans sa rédaction issue de la loi de finances du 30 décembre 2000 : Les pensions, rentes ou allocations viagères attribuées aux ressortissants de l'Algérie sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat et garanties en application de l'article 15 de la déclaration de principe du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie ne sont pas révisables à compter du 3 juillet 1962 et continuent à être payées sur la base des tarifs en vigueur à cette même date./ Elles pourront faire l'objet de revalorisations dans des conditions et suivant des taux fixés par décret./ Les dispositions prévues aux alinéas ci-dessus sont applicables aux prestations de même nature, également imputées sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat, qui ont été attribuées aux ressortissants de l'Algérie après le 3 juillet 1962 en vertu des dispositions du droit commun ou au titre de dispositions législatives ou réglementaires particulières et notamment en application du décret n° 62-319 du 20 mars 1962. (...); qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 : I. - Les prestations servies en application des articles (...) 26 de la loi de finances pour 1981 (n° 81-734 du 3 août 1981) (...) sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. / II. - Lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France. Les parités de pouvoir d'achat du pays de résidence sont réputées être au plus égales à celles de la France. (...) / III. - Le coefficient dont la valeur du point de pension est affectée reste constant jusqu'au 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu la liquidation des droits effectuée en application de la présente loi. Ce coefficient, correspondant au pays de résidence du titulaire lors de la liquidation initiale des droits, est ensuite réévalué annuellement. / (...) / IV. - Sous les réserves mentionnées au deuxième alinéa du présent IV (...), les dispositions des II et III sont applicables à compter du 1er janvier 1999. / Ce dispositif spécifique s'applique sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée et des contentieux contestant le caractère discriminatoire des textes visés au I, présentés devant les tribunaux avant le 1er novembre 2002 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la même convention : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi et qui décidera (...) des contestations sur des droits et obligations de caractère civil (...) ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) ;

Considérant que si les dispositions rétroactives du IV de l'article 68 de la loi précitée du 30 décembre 2002, qui ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles en cours, méconnaissent les stipulations du §1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il découle toutefois de l'objet même de ces stipulations que l'incompatibilité entre les dispositions précitées de l'article 26 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 et les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être utilement invoquée que par les requérants qui ont engagé une action contentieuse avant le 5 novembre 2003, date d'entrée en vigueur du décret d'application de la loi du 30 décembre 2002 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a engagé l'action contentieuse tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité avant le 5 novembre 2003 ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que la cour régionale des pensions de Paris a commis une erreur de droit en écartant comme irrecevable le moyen tiré de l'incompatibilité entre les dispositions de l'article 26 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 et les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 12 janvier 2007 de la cour régionale des pensions militaires de Paris ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la compétence du tribunal départemental des pensions de Paris :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 79 du code des pensions militaires et des victimes de la guerre dans leur rédaction issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, Toutes les contestations auxquelles donne lieu l'application du livre Ier (à l'exception des chapitres Ier et IV du titre VII) et du livre II du présent code sont jugées en premier ressort par le tribunal départemental des pensions du domicile de l'intéressé et en appel par la Cour régionale des pensions ; que la contestation portée devant le tribunal départemental des pensions de Paris est relative au montant de la pension militaire d'invalidité versée à M. A par l'Etat français ; que, dès lors, c'est à tort que le tribunal départemental des pensions de Paris ne s'est pas estimé compétent pour connaître de la demande de M. A ; que par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête , le jugement en date du 19 janvier 2005 doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le tribunal départemental des pensions militaires de Paris ;

Sur les fins de non- recevoir opposées par le ministre de la défense :

Considérant que le ministre de la défense soutient d'une part que la décision du 20 novembre 2002 par laquelle il a rejeté la demande de M. A en date du 15 octobre 2002 visant à la revalorisation de sa pension constitue une simple lettre et ne peut être regardée, en application de l'article 5 du décret susvisé du 20 février 1959 relatif à la juridiction des pensions, comme une décision susceptible d'être contestée ; qu'elle serait d'autre part une décision confirmative d'une décision en date du 11 décembre 1996 rejetant une précédente demande de revalorisation en date du 28 décembre 1992 ;

Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que les dispositions de l'article 5 du décret du 20 février 1959, qui se bornent à fixer des règles de délai applicables devant les juridictions des pensions, sont sans incidence sur le caractère décisoire de la mesure litigieuse du 20 novembre 2002 ; que cette mesure, par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de M. A du 15 octobre 2002 visant à la revalorisation de sa pension à raison de l'aggravation de son état de santé, ne peut être regardée comme une décision confirmative de la décision du 11 décembre 1996 ; que, par suite, les fins de non- recevoir opposées par le ministre de la défense doivent être écartées ;

Sur la légalité de la décision du 20 novembre 2002 :

Considérant qu'une distinction entre les personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 précité, que les pensions perçues par les ressortissants algériens ne sont pas revalorisables dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ; que, dès lors, et quelle qu'ait pu être l'intention initiale du législateur manifestée dans les travaux préparatoires de ces dispositions, cet article crée une différence de traitement entre les retraités en fonction de leur seule nationalité ; que la différence de situation existant entre d'anciens combattants, selon qu'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet de la pension militaire d'invalidité, une différence de traitement ; que si les dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance de l'Algérie et de l'évolution désormais distincte de son économie et de celle de la France, qui privait de justification la revalorisation des retraites du combattant en fonction de l'évolution de l'économie française, la différence de traitement qu'elles créent, en raison de leur seule nationalité, entre les titulaires de la pension militaire d'invalidité, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif ; que, ces dispositions étant, de ce fait, incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles ne pouvaient justifier le refus opposé par le ministre de la défense à la demande présentée par M. A en vue de la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision du 20 novembre 2002 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité ;

Considérant que le contentieux des pensions est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient dès lors au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de déterminer ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A peut prétendre à la revalorisation de sa pension militaire d'invalidité conformément aux dispositions applicables aux pensionnés militaires d'invalidité de nationalité française ; qu'il y a lieu, dès lors, de condamner l'Etat à verser à M. A les arrérages correspondant à la différence entre le montant ainsi fixé et celui qui a déjà été versé à l'intéressé ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 12 janvier 2007 de la cour régionale des pensions de Paris, le jugement en date du 19 janvier 2005 du tribunal départemental des pensions de Paris, ainsi que la décision du 20 novembre 2002 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande de M. A sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. A les arrérages correspondant à la différence entre le montant de la pension militaire d'invalidité revalorisé selon les modalités précisées dans les motifs de la présente décision et celui qui a déjà été versé à l'intéressé.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Mohand Tahar A et au ministre de la défense.

Une copie en sera adressée pour information au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 déc. 2009, n° 304885
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Ménéménis
Rapporteur ?: M. Philippe Logak
Rapporteur public ?: M. Glaser Emmanuel
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL

Origine de la décision
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Date de la décision : 21/12/2009
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 304885
Numéro NOR : CETATEXT000021530727 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2009-12-21;304885 ?
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