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30/12/2009 | FRANCE | N°297670

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 30 décembre 2009, 297670


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 22 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bruno A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt du 9 août 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 26 juin 2003 rejetant sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser à ti

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre et 22 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Bruno A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt du 9 août 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 26 juin 2003 rejetant sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser à titre de dommages et intérêts une indemnité équivalente au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir du 1er avril au 31 décembre 1998 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté ;

Vu la loi n° 47-1465 du 8 août 1947 ;

Vu la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 ;

Vu le décret n° 69-697 du 18 juin 1969 ;

Vu le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de M. Bruno A,

- les conclusions de M. Julien Boucher, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis, avocat de M. Bruno A.

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a été recruté pour une durée de trois ans par l'Etat, par un contrat du 26 mars 1991 prenant effet au 1er janvier 1991, afin d'exercer des fonctions de chef de poste à l'agence financière près l'ambassade de France à Mexico ; qu'il était stipulé que selon les nécessités du service, le contractant accepte également d'exercer les fonctions classées dans la même catégorie indiciaire et le même groupe d'indemnité de résidence ; que ce contrat, après avoir été expressément prorogé pour quatre mois, a fait l'objet, le 28 septembre 1994, d'un avenant avec effet du 1er mai 1994 pour affecter l'intéressé à Limoges où il a été chargé des fonctions de directeur régional du commerce extérieur de la région Limousin ; qu'en l'absence de toute précision en sens contraire, cet avenant intervenait pour une nouvelle période de trois ans ; qu'en vertu d'un nouvel avenant du 4 juillet 1996, M. A a été affecté avec effet du 1er juillet 1996 en qualité de délégué pour le commerce extérieur en Polynésie française ; qu'après l'avoir informé par lettre du 24 septembre 1997 que la délégation de Papeete cesserait ses activités le 31 décembre 1997, le ministre a fait connaître à M. A le 26 décembre 1997 qu'il cesserait définitivement ses fonctions après avoir épuisé ses droits à congés le 31 mars 1998 ; que, par lettre du 25 juillet 1998, celui-ci a demandé au ministre à être rétabli dans ses droits à rémunération durant la période du 1er avril 1998 au 31 décembre 1998 ; que le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 26 juin 2003, a rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître sa demande tendant à la réparation des préjudices subis du fait du refus du ministre de lui attribuer d'autres fonctions ; que, par l'arrêt attaqué du 9 août 2006, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. A au motif que la suppression de l'emploi de délégué régional au commerce extérieur à Papeete autorisait le ministre à le licencier et qu'aucune disposition n'obligeait le ministre à lui proposer un nouvel emploi ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant que si, en vertu de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française, les différends opposant les agents contractuels exerçant leur activité dans le territoire de la Polynésie française aux personnes publiques qui les emploient relèvent de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire, la demande présentée par M. A, agent contractuel de l'Etat, et tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des indemnités porte seulement sur ses droits pour la période postérieure à la fin de ses fonctions de délégué au commerce extérieur à Papeete et à la prise de son congé administratif en métropole ; qu'ainsi, pour la période en cause, il ne peut être regardé comme exerçant (son) activité sur le territoire de la Polynésie française au sens de l'article 1er la loi du 17 juillet 1986 ; qu'en jugeant que le litige opposant M. A à l'Etat relevait de la compétence de la juridiction administrative, la cour administrative d'appel de Paris n'a donc pas commis d'erreur de droit ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte des stipulations de l'article 1er du contrat du 26 mars 1991 que M. A, qui était recruté pour être affecté dans les services financiers auprès de l'ambassade de France au Mexique, pouvait être appelé à exercer aussi des fonctions du même niveau hiérarchique et indiciaire dans d'autres services du ministère ; que ce contrat d'une durée initiale de trois ans a été renouvelé périodiquement par voie d'avenants en fonction des affectations nouvelles attribuées à l'intéressé ; qu'ainsi le requérant était, à la date du 26 novembre 1997 où l'administration lui a notifié la cessation définitive de ses fonctions à compter du 1er avril 1998, titulaire d'un contrat à durée déterminée dont le terme devait être le 10 janvier 1999, date à laquelle M. A a atteint l'âge de soixante-cinq ans ;

Considérant, d'autre part, que les avenants relatifs aux affectations de M. A dans la région Limousin et en Polynésie française ont substitué au décret du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger, dont l'article 10 prévoit que le contrat peut finir moyennant un préavis de trois mois en cas de licenciement par suite de suppression d'emploi , la référence au décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat, applicable aux agents contractuels de l'Etat servant en France métropolitaine comme en Polynésie française, qui ne comporte pas de dispositions particulières sur les motifs du licenciement ; que, dès lors, la situation de M. A était régie par les stipulations de l'article 5 de son contrat d'engagement dans sa rédaction issue de l'avenant du 28 septembre 1994, qui prévoient que le licenciement peut intervenir soit pour insuffisance professionnelle, soit pour motif disciplinaire ; qu'il suit de là qu'en jugeant que l'administration pouvait légalement licencier l'intéressé en cours de contrat au seul motif que la délégation au commerce extérieur en Polynésie française était supprimée sans être tenue de lui confier d'autres fonctions relevant des prévisions du contrat jusqu'à son terme, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, l'article 2 de l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : S'il prononce l'annulation d'une décision, le Conseil d'Etat (...) peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure ;

Considérant que la lettre du 25 juillet 1998 par laquelle M. A a demandé au ministre à être rétabli dans ses droits à rémunération pour la période du 1er avril au 31 décembre 1998 constitue, eu égard à son objet et à ses termes, une réclamation préalable suffisamment précise pour être quantifiée ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie doit être écartée ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. A a droit à une indemnité compensant le préjudice correspondant aux rémunérations dont il a été privé à raison de la faute de l'administration qui l'a licencié sans motif légal ; que, conformément aux termes de sa réclamation préalable, la période d'indemnisation court du 1er avril au 31 décembre 1998 ; qu'en application de l'article 20 de la loi du 8 août 1947 relative à certaines dispositions d'ordre financier, un agent contractuel ne peut être maintenu en activité au-delà de soixante-cinq ans, alors même qu'il remplirait les conditions de l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, non applicable aux agents non titulaires ; que M. A ne peut dès lors et en tout état de cause pas demander que son préjudice soit évalué en prenant en compte les services qu'il aurait pu accomplir au-delà de l'âge de soixante-cinq ans ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le montant de l'indemnité due au requérant doit être déterminé en fonction de l'indice de rémunération qui lui était attribué dans son dernier emploi, à savoir celui qu'il exerçait en qualité de délégué au commerce extérieur en Polynésie française, et non pas en fonction de celui dont il bénéficiait en métropole, avant d'être affecté en Polynésie française, en qualité de délégué régional au commerce extérieur du Limousin ; qu'il ne peut être tenu compte des primes et indemnités qui étaient liées à l'exercice même des fonctions en Polynésie française ; qu'ainsi, le montant de l'indemnité due à M. A s'établit à 28 840, 25 euros ; qu'il n'y a pas lieu de réduire cette indemnité du montant de la rémunération perçue par M. A à raison de la poursuite de son activité de professeur associé à mi-temps à l'université de Paris XII, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'exercice de ces fonctions aurait été incompatible avec l'occupation d'un emploi dans les services du ministère de l'économie et des finances ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que M. A a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 27 juillet 1998, date de la réception par l'administration de sa demande préalable ; qu'à la date du 26 octobre 2007, à laquelle M. A a présenté des conclusions à fin de capitalisation des intérêts, il était dû plus d'une année d'intérêts ; que dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 4 000 euros au titre de l'ensemble de la procédure de cassation et d'appel en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de l'arrêt du 9 août 2006 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 28 840,25 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 1998. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 26 octobre 2007 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi et de la requête de M. A est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Bruno A et à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 297670
Date de la décision : 30/12/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2009, n° 297670
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Boucher Julien
Avocat(s) : SCP DEFRENOIS, LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:297670.20091230
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