La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2010 | FRANCE | N°334026

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 12 janvier 2010, 334026


Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mozammel et Mme Shamina B, demeurant respectivement ... ; M. et Mme B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 17 septembre 2009 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 15 avril 2008 de l'Ambassadeur de France à

Dacca (Bangladesh), refusant un visa de long séjour à son épouse et à...

Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mozammel et Mme Shamina B, demeurant respectivement ... ; M. et Mme B demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 17 septembre 2009 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 15 avril 2008 de l'Ambassadeur de France à Dacca (Bangladesh), refusant un visa de long séjour à son épouse et à ses enfants en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de délivrer le visa à son épouse et à ses enfants dans un délai de 8 jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que la condition d'urgence est remplie dès lors qu'ils sont séparés depuis 2002, soit plus de 7 ans ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée dès lors qu'elle est entachée d'une insuffisance de motivation ; qu'elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, l'OFPRA a reconnu comme authentiques l'acte de mariage, l'acte de naissance de M. Mustakim C, et les actes d'adoption de MM. Jaglul et Sajid C ; que ces actes délivrés par l'OFPRA suppléent à l'absence de documents délivrés par le pays d'origine ; qu'il s'ensuit que l'administration ne saurait en contester l'authenticité ; que le doute sur l'authenticité des actes d'état civil produits est levé du fait de la possession d'état ; que M. est en contact permanent avec sa famille au Bangladesh et participe à leur entretien en leur envoyant de l'argent ; que les enfants Jaglul et Sajid C, neveux des requérants, ont été régulièrement adoptés et peuvent donc bénéficier de la procédure de regroupement familial ; qu'enfin, la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en effet, M. , du fait de son statut de réfugié, ne peut se rendre au Bangladesh ; que la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et contrevient aux engagements internationaux de la France visant à préserver l'unité de la famille, résultant en particulier des stipulations de la convention de Genève et de la directive n° 2003/861/CE en date du 22 septembre 2003 ;

Vu la décision attaquée ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée par Mme B ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2010, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire qui conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il n'existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ; qu'elle n'est pas entachée d'un défaut de motivation dès lors que la commission de recours contre les décisions de refus de visa énonce clairement les motifs qui ont entraîné son refus, c'est-à-dire l'absence de valeur probante des actes d'état civil produits ; que la décision contestée n'est pas non plus entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que, en premier lieu, suite aux vérifications effectuées au Bangladesh auprès des autorités locales, il apparaît que l'acte de mariage des requérants ainsi que les actes de naissance de leurs trois enfants revêtent un caractère apocryphe ; qu'en effet, les naissances des trois enfants n'ont pas été enregistrées dans les registres d'état civil locaux, et que les bureaux de l'état civil bangladais n'ont pas fourni aux requérants les actes en cause ; qu'en deuxième lieu, après que les actes de naissance fournis lors des demandes de visas ont été rejetés car considérés comme apocryphes, les requérants ont fourni de nouveaux actes de naissance, indiquant que deux des enfants sont nés de tierces personnes ; que les requérants soutiennent que Mme B aurait adopté ces enfants le 26 mai 2008 ; que toutefois ces nouvelles copies d'actes de naissance, qui font apparaître les noms des requérants comme parents adoptifs, ont été dressées le 18 janvier 2007, soit bien avant la déclaration sous serment d'adoption en date du 26 mai 2008 ; qu'en troisième lieu, les requérants font valoir qu'il s'agit d'une adoption plénière, et que la filiation d'adoption se substitue donc à la filiation d'origine ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la déclaration d'adoption produise en France les effets d'un jugement d'adoption plénière ; qu'enfin, en raison du caractère apocryphe des actes d'état civil produits, la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'au surplus, M. ne démontre pas avoir maintenu des relations régulières avec sa famille demeurée au Bangladesh ; que l'urgence n'est pas caractérisée en l'espèce du fait du caractère frauduleux des actes d'état civil produits ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 janvier 2010, présenté par M. et Mme B, qui produisent de nouvelles pièces ; ils soutiennent en outre que les vérifications effectuées par l'ambassade de France au Sri Lanka sont dépourvues de valeur probante dès lors que l'avocat de l'ambassade n'est pas qualifié pour authentifier les actes d'état civil litigieux ; qu'aucune attestation de l'autorité locale compétente ne prouve que les actes litigieux n'existeraient pas, comme le soutient l'administration ; que la réalité des liens matrimoniaux et de filiation n'est pas contestée en elle-même, dès lors que l'OFPRA a reconnu comme authentiques le mariage et l'identité des requérants ; qu'il n'existait aucun état civil au Bangladesh au moment de la naissance des deux enfants dont la réalité des actes de naissance est contestée ; que ces actes ont donc été produits sur simple déclaration ; qu'il est dans l'intérêt supérieur des enfants de rejoindre leurs parents en France ; que l'urgence est caractérisée étant donnée la réalité des liens matrimoniaux et filiaux, attestée par la production de nombreuses photographies et preuves d'envois d'argent au Sri Lanka par le requérant ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. et Mme B et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 8 janvier 2010 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Ortscheidt, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme B ;

- M. et sa représentante ;

- la représentante du ministère de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de prolonger l'instruction jusqu'au lundi 11 janvier 2009 ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant, en premier lieu, que M. , de nationalité bangladaise, est entré en France en 2002 et s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par décision de la commission des recours des réfugiés en date du 13 mai 2005 ; qu'il a demandé en 2006 l'autorisation de faire venir auprès de lui son épouse Mme Shamina B ainsi que les trois enfants Jaglul né en 1990, Sajid né en 1993 et Mustakim né en 1999 ; qu'il demande la suspension de la décision du 17 septembre 2009 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de l'ambassadeur de France au Bangladesh de délivrer à Mme B et aux trois enfants les visas qu'ils sollicitaient ;

Considérant que, pour confirmer le refus de délivrer ces visas, la commission de recours a relevé que les enfants Jaglul et Sajid n'étaient pas les enfants biologiques de M. et de Mme B mais, selon les déclarations faites dans le cadre de l'instruction des demandes de visas, des enfants adoptés ; qu'après avoir noté que M. n'avait pas fait état de cette particularité lors de l'instruction de sa demande d'admission au statut de réfugié devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, la commission de recours a estimé que M. avait produit lors de la demande de visa de faux actes de naissance indiquant que Jaglul et Sajid étaient ses enfants ; qu'elle s'est fondée sur ces éléments pour estimer que le dossier était entaché de fraude documentaire et que les liens unissant M. aux demandeurs de visas n'étaient par suite pas prouvés ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. et Mme B se sont mariés le 16 décembre 1988 et que le jeune Mustakim, né le 28 novembre 1999, est leur fils biologique ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés ainsi que des éléments indiqués à l'audience que les jeunes Jaglul et Sajid sont les enfants biologiques du frère de M. qui ont été recueillis et pris en charge par M. et Mme B lorsque ces enfants sont devenus orphelins après le décès, en 2000, du frère de M. ; qu'est produit au dossier une déclaration sous serment d'adoption les concernant ; que M. , qui a quitté le Bangladesh en 2002, a déclaré, dès le 24 janvier 2003, dans la fiche familiale de référence renseignée dans le cadre de l'instruction de la demande d'admission au statut de réfugié, s'être marié à Mme B le 16 décembre 1988 devant une autorité religieuse et avoir comme enfants Jaglul, Sajid et Mustakim nés en 1990, 1993 et 1999 ; que si, à cette occasion, M. n'a pas spontanément apporté la précision que les enfants Jaglul et Sajid avaient été adoptés, cette circonstance n'apparaît pas déterminante eu égard à l'objet du document renseigné ainsi qu'à sa présentation qui n'invitait pas M. à préciser si les enfants étaient issus biologiquement de son couple ou s'ils avaient été adoptés ; que, par ailleurs, eu égard à la circonstance que la législation du Bangladesh n'a rendu obligatoire les déclarations de naissance pour l'enregistrement de l'état civil que postérieurement à la naissance des trois enfants, n'apparaît pas davantage déterminant, dans les circonstances de l'espèce et en l'état de l'instruction, le fait qu'aient été produits, devant les autorités françaises, des extraits différents de registres des naissances, établis respectivement en 2007 et 2008 qui font mention, pour désigner les parents de Jaglul et Sajid, de M. et de Mme B dans un cas et de leurs véritables parents biologiques dans l'autre cas ;

Considérant, compte tenu de ces éléments et alors même que le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire produit un document établi par un cabinet d'avocats mandaté par l'ambassade affirmant l'inauthenticité de certains des documents d'état-civil datés de 2007, le moyen tiré de ce que c'est à tort que la commission de recours s'est fondée sur l'existence d'une fraude documentaire pour estimer que les liens unissant M. aux demandeurs de visas n'étaient pas établis apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;

Considérant, en second lieu, qu'eu égard au délai écoulé depuis l'entrée en France de M. , la condition d'urgence doit être regardée comme remplie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B sont fondés à demander la suspension de la décision attaquée ; qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer les demandes de visas présentées pour Mme B ainsi que pour Jaglul, Sajid et Mustakim C dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'exécution de la décision du 17 septembre 2009 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours de M. Mozammel et Mme Shamima B est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer les demandes de visas présentées pour Mme Shamima B et pour Jaglul, Sajid et Mustakim C dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. Mozammel et Mme Shamima B en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Mozammel et Mme Shamima B ainsi qu'au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 334026
Date de la décision : 12/01/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jan. 2010, n° 334026
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stahl
Rapporteur ?: M. Jacques-Henri Stahl
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:334026.20100112
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award