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13/01/2010 | FRANCE | N°301985

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 13 janvier 2010, 301985


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marcel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 19 décembre 2006 en tant que la cour administrative d'appel de Douai, d'une part, a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 20 décembre 2005 du tribunal administratif de Rouen rejetant le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de pré

lèvement social de 1 % auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 février et 23 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marcel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 19 décembre 2006 en tant que la cour administrative d'appel de Douai, d'une part, a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 20 décembre 2005 du tribunal administratif de Rouen rejetant le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1 % auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1995 ainsi que des intérêts de retard, et d'autre part, a fait droit au recours incident du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et l'a rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu de l'année 1995 à raison de l'intégralité de la pénalité prévue à l'article 1728 du code général des impôts mise à sa charge au titre de la même année ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande tendant à la décharge de l'ensemble des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1 % ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Eliane Chemla, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de Blainville, relevant du régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8 du code général des impôts et ayant pour associés M. et Mme Marcel A, d'une part, et M. Denis A, leur fils, d'autre part, a cessé son activité le 31 mai 1995 et cédé tous ses moyens de production ; qu'elle a réalisé lors de cette cession une plus-value nette à court terme qui a été soustraite du résultat imposable dès lors qu'elle l'a placée sous le régime d'exonération des plus-values prévu par l'article 151 septies du même code ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1994 et 1995, l'administration a remis en cause cette exonération selon la procédure d'évaluation d'office pour non dépôt dans les délais de la déclaration prévue par l'article 201 de ce code ; qu'elle a notifié à M. A en sa qualité d'associé un redressement à hauteur de sa quote-part dans le bénéfice imposable ; que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1% au titre de l'année 1995 ont été mises en recouvrement le 31 mai 2000 et assorties des intérêts de retard ; que l'administration a également mis à la charge du contribuable la majoration de 40 % prévue à l'article 1728 du code général des impôts pour non dépôt de la déclaration de résultats dans les trente jours suivant une première mise en demeure ; que le tribunal administratif de Rouen a, par jugement du 20 décembre 2005, partiellement fait droit à la demande de M. A tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes en fixant le montant de la majoration à 10 % ; que, par arrêt du 19 décembre 2006 contre lequel M. A se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel et, faisant droit au recours incident du ministre de l'économie des finances et de l'industrie, a rétabli le requérant au rôle de l'impôt sur le revenu à raison de l'intégralité de la majoration mise à sa charge au titre de l'année 1995 ;

Sur les motifs de l'arrêt statuant sur l'appel de M. A :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 151 septies dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : Les plus-values réalisées dans le cadre d'une activité agricole, artisanale, commerciale ou libérale par des contribuables dont les recettes n'excèdent pas le double de la limite du forfait ou de l'évaluation administrative sont exonérées, à condition que l'activité ait été exercée pendant au moins cinq ans, et que le bien n'entre pas dans le champ d'application de l'article 691. / Le délai prévu à l'alinéa précédent est décompté à partir du début d'activité... ; qu'il résulte de ces dispositions que le bénéfice de cette exonération est, notamment, subordonné à la condition que le bien, dont la cession a dégagé une plus-value, ait été affecté à l'une des activités qu'elles visent, et que celle-ci ait été exercée par le cédant pendant une période de cinq ans précédant la cession ; que, dans le cas où le contribuable a poursuivi son activité d'abord à titre d'exploitant individuel puis en tant qu'associé d'une des sociétés mentionnées à l'article 8 du code général des impôts et exerçant la même activité, il convient de tenir compte de l'ensemble de cette période pour apprécier si la condition de durée de l'activité est satisfaite ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme Marcel A, d'une part, et M. Denis A, leur fils, d'autre part, exploitants agricoles, ont créé en 1973, à parts égales une société de fait ayant pour objet l'exploitation agricole (culture et élevage) de leurs terres ; que cette société de fait, dont, conformément à la combinaison des articles 238 bis L et 238 bis M du code général des impôts, le régime d'imposition des bénéfices est celui des sociétés mentionnées à l'article 8 du même code, s'est transformée à compter du 12 février 1991 en une exploitation agricole à responsabilité limitée, dénommée EARL de Blainville, et a poursuivi dans ce cadre son activité agricole ; qu'à compter du 1er juin 1991, l'EARL a mis les biens agricoles nécessaires à l'activité d'élevage à la disposition de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Bouclon, créée le 1er avril 1991 et dans laquelle elle détenait 1 % des parts, le surplus étant détenu par M. Denis A ; qu'à compter de la même date, l'EARL a mis les biens agricoles nécessaires à la culture de végétaux à la disposition de la société en participation (SEP) Bouclon, créée le 1er avril 1991 entre l'EARL et la SCEA dont les participations s'établissent respectivement à 40 % et 60 % ; que l'EARL, la SCEA et la SEP relèvent du régime des sociétés mentionnées à l'article 8 du code général des impôts ; que l'EARL, qui a conservé à son actif, jusqu'à la cessation de son activité le 31 mai 1995, les biens nécessaires à l'activité agricole de ses associés, dont les revenus ont continué d'être imposés par l'administration dans la catégorie des bénéfices agricoles, a poursuivi l'activité agricole de ceux-ci alors même que cette activité agricole a été exercée par l'intermédiaire de deux sociétés de personnes dont elle était l'associée ; que dans ces conditions, M. A a exercé son activité agricole pendant plus de cinq ans ; que, par suite, en jugeant que pour apprécier la condition de durée mentionnée à l'article 151 septies du code général des impôts, il convenait de tenir compte de la durée de l'activité exercée par la personne ayant réalisé la cession des actifs à l'origine de la plus-value et en estimant qu'à la date de la cessation de l'activité, l'EARL de Blainville n'avait pas exercé son activité depuis au moins cinq ans alors même que son associé exerçait une activité agricole depuis plus de vingt ans, la cour administrative d'appel de Douai, qui n'a retenu que la durée de vie de l'EARL pour décompter la durée de l'activité agricole du contribuable sans prendre en compte les années pendant lesquelles il avait antérieurement exercé la même activité dans le cadre de la société de fait, a commis une erreur de droit ; que M. A est dès lors fondé à demander par ce moyen, qui n'est pas nouveau en cassation, et dans cette mesure, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et, dans cette mesure, de régler l'affaire au fond ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que le tribunal administratif de Rouen a estimé, l'activité de l'EARL n'a pas cessé, entre la date de sa création le 12 février 1991 et celle de la cessation de son activité le 31 mai 1995, de présenter un caractère agricole, alors même que cette activité a été exercée par l'intermédiaire de deux sociétés de personnes dont elle était l'associée ; que, d'autre part et ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. A avait exercé son activité agricole pendant plus de cinq ans à la date de la cessation de l'activité de l'EARL de Blainville dont il était associé ; qu'il en résulte que le requérant satisfait à la condition de durée posée par l'article 151 septies du code général des impôts pour bénéficier de l'exonération que cet article prévoit ;

Considérant que l'administration, qui s'est fondée exclusivement sur le non respect de cette condition, ne soutient pas que le requérant ne pourrait prétendre à cette exonération au motif qu'il ne satisferait pas aux autres conditions énoncées par cet article ; que, par suite, M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1 % auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1995 ainsi que des intérêts de retard correspondants ;

Sur les motifs de l'arrêt relatifs au recours incident du ministre :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la pénalité de 40 % infligée par l'administration sur le fondement de l'article 1728 du code général des impôts, en raison de l'absence de dépôt dans les délais de la déclaration des résultats de l'exercice clos le 31 mai 1995 après une première mise en demeure, ne porte que sur la majoration des droits qui, ainsi qu'il vient d'être dit, ont été indûment réclamés au requérant ; que, par suite et par voie de conséquence, l'arrêt de la cour doit également être annulé en ce que, faisant droit au recours incident du ministre, il rétablit à ce taux la pénalité réduite au taux de 10 % par le tribunal administratif de Rouen ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et, dans cette mesure, de régler l'affaire au fond ;

Considérant que, dès lors que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1% ont été indûment mises à la charge de M. A, la pénalité prévue à l'article 1728 du code général des impôts, qui vient en majoration de ces droits, ne peut être maintenue ; que, par suite, il y a lieu de rejeter le recours incident du ministre de l'économie des finances et de l'industrie tendant à son rétablissement au taux de 40 % et d'accueillir les conclusions de M. A tendant à la décharge de la pénalité au taux de 10 % maintenue par le tribunal administratif dont le jugement doit également être réformé dans cette mesure ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de l'ensemble des impositions ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes mis à sa charge ;

Sur les conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt du 19 décembre 2006 de la cour administrative d'appel de Douai sont annulés.

Article 2 : M. A est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement social de 1 % auxquels il a été assujetti au titre de l'année 1995 ainsi que des intérêts de retard et des pénalités maintenues à sa charge par le tribunal administratif de Rouen.

Article 3 : Le jugement du 20 décembre 2005 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Marcel A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 301985
Date de la décision : 13/01/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. - REVENUS PROFESSIONNELS - QUESTIONS COMMUNES - RÉGIME D'EXONÉRATION DES PLUS-VALUES DES PETITES ENTREPRISES (ARTICLE 151 SEPTIES DU CGI) - CONDITION - DURÉE DE L'ACTIVITÉ - CONTRIBUABLE AYANT D'ABORD EXERCÉ EN TANT QU'EXPLOITANT INDIVIDUEL PUIS COMME ASSOCIÉ D'UNE SOCIÉTÉ DE PERSONNES - PRISE EN COMPTE DE L'ENSEMBLE DE LA PÉRIODE [RJ1].

19-04-02 Le bénéfice du régime d'exonération des plus-values professionnelles prévu à l'article 151 septies du code général des impôts (CGI) est réservé, entre autres conditions, aux contribuables ayant exercé depuis au moins cinq ans l'activité à laquelle était affecté le bien dont la cession a dégagé une plus-value. Pour apprécier si cette condition de durée est satisfaite, il convient de tenir compte, dans le cas où le contribuable a poursuivi son activité d'abord à titre d'exploitant individuel puis en tant qu'associé d'une des sociétés mentionnées à l'article 8 du CGI et exerçant la même activité, de l'ensemble de cette période.


Références :

[RJ1]

Rappr., dans le cas d'une activité exercée sous la forme d'une société de fait, puis à titre individuel, 17 mai 1995, Min. c/ Pesso, n° 136878, p. 207.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2010, n° 301985
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: Mme Eliane Chemla
Rapporteur public ?: Mme Escaut Nathalie
Avocat(s) : SCP PEIGNOT, GARREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:301985.20100113
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