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13/01/2010 | FRANCE | N°326589

France | France, Conseil d'État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 13 janvier 2010, 326589


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mars et 2 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean-Louis A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 400 000 et 195 000 euros au titre des préjudices matériels et moraux du fait de la durée excessive de la procédure contentieuse les ayant opposés aux services fiscaux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du

code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mars et 2 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Jean-Louis A, demeurant ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 400 000 et 195 000 euros au titre des préjudices matériels et moraux du fait de la durée excessive de la procédure contentieuse les ayant opposés aux services fiscaux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Joanna Hottiaux, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme A,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de M. et Mme A ;

Considérant que M. et Mme A recherchent la responsabilité de l'Etat à raison de la méconnaissance de leur droit à un délai raisonnable de jugement par la juridiction administrative statuant sur deux recours contre un redressement fiscal portant sur la réintégration dans les bénéfices non commerciaux de M. A, avocat, des loyers correspondant à l'utilisation à des fins professionnelles d'une partie de sa résidence principale au titre, d'une part, des années 1992 à 1994 et, d'autre part, des années 1996 à 1998 ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'il en résulte que, lorsque leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices, tant matériels que moraux, directs et certains, causés par ce fonctionnement défectueux du service public de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable ;

Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme A ont saisi l'administration fiscale de deux réclamations préalables, l'une des 10 novembre et 15 décembre 1997 contre des suppléments d'impôt sur le revenu qui leur ont été assignés au titre des années 1992 à 1994, l'autre, du 23 juillet 2001 contre des suppléments d'impôt sur le revenu qui leur ont été assignés au titre des années 1996 à 1998 ; qu'à la suite du rejet, le 26 janvier 1998, de la réclamation préalable au titre de la seule année 1993, ils ont formé, le 20 mars 1998, une demande devant le tribunal administratif de Versailles tendant à obtenir la décharge des impositions contestées ; qu'à la suite de la décision implicite de rejet de leur réclamation au titre des années 1992 et 1994, ils ont saisi le tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à obtenir la décharge des impositions au titre de ces années ; que le tribunal administratif de Versailles a rendu ses jugements sur ces deux demandes le 24 décembre 2002 ; qu'à la suite du rejet de la réclamation par l'administration fiscale, le 6 décembre 2001, pour les années 1996 à 1998, M. et Mme ROCHE ont saisi le tribunal administratif de Versailles, qui a rendu à ce titre un jugement le 12 juin 2003 ; que le ministre de l'économie et des finances a relevé appel de l'ensemble de ces jugements devant la cour administrative d'appel de Paris, qui les a transmis à la cour administrative d'appel de Versailles, laquelle, a statué le 27 septembre 2005 par un seul arrêt, et a rejeté les appels du ministre de l'économie et des finances, qui s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat ; que le Conseil d'Etat a rejeté ce pourvoi en cassation le 11 avril 2008 ; qu'il résulte des faits ainsi rappelés que la procédure juridictionnelle concernant les impositions des années 1992 à 1994 a eu une durée de neuf ans et cinq mois à laquelle s'ajoute le délai de six mois imparti à l'administration pour se prononcer sur la réclamation préalable des assujettis ; qu'une telle durée est excessive ; qu'en revanche la procédure juridictionnelle concernant les impositions des années 1996 à 1998 qui a duré six ans, ne présente pas de caractère excessif ;

Considérant en outre que M. et Mme A soutiennent, sans être contredits sur ce point par le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, que les décisions de justice, pour l'ensemble des impositions en cause, n'ont pas reçu d'exécution ; que cependant, M. et Mme A n'apportent pas, en tout état de cause, de précisions suffisantes concernant ce remboursement et notamment ne chiffrent pas le montant qu'il revient à l'administration de leur rembourser ; que, par suite, la période allant du 11 avril 2008 au jour de la présente décision ne peut pas être ajoutée dans le décompte de la procédure ;

Considérant que M. et Mme A sont ainsi fondés à soutenir, dans les limites indiquées ci-dessus, que leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu et, pour ce motif, à obtenir la réparation des préjudices qu'ils ont subi ;

Sur les préjudices :

Considérant que l'action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n'a pas été jugée dans un délai raisonnable doit permettre la réparation de l'ensemble des dommages tant matériels que moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés et dont la réparation ne se trouve pas assurée par la décision rendue sur le litige principal ; que peut ainsi, notamment, trouver réparation le préjudice causé par la perte d'un avantage ou d'une chance ou encore par la reconnaissance tardive d'un droit ; que peuvent aussi donner lieu à réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement longue d'une procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès, compte tenu notamment de la situation personnelle de l'intéressé ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en l'espèce M. et Mme A ont subi, du fait du délai excessif de la procédure, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès ; que la circonstance que M. A exerce la profession d'avocat ne permet pas d'établir que celui-ci et son épouse n'ont pas subi de préjudice moral ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à leur verser la somme de 4 000 euros ;

Considérant qu'à l'appui de leur demande d'indemnisation, M. et Mme A font valoir, en outre, que la durée excessive de la procédure leur a occasionné divers préjudices matériels et financiers, notamment des pertes d'honoraires, l'indisponibilité des sommes réclamées par l'administration fiscale pour effectuer des investissements ainsi que la survenance d'un conflit avec les confrères de M. A qui l'a empêché de fonder une association avec eux ; que, toutefois, les requérants n'apportent pas de précisions suffisantes pour justifier l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les préjudices allégués et la durée excessive de la procédure juridictionnelle en cause ; que, par suite, ces préjudices ne peuvent pas être réparés au titre du fonctionnement défectueux de la juridiction administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros que demandent M. et Mme A au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'Etat est condamné à verser la somme de 4 000 euros à M. et Mme A.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. et Mme A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Jean-Louis A et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Copie en sera adressée pour information au président du tribunal administratif de Versailles, au président de la cour administrative d'appel de Versailles et au président de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.


Synthèse
Formation : 4ème et 5ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 326589
Date de la décision : 13/01/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2010, n° 326589
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: Mme Joanna Hottiaux
Rapporteur public ?: M. Keller Rémi
Avocat(s) : SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2010:326589.20100113
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